1905
et le quartier des Ponts
1905, La Rouge,
La ville bouge
Jusqu’aux bas-fonds.
Le siège d’une usine
Fait que domine
La voix des Ponts.
Allez, Ponticaud chante,
Et
de ta voix puissante
Porte ton cri jusqu’à
l’exploiteur
Qui profite de la sueur de
ton labeur.
En révolutionnaire,
Toute la ville est fière ;
Pour développer son émancipation,
Aux premiers rangs seront
les gars des Ponts.
Mais parfois, chose triste,
Des arrivistes
Quittent les Ponts,
Et l'orgueil qui les grise
Fait qu'ils méprisent
Les
vieux bas-fonds.
Qu'un Ponticaud déserte,
Ce n'est pas une perte ;
Il peut aller dans ses
beaux quartiers
En nous laissant dans notre
vétusté.
La Vienne a ses fidèles
Qui meurent auprès d'elle
:
Notre souvenir va à Louis
Goujaud
Qui
fut sincère et brave Ponticaud.
Extrait
de la chanson La
Vienne. On
peut l'entendre dans le disque réalisé par Françoise Etay, Rue de la Mauvendière, 1986 (repris en CD
en 2005. En vente à la Librairie Occitane).
La Marie Colharauda (=
Couliaraudo = Couillue) y était...
« Pourquoi ce sobriquet de Colharauda ? Eh
bien, je ne l’ai appris que plus tard : la Marie, ouvrière à l’usine de
peaux de lapins, avait activement participé aux grèves de 1905. On disait même
qu’elle avait porté le drapeau rouge ! ça ! elle en était bien
capable, tant par sa vigueur physique, que par son comportement décidé. Je
trouvais que Colharauda, c’était un bien joli nom. […] d’autant plus que la
Colharauda savait des chansons – pas le Roi
de Thulé[3], bien sûr –.
Elle donnait dans un tout autre genre ; elle m’apprit l’Internationale, la Jeune
Garde et d’autres, plus locales :
On va lui ch…
dans les yeux,
A Beaulieu, à
Beaulieu !
Je demande à la
famille Beaulieu – s’il reste encore des Beaulieu – Peaux de lapins – de
m’excuser mais que voulez-vous, ça rimait si bien ! ».
Suzanne Dumas, Je
suis une Ponticaude, p. 24.
Suzanne Dumas évoque ici la grande grève des
ouvriers de l’entreprise de feutre Beaulieu, rue de l’Auzette.

Portes
de la maison d'habitation Beaulieu avec les inscriptions mises par les
grévistes :
«
Mort à Beaulieu » « Maison
à vendre »
« La grève insurrectionnelle des ouvriers
porcelainiers pousse ses vagues jusqu’au pont Saint-Martial sous lequel roule
la Vienne.
En effet, le personnel de l’usine de feutre
Beaulieu, en grève le 30 mars, renvoyé dans son ensemble le 31, a entrepris le
siège de l’habitation de son patron et de sa famille. Le 10 mai, il y aura
jusqu’à cent gendarmes à pied et vingt-cinq à cheval, pour évacuer la rue et
permettre à une voiture d’amener M. Beaulieu, à une réunion de concertation à
la mairie.
Il n’y aura pas d’accord ; M. Beaulieu et sa
famille se retireront à la campagne et, vers le 16 mai, seule une moitié de
l’effectif sera réembauchée. »
Résidents et amis de
l’Abbesaille (association), La
Vienne. De la grande île à l’île aux oiseaux, Limoges, 1997, carte postale
n° 33.

Le
corps de garde de l'usine Beaulieu
Pour un exposé plus détaillé (et néanmoins
synthétique), voir surtout Vincent Brousse, Dominique Danthieux,
et Philippe Grandcoing, 1905. Le printemps rouge de Limoges,
Limoges, Culture et Patrimoine en Limousin, 2005, 78-79.
Un poème
occitan sur la mort de la jument Estacade
Cette pièce de Pière
Do Faure ou Pierre Charbonnier, médecin, directeur de la revue Limoges
Illustré, n’a pas de rapport direct avec le quartier des Ponts. Nous la
publions car elle est fort peu connue et présente un écho des événements en
langue limousine. Ecrite et publiée à chaud (1er mai 1905), elle évoque
la mort de la jument Estacade lors des affrontements, et sans doute, à
demi-mot, celle de Camille Vardelle. Le texte n’est pas sans ambiguïté,
quoique la position de la revue, à lire dans le même numéro (p. 1772-1775) le
récit prétendument neutre qu’elle fait des événements, soit assez claire :
elle consiste en un large soutien des patrons et de l’armée.

Pensado
Lou
chovau de lo barricado
Me
fai naissei uno pensado.
So
vudo, ami, me fai mau.
Co
n’ei pas que per l’animau
Aie
de Gramoun l’amitanço,
Se
que balie lo lei en Franço
Per
pechei puni e moutia
Lou
maumenodour de betia,
Avio
razou. Ma mo pensado
O
mai de cœur, mai elevado
Motro
suven qu’un einoucen,
Sirio-teu
saje, e memo sen,
Payo
l’eco per lou coupable.
Erio-t-eu
doun si coundamnable ( ?) [sic]
Se,
qu’enlevavo si golier,
Si
lestomen soun cavalier,
Per
toumbâ di lo deimelado ?
« Ne
fa pas de toun endurzi,
Me
disse sitô un vezi,
« Lou
prince decliaro la guèro
« Lou
peuple mer de so coulèro,
« Lo
mor do chovau quitomen
« Noû
balio quel’ enseignomen »
Qui
po cragnei no den cruelo,
E,
dijan io, no den mortelo,
Quante
loû chei van se brejâ ?
Co
n’ei jamai loû enroja.
Limoges Illustré,
1er mai 1905, p. 1778 (nous respectons la graphie et la ponctuation
originale)
Traduction :
Pensée
Le
cheval de la barricade/ Me fait naître une pensée./ Sa vue, ami, me fait mal./
Ce n’est pas seulement pour l’animal./ Je tiens Grammont en amitié,/
S’il a donné la loi en France/ Qui permet de punir et de donner l’amende/ A
celui qui maltraite les bêtes,/ C’était avec raison. Mais ma pensée/ Avec
plus de cœur, plus de hauteur/ Montre souvent qu’un innocent/ Fût-il sage et
même saint,/ Paye l’écot du coupable./ Était-il donc si condamnable,/ S’il
enlevait si fièrement,/ Si prestement son cavalier,/ Pour tomber dans la mêler ?/
« Ne fais pas ta forte tête,/ Me dit aussitôt un voisin,/ Le
prince déclare la guerre/ Le peuple meurt de sa colère,/ La mort du cheval
tout autant/ Nous donne cet enseignement »/ Qui peut craindre une dent
cruelle,/ et comme on dit, une dent mortelle,/ Quand les chiens vont se déchirer ?
Ce ne sont jamais les enragés. (trad. J.P. C.)