
Sous
le Poisson Soleil. A droite Baptiste Blanc et Jacques Combeau (petit
garçon),
les
périssoires, à l'arrière l'usine électrique
LES
MÉMOIRES
D’UN
ENFANT PONTICAUD
La
Famille
Mon premier domicile est rue Froissard : la première maison à
gauche en descendant vers la Vienne. Elle est la propriété de religieuses.
On peut voir cette maison encore aujourd’hui.
La famille se compose de ma grand mère maternelle, Louise BOULAUD,
veuve de Pierre BOULAUD (que je n’ai jamais connu), ma mère, Anna sa
soeur jumelle qui est célibataire et un cousin germain Pierre COMBETTE célibataire
également dont j’ignore encore les origines.
Une soeur aînée de ma mère, mariée, habite dans l’avenue du
Sablard.
Nous allons vivre dans cette maison quelques années, (je pense
jusqu’à l’âge de 4 ou 5 ans).
Il faut signaler que je ne sais pas quand la famille est arrivée à
Limoges, d’où elle vient, qu’elle est la situation du grand père et de
sa femme et comment vécurent leurs filles avant la rue Froissard.
Il y a dans ma vie de nombreuses questions qui restent sans réponse.
Je vais vivre jusqu’à 17 ans au milieu d’une famille que va
subir beaucoup de déchirures : très dures pour l’enfant que je suis.
Très jeune, ma mère va être atteinte de la tuberculose, le fléau
de l’époque. Elle passera par l’hôpital, le préventorium du Cluzeau
à Limoges, le sanatorium de
Boulou les Roses à Turennes (Corrèze).
Cette maladie ne nous laissera que de courtes périodes douces entre chaque
traitement où nous pouvons, mère et fils, connaître de bons moments. Elle
mourra à l’âge de 38 ans.
Sa soeur jumelle, touchée par le chômage, qui sévissait déjà à
cette époque, va sombrer dans la dépression. Elle mourra très jeune à
l’asile de Naugeat (aujourd’hui Esquirol).
Ma tante Maria, aînée des soeurs, rencontre d’énormes difficultés
dans son couple, et de ce fait ne m’est pas d’un grand secours.
Quant
au cousin COMBETTE, célibataire qui passe son temps avec les copains est en
perpétuel conflit avec ma grand mère.
Heureusement, il reste ma grand mère. C’est une femme courageuse
malgré le malheur qui frappera ses trois filles.
Pendant l’absence de ma mère, elle est toujours là pour
m’apporter l’essentiel ; illettrée elle n’est pas d’un grand
secours dans mes études.
Durant toute sa vie elle me parle tantôt Patois, tantôt Français.
Et pourtant pour cette femme qui m’a tant donné, avec le recul et
l’âge, je me sens un peu coupable de ne pas lui avoir rendu un peu plus
de douceur. Je pense que les enfants de mon âge étaient aussi comme moi.
Ces quelques explications permettrons peut-être de mieux comprendre
ma jeunesse de Ponticaud dans les chapitres suivants.

Jacques
Combeau (debout) et Baptiste Blanc
collection
Jacques Combeau (au dos missive datée de 1937)
Le
quartier du SABLARD (les commerces)
Pour
bien comprendre tout ce qui va suivre il faut situer tous les personnages,
ouvriers et commerçants qui joueront un rôle par leur personnalité ou
actions tout au long de ce récit.
Toute ma jeunesse, jusqu’en 1942 est associée à la vie de cette
avenue du Sablard. L’avenue démarre de « l’octroi »,
actuellement l’immeuble situé au coin de rue Désirée, au carrefour de
la route de Soudanas : elle se termine au pont Saint Etienne.
L’octroi
A chaque entrée de ville il existe une bureau de l’administration
qui perçoit une taxe sur certaines denrées qui rentrent en ville. Ces
bureaux disparaîtront en 1948.
L’avenue du Sablard est très peuplée, essentiellement
d’ouvriers des usines de chaussures et de la porcelaine, principale
activité de la ville de LIimoges.
Les
commerces y sont nombreux, les grandes surfaces ne sont pas encore connues
et l’essentiel des achats se fait dans « son » quartier. On
trouve les commerces suivants qui seront présents pendant toute ma jeunesse
:
En
partant de l’octroi :
-
Chez « LAMOUR » (la mère LAMOUR comme on disait en ce temps là)
buvette avec un peu d’épicerie.
-
Chez « PERGAY » bois et charbon
-
Chez la mère « AYMARD » avec ses deux fils et sa fille,
buvette et épicerie
-
Chez « BOURGEIX » buvette en façade et à l’arrière dans les
jardins une cordonnerie
-
Chez « MOULY » boucherie, charcuterie
-
Garage « COMBEAU » (chez mon père)
-
La boulangerie « CANTILLON »
-
Le coiffeur homme « CHARBONIERAS »
-
Chez « LATRONCHE » primeurs
-
Chez « CHARAPOUX » épicerie et primeurs
-
Chez « VARLEINE » épicerie et boissons
-
La pâtisserie « MICARD » avec leur fille qui est une grande
camarade de mes soeurs
-
Les photos « MARNEIX » derrière les maisons dans l’impasse
(il sera un des premiers à faire les photos dans les écoles)
-
La boucherie « COMBEAU » mes grands parents, propriétaires de
l’immeuble avec un locataire commerçant lui-même,
-
Chez le père « RAGOT » articles de pêche qui à la fermeture
du magasin sera remplacé par un salon de coiffure pour dames, tenu par deux
filles, dont l’une d’elles deviendra plus tard une amie de ma mère et
la femme de mon tuteur.
De
l’autre côté de la place du pont Saint Etienne et en tournant,
-
Chez la mère « GUILLON » épicerie et buvette
-
La boucherie « MONDIOT »
-
Le coiffeur homme « MONPONTE »
-
Le bureau de tabac tenu par le couple « CHEYROUX » avec buvette,
salle de jeux et de réunions, journaux, cartes postales. Ce bureau de tabac
à perduré jusqu’à nos jours.
En
remontant l’avenue et côté gauche,
-
La cordonnerie « DECOUTURE »
-
La mercerie bonneterie « LAJOIE »
puis
la fontaine publique (voir ci-dessous)
Dans
la continuité (à la place de l’immeuble actuel) un grand mur jusqu’au
quai de déchargement de la succursale « l’Union ». Derrière
ce grand mur la
-
blanchisserie « DESCHAMPS » avec son entrée le long de la
vienne.
La
fontaine publique
Beaucoup d’habitants du quartier vont encore chercher l’eau à la
fontaine publique, cette opération offre parfois aux plus proches un petit
spectacle.
En effet se sont les femmes qui vont chercher l’eau dans un seau et
lorsqu’elles se retrouvent à plusieurs il y a souvent des échanges
verbaux qui valent la peine d’être entendus.
Après le grand mur de la blanchisserie la succursale de « l’Union »,
la grande surface de l’époque, très fréquentée par les Ponticauds. Ils
sont souvent sociétaires
et touchent en fin d’année une ristourne, selon la valeur de leurs
achats et du bénéfice au bilan de la Société. Cette ristourne est à
prendre en marchandise.
Il existe toujours une succursale au même endroit, mais la grande
surface de l’époque est devenue une bien petite boutique.
Ensuite, l’entrée de l’U.P.
(Université Populaire), puis le chemin de Soudanas (piétons seulement) qui
conduit sur le bord de la vienne.
Au coin de ce chemin, faisant l’angle, la maison « CANTILLON »
qui se compose de deux parties : La première, la plus importante, où
habitent plusieurs locataires sur deux étages. Au rez de chaussée
plusieurs commerces :
-
Une petite mercerie chez madame « RIVOLET »
-
Un salon de coiffure pour femme tenu par la « Grande AUGUSTA ».
Accolée à la grande maison, une plus petite avec un jardin où
habite la mère « CANTILLON » (c’est son fils qui tient la
boulangerie en face).
En remontant jusqu’à l’Octroi il n’y a plus de commerce.
Comme on peut le lire dans cette description, l’avenue du Sablard
est très riche en commerces et tous font vivre les familles qui les
tiennent. L’implantation des grandes surfaces et la venue des voitures
changeront cet écosystème et détruiront toutes ces boutiques.
Les
principales figures du quartier
Le café, épicerie (chez la mère LAMOURE) est fréquenté surtout par la
rue Désirée, l’avenue des Vieillards et l’avenue du Sablard jusqu’à
la rue Froissard. Quelques hommes, le dimanche, y jouent aux cartes en
buvant la Chopine. Dehors une
petite terrasse, avec quelques tables, ombragée par une belle glycine
bleue.
Dans la première grande maison à droite en descendant l’avenue du
Sablard habitent plusieurs personnages dont il faut parler.
Au dernier étage la famille FAURE : la mère et les deux fils. Dédé
l’aîné et Pierrot (dit nez rouge) un peu plus jeune que moi.
Au premier étage ma tante et mon oncle BRISSAUD, en face sur le même
palier le couple BERGER.
Au rez-de-chaussée les « Demoiselles » MARIE.
Mais revenons à ces familles.
Les FAURE
Tous les habitants de souche limougeaude et de mon âge se souviennent de « l’affaire
BARATAUD ». Peynet, le mari de madame FAURE fut le chauffeur de taxi
assassiné par BARATAUD lequel sera condamné au bagne de Cayenne.
Pierrot FAURE joue avec moi dans
la cour derrière la maison quand je vais passer la journée chez ma tante
BRISSAUD. Cette famille va marquer mon enfance par un épisode qui de nos
jours passerait inaperçu.
Après le jugement sur
l’assassinat de monsieur FAURE, la famille va percevoir, pour l’époque,
une somme d’argent rondelette. Le fils aîné achète une voiture
fourgonnette pour faire le commerce des volailles et ses dérivés. Les
dimanches c’est la promenade avec cette voiture et c’est là que
j’interviens.
Je vais « Moi » aller
à la mer à Arcachon avec ma tante BRISSAUD et ma grand mère. On ne
regarde pas la dépense : Imaginez un peu ! Moi, un enfant des Ponts et de
famille pauvre, qui va passer deux jours à la mer, avant les congés payés
de 1936 C’est incroyable, mais
pour deux jours je suis un gosse de riche.
Aussi pour la famille FAURE
l’argent partira très vite. Mais en souvenir je leur adresse un grand
merci, c’est grâce à eux que pour la première fois j’ai vu la mer
avant tous mes copains.
La Tante et l’Oncle BRISSAUD
Ma tante, la soeur aînée de ma mère,
ouvrière porcelainière, est mariée avec « Monsieur BRISSAUD »
comme on l’appelait dans le quartier.
Qui
est ce Monsieur ?
Un
homme trompeur d’apparence, il dénote parmi les autres du Sablard ; Par
sa tenue d’abord, toujours élégante, chapeau, faux col blanc en celluloïd
sur la chemise comme cela se portait à cette époque, costume bien taillé,
chaussures impeccables recouvertes de guêtres (cache dessus de chaussures
de couleur différente selon le costume et les souliers). Sur le nez des
lunettes dorées, les bicycles
(lunettes sans branches). Dans la poche droite du veston, sortant d’un
tiers, le journal « le Populaire » ou « le Peuple ».
Cet
homme dans mes souvenirs a du être aussi mon parrain.
Ancien
ouvrier de la porcelaine il est durant mon enfance employé au « fonds
de chômage », grand socialiste militant, il fréquente du « beau »
monde. Très beau parleur, intelligent, instruit pour un ouvrier de l’époque,
il sort beaucoup et participe à de nombreuses réunions; et lorsqu’il en
revient Monsieur a parfois du mal à conserver sa prestance !... Il a de bon
rapport avec le Maire de la ville Léon BETOULLE né dans le
Sablard au n° 38, et certains hommes de lois, avocats et avoués
comme maîtres SAUNIER, CHARRIERE ou CHARLET.
[…]
Les BERGER
Madame, est la voisine de palier
de ma tante. Elle ne travaille pas en usine. Plus tard, quand ma tante sera
lâchée par son mari et se mettra à boire, elle sera une mauvaise conseillère
en facilitant les trinqueries.
Monsieur, grand, ouvrier fumiste,
effacé, solitaire dans le quartier, il monte pourtant souvent le Sablard en
zigzag !...
Il faut bien dire qu’à cette époque, presque toutes les maisons
du quartier avaient un représentant de la boisson. Ce n’était pas comme
maintenant, le travail physique était dur. Dans le bâtiment il n’y avait
pas toute cette mécanique qui aujourd’hui soulage l’homme; tout se
faisait à la main. Dans la porcelaine le poids des planches chargées de pièces
à cuire et la chaleur des fours, donnaient l’occasion de boire. Le
travail fini, à la sortie de l’usine, on buvait au café entre copains.
Aujourd’hui cela se passe à la maison, c’est plus discret; on ne voit
plus dans la rue des « Soûlauds » se donner en spectacle.
En descendant l’avenue à gauche, sur élevé de la route, un
tremplin appelé « Terrasse ». Sur cette plate-forme un tilleul
dans lequel nous nous amusons beaucoup. Il fait ombrage à quelques
locataires des maisons du fond de la terrasse. Là, assises sur des chaises,
les Mémés rebouchent les trous des chaussettes ou font du tricot. Elles
passent une partie de leurs après midi à regarder du haut de leur
perchoir, défiler la vie du quartier. Tous les « cancans » et
les potins partent de là.
Dans
la maison du fond, deux familles, chacune avec leur particularité, méritent
que l’on s’y attarde un peu.
La famille ANCEL
Le père, la mère et deux enfants
-Dédé et Michel qui jouent
avec moi et les autres copains du Sablard.
Dans
le quartier le couple à un surnom : c’est « le Bijou et la Bijoue ».
Elle, belle femme dans
l’ensemble, n’a pas de profession bien déterminée. Elle aide un peu
son mari « le Bijou ». Dans ses discutions, elle parle souvent
de son ventre tout rapiécé (elle aurait subi, d’après elle je ne sais
combien d’interventions chirurgicales). C’est une femme de bons
services. Elle rendra souvent visite à ma mère dans les dernières
souffrances de sa vie.
Par son langage un peu cru mais franc, son verbe haut et imagé, elle
anime les soirs d’été, les veillées.
A cette époque on n’a pas la télévision et bien souvent, pour
certains, la soupe se mange dehors, assis sur les marches en pierre dans la
rue devant les maisons. D’autres, se mettent aux fenêtres pour participer
aux discutions.
En
repensant ces détails, que de souvenirs précieux. Comme la vie était
sympathique durant ces soirées. Que de choses partagées en commun. Il
faisait bon vivre dans cette simplicité, cette camaraderie et ce bon
voisinage. Que le quartier était vivant durant ces soirées d’été où
chacun y allait de son histoire ou de sa blague.
Le Bijou, lui, c’est une figure que tout le monde connaît dans le
quartier des Ponts et même en ville.
Il fait trente six métiers, plus
ou moins reconnus. Il fait le videur de greniers, il récupère la
ferraille, les bouteilles, la porcelaine, les baignoires, en bref tout ce
qui peut se vendre. Il l’entrepose derrière la maison pour en faire la
vente aux marchés aux puces. Si l’on a besoin de quoi que se soit, on
s’adresse à lui, il vous le déniche.
Il fera le primeur ambulant. Il
passe dans les quartiers avec son associé dénommé « Pied de Beurre »
- on ne sait pas son nom, il est baptisé ainsi à cause de sa jambe molle
qui laisse traîner un pied. Sur une « Baladeuse » (grand
chariot plat en bois avec deux poignées en bout pour le pousser), ils
vendent surtout des bananes.
Plus tard il fera le pêcheur sur
la Vienne, en bateau, et fera le commerce de son poisson.
La famille VALET
Le père, la mère et huit ou neuf
enfants. La mère, une femme de mérite, courageuse, toujours propre dans sa
simplicité à qui l’on demande beaucoup pour faire face à tous les problèmes
de la maison. Aucun soutien de la part du père VALET mieux connu sous le prénom
de « Jules ». On ne sait pas trop de quoi ils vivent. Les aînés
travaillent; lui, Jules doit toucher du chômage, pas grand chose pour faire
bouillir la marmite; surtout que Jules écluse pas mal et ne rentre pas
souvent à jeun. Des difficultés de trésorerie amèneront un jour à la
saisie par huissier. C’est cet événement qui vaut la peine d’être
narré.
Un jour, voici un camion qui s’arrête au bas du chemin qui monte
aux maisons de la terrasse. Deux hommes se dirigent vers le logement des
VALET. Un troisième suit une serviette sous le bras. C’est maître
CORBINEAU, huissier de justice bien connu dans Limoges pour ce genre de
travail.
Au bout d’un moment le mobilier commence à défiler vers le
camion. Jules, bien sur n’est pas là, mais le « téléphone arabe »
comme on dit a fonctionné. On s’est empressé dans le quartier de vite
lancer la chasse pour trouver et ramener Jules. C’est à ce moment que
commence le piquant de l’histoire.
Imaginez la scène !
D’un côté les hommes de CORBINEAU qui descendent le mobilier dans
le camion, et en sens inverse, Jules, les enfants présents et quelques
voisins qui remontent le tout dans la maison. Au bas du chemin et autour du
camion c’est l’attroupement, la rigolade. Tous les voisins encouragent
Jules (vas y Jules, vas y Jules) et lancent des quolibets à l’huissier
qui menace de poursuites.
Après peut-être une heure de ce manège infernal, CORBINEAU et ses
hommes abandonnent et plient bagages toujours sous la risée de la foule.
Jules a remporté la victoire et l’affaire sera classée : que
peut-on faire à cette famille nombreuse de peu de ressource ?
Continuons à descendre l’avenue :
La maison PERGAY
Plutôt la mère « PERGAY »
comme l’on disait lorsqu’on allait passer sa commande de bois et
charbon. Elle est veuve et le fils est à l’armée. C’est elle qui fait
marcher l’affaire.
Dans
le quartier, dans toutes les maisons on se chauffe et on cuisine au bois et
charbon.
Dans
le monde ouvrier du Sablard on ne fait pas d’avance de combustible. On
fait rentrer le bois et le charbon par deux ou trois sacs. C’est là que
l’on voit apparaître la mère PERGAY faisant ses livraisons avec une
brouette. Que de temps parcouru depuis cette époque !
On
utilise plusieurs sortes de bois selon l’emploi qui en est fait.
Des « fagots » : ce sont des branches de bois sec coupées
à environ un mètre et assemblées et ligaturées avec un fil de fer. Ces
fagots servent surtout pour chauffer l’eau des lessiveuses lorsque l’on
fait bouillir le linge.
Les « petits fagots », plus petits : c’est un paquet de
morceaux de bois bien sec d’environ vingt centimètres assemblés par un
fil de fer. Ce sont ces petits morceaux de bois que l’on va mettre en
premier sur le papier pour allumer le foyer de la cuisinière. Ensuite des
morceaux plus gros. Lorsque le feu est bien vigoureux, on ajoute du charbon
si on cuisine ou des « boulets » (c’est une poussière de
charbon moulée), pour entretenir le feu l’hiver.
Tous les matins, il faut avec le tisonnier (tige de fer recourbée
que l’on passe entre les barres de la grille du foyer) faire tomber les
cendres froides dans le cendrier, qui se trouve sous le foyer, avant
d’allumer le feu de nouveau.
Il
ne faut pas être pressé. Quel changement depuis avec l’arrivée du gaz
et de l’électricité!. Les cendres sont jetées dans le jardin ou
l’hiver sur les trottoirs pour éviter de glisser par temps de neige ou de
verglas.
Chez AYMARD
C’est là, dans une petite salle derrière l’épicerie, que se
retrouvent, le dimanche, les hommes du quartier pour boire et faire la
partie de cartes.
La mère CANTILLON
Une figure importante pour moi.
Madame CANTILLON tenait (avant de la céder à ses enfants) la
boulangerie du Sablard à côté du garage de mon père. Elle faisait les
tournées dans le quartier et les environs. De ce fait elle servait ma grand
mère BOULAUD quand nous habitions chez les soeurs. Elle connaissait très
bien notre situation familiale et comme expliqué au début, elle était
dans le clan des BOULAUD. Elle avait beaucoup d’amitié pour nous et
donnait souvent à ma grand mère un petit pain pour le petit Jacques. Quand
j’irai à l’école plus tard elle se manifestera toujours. Elle cédera
la boulangerie à son fils et à sa belle fille. Elle habite la petite
maison de l’autre côté de la rue, en face du garage COMBEAU. A la suite
de malheur (sa belle fille se noie volontairement en voiture au pont du
Dognon) elle se met à boire, (d’après les employés de l’Union) une
demie bouteille de rhum Négrita par jour. Souvent quant je vais ou reviens
de l’école et qu’elle est à sa fenêtre, elle m’appelle, descend,
ouvre la petite porte qui donne sur la rue, m’embrasse dans un parfum
d’alcool et me donne cinquante centimes. C’est une aubaine pour moi et
les copains. […]
Les
commerçants ambulants
Les
Laitières
Dans cette enfance des années trente et après, il y avait très peu
de voitures qui paissaient dans l’avenue du Sablard. Toutes les livraisons
se faisaient avec des charrettes attelées à des chevaux.
Le ravitaillement en produit frais vient des fermes qui se trouvent
situées entre SOUDANAS et PANAZOL. Tous les matins, c’est le défilé des
laitières (Les CLAVAUD, FALCON, MARIETTE, MILIE etc. Chacune s’arrête de
maison en maison.
Nous c’est la MARIETTE qui nous propose ses produits.
Dans sa charrette on y trouve tous les légumes frais du jardin
ramassés la veille dans la soirée et vendus le lendemain matin. La vente
se fait au détail à l’aide d’une balance à crochet.
A l’époque qui aurait pu penser à la balance électronique.
C’est un plateau rond en métal d’environ trente centimètres de
diamètre avec un rebord, tenu par trois chaînettes reliées par un anneau
à une barre portant des encoches graduées sur laquelle un poids se déplace;
on connaît le poids de la marchandise lorsque la barre reste horizontale.
On fait ses achats selon l’importance de la famille mais surtout selon ses
ressources.
Je revois encore, ces charrettes peintes de couleur marron, bleue ou
verte. Le conducteur est assis sur une planche parfois avec un petit
rembourrage pour adoucir le contact des fesses. La planche est de la largeur
de la charrette tenue par des ferronneries : on peut asseoir deux personnes.
A l’arrière, les bidons de lait, le beurre, la crème, la caillée, les
fromages blancs, les légumes. Tous ces produits naturels, quel régal ! Il
me semble que je sens encore le parfum et le goût de tout cela :
seuls, les anciens comme moi peuvent le ressentir.
Le
Lait
En direct des prés de la vache, pas de passage à l’usine. Il est
onctueux, crémeux, il sent bon. Il est distribué avec des « mesures »
d’un quart, demi ou litre. La ménagère apporte son récipient ou une
bouteille pour faire remplir.
Le
Beurre
Il est vendu au détail ou à la plaque de forme ovale posée sur une
feuille. On en consomme peu, toute la cuisine est faite au saindoux (la
graisse de porc fondue). Quant au petit déjeuner, il est plus simple que
maintenant, du pain trempé dans du café au lait ou du chocolat. Pour
certains travailleurs homme, un peu de soupe.
La
Crème
Directement du lait que l’on écrème, après avoir porté à ébullition
et laissé refroidir. Elle est moelleuse, elle sent bon : sur le pain
c’est un délice.
La
Caillée fraîche
On met dans le lait frais de la « Présure » qui permet
de le coaguler. Après le temps de prise on fait égoutter dans un récipient
comme une sorte de moule en forme de tube percé de petits trous. Ce récipient
repose sur un socle qui recevra le petit lait. Ce lait caillé est à
consommer le jour même. L’été, bien fraîche, saupoudrée de sucre
c’est un dessert délicieux et rafraîchissant. Un met qui a complètement
disparu de la vente. Ce que l’on trouve de nos jours et que l’on appelle
caillée, c’est la première phase évolutive du fromage blanc frais. Rien
à voir.
Toutes ces laitières, avec leur passage de maison en maison animent le
quartier. En faisant leurs achats les femmes en profitent pour se retrouver
autour des charrettes et parler des dernières nouvelles. On les nomme les
« cancanières du Sablard ».
Après le passage des chevaux, on ramasse avec une balayette et une petite
pelle le crottin pour fumer le jardin.
Le Caïfa
Un autre commerçant ambulant que
l’on imagine mal dans les rues, aujourd’hui.
Sa vente principale, le café avec quelques autres produits s’y
rapportant, sucre, gâteaux. Sa voiture, une caisse, un coffre plutôt, fermé
par un couvercle bombé que l’on lève et baisse à chaque arrêt. Le
coffre est monté sur trois roues; deux à l’avant et une directionnelle
à l’arrière. Une barre poignée pour pousser et diriger. A l’avant un
gros chien attelé qui tire pour aider son maître. Curieux
non ?
Pour
prévenir la clientèle, Monsieur Caïfa
a une petite trompette suspendue à son cou.
Le
marchand de poisson
Sa voiture à bras, une baladeuse, sur ce plateau de la glace pour
maintenir au frais quelques variétés de poissons.
On consomme surtout des ailes de grosses raies bien épaisses. Le tout est
recouvert de serpillières mouillées. Le froid est encore simple à cette
époque.
Le
ramasseur de peaux de lapins
Encore une corporation disparue. C’est un homme qui passe toutes
les semaine devant les maisons. Il a lui aussi une petite trompette et crie
après chaque sonorité de sa trompe : « Peaux de lapins, Peaux. ».
Si la peau qui lui est remise est de bonne qualité - selon son estimation -
il vous donne entre 25 et 50 centimes. Dans ces années là, dans beaucoup
de familles, on élève des lapins domestiques, dans des clapiers situés au
fond du jardin, à l’arrière de la maison. L’élevage est simple, de
l’herbe, du trèfle, des épluchures de légumes et du pain dur. Une
nourriture naturelle, saine et gratuite : pas de granulés... Les lapins ne
sont pas malades et lorsqu’on les tue pour les manger, on les dépouille
en faisant bien attention de ne pas couper la peau. Celle ci sera retournée
puis tendue et sera mise à sécher et vendue au ramasseur.
A
LIMOGES, il y a une usine de traitement des peaux de lapins. Le commerce de
la fourrure est florissant, question de mode à l’époque.
Le
ramassage des eaux grasses
Monsieur SOUVENT est ramasseur des eaux grasses pour le compte de la
ferme de l’hôpital Chastaing. Plusieurs fois par semaine il passe dans le
Sablard avec sa charrette à cheval pour aller en ville faire la tournée
des grands restaurants. Il ramène les eaux grasses que lui gardent les
cuisiniers. Le stockage se fait dans de grands bidons attachés à l’arrière
de la charrette. Ces eaux serviront à faire la « bacade » aux
cochons de la ferme. C’est un métier difficile: Pauvre Monsieur SOUVENT!
à chaque restaurant il faut boire un petit coup, et les petits coups
deviennent grands ... Aussi le retour est pénible, heureusement le cheval
connaît le parcours.
Ce sont tous ces commerces
ambulants, tous ces gens qui animent notre quartier par leur défilé
tranquille. On se parle, on prend le temps de vivre.
[…]
L’Étameuse
A l’entrée du chemin de Soudanas, au pied de la maison CANTILLON
se trouve un espace rectangulaire (le même de nos jours). Deux êtres qui
seraient qualifiés aujourd’hui pour le moins curieux et étranges, vivent
d’un métier artisanal disparu. C’est la Denise, son fils et le
bourricot. Le nom de famille qui le sait ? Bien peu de gens : c’est l’Étameuse
du Sablard.
Dans
cet espace, lorsqu’il fait beau, on peut les voir travailler. Les autres
jours ils sont dans une pièce du rez-de-chaussée de la maison CANTILLON.
Assis sur des tabourets, un
tablier en cuir sur les genoux devant un feu de bois (comme une petite
forge) où chauffent des fers à souder, entourés de récipients de toutes
sortes (casseroles, cuvettes, bassines, chaudrons, lessiveuses etc ...), ils
bouchent les trous en fondant des bâtons d’étain sur les objets qui
leurs sont confiés.
Plusieurs
jours par mois ils font la tournée dans les rues de la ville, avec une
carriole tirée par le bourricot en criant : « Voilà le rétameur qui
passe, on bouche, on répare, on étame. On prend le travail à faire ou
l’on livre celui qui est fait ». En ce temps on ne connaît pas
encore la matière plastique. On a des récipients en fer galvanisé, en
fonte, en aluminium, en cuivre et dans toutes les familles ouvrières on
prolonge les ustensiles en les donnant à reboucher, souder ou étamer.
Les
blanchisseuses
Il n’y a pas de machine à laver le linge comme maintenant. Pour
les habitants du Sablard, le linge se lave dans la Vienne. Entre le Poisson
Soleil et le chemin de Soudanas il y a deux emplacements réservés à cet
usage. Le premier est au bas du café LAFARGE, le second au pied des jardins
juste à l’entrée du chemin de Soudanas.
A ces deux endroits la Vienne a
fait deux petites anses qui coupent le courant de l’eau. Ici on a fixé
des pierres plates sur le bord de la rive. C’est ici que ma grand-mère
descend laver notre linge.
Le matériel est très
rudimentaire : il comprend « le bachou », c’est une caisse en
bois avec un fond et seulement trois côtés et une ouverture à l’avant
qui permet de placer un coussin pour se mettre à genoux. Ce «bachou » est
placé sur une pierre pour le rehausser par rapport du niveau de l’eau et
devant la pierre à laver.
Le «péteu » c’est un
carré de bois dur un peu épais avec un manche, une brosse en chiendent, un
savon dit de Marseille.
Le linge est trempé dans l’eau
savonné, frotté sur la pierre avec la brosse, battu avec le «péteu »
pour faire sortir le savon, puis rincé. Puis de retour à la maison le
linge sera tordu pour finir de faire sortir l’eau, puis étendu sur une clôture
pour le faire sécher.
Mais pour le linge dit «blanc »
ou très sale, il est mis à bouillir dans une lessiveuse avant de le laver
dans la Vienne.
Certaines laveuses délicates,
rince leur linge une dernière fois dans une eau claire en ajoutant une
boule de bleu, rendant le linge plus éclatant.
Cependant, l’hiver, lorsque la rivière est en
crue, les pierres sont noyées et la lessive ne peut se faire sur le bord de
l’eau. Cela complique le travail, il faut des récipients de grande
contenance, et aller chercher beaucoup d’eau à la pompe du quartier ou
dans le puits, puisqu'il n'y a pas d'eau courante dans les maisons.
Mais pour le quartier, il existe encore deux formules, mais qui sont
payantes.
Au bas de l’avenue du Sablard il existe une blanchisserie
industrielle : la blanchisserie «DESCHAMPS ». C’est une
entreprise moyenne qui traite le linge. Il est collecté puis livré propre
à domicile.
La deuxième formule, c’est de confier son linge à des
Blanchisseuses.
Celle dont je vous parle se nomme
«la Grande Marthe ».
Elle habite dans la grande maison
du bord de l’eau au bas du chemin de Soudanas (maison qui a disparue
aujourd’hui). Elle travaille dans une grande remise tenant à la maison,
c’est la buanderie. Elle a tout son matériel pour faire bouillir, laver,
sécher. L’été le linge sèche dehors au soleil et à la lumière :
qu’il sent bon ! Mais l’hiver il faut le hisser dans le grenier
ouvert aux quatre vents pour faciliter le séchage. Une fois sec, le linge
est plié en carré et déposé sur une grande toile dont
on rassemble les quatre coins pour faire un nœud et emprisonner le
linge. Deux bandes de tissu cousues sont passées en cravate sur le front
pour maintenir le fardeau appuyé sur le dos. C’est ainsi que la Grande
Marthe va livrer ses clients.
C’est sa taille sans doute qui
lui a valu son surnom : c’est une figure des Ponts,
elle est connue de tous. Elle a disparu avec l’âge et sa maison
aussi. Que ferait elle aujourd’hui ? Elle serait commerçante ? Une laverie peut être, qui sait ?
La
maison du
« Poisson
Soleil »
Quatre ou cinq ans ont passés, nous allons quitter la première
maison des sœurs et glisser un peu plus bas dans la rue Froissard dans une
petite maison, attenant au café du « Poisson Soleil ». Le
propriétaire Monsieur LAROUDIE est à Paris.
Ces deux maisons avec des
changements depuis cette époque sont toujours habitées par le fils LAFARGE
: dernier du nom.
C’est dans ces lieux que je
passerai toute mon enfance jusqu’à l’âge de dix sept ans. La petite
maison se compose au rez-de-chaussée d’une cuisine moyenne. Le mobilier y
est très simple. A droite à l’entrée, une cuisinière à charbon avec
four. Elle fait le chauffage de la pièce et la cuisson des aliments. A
gauche, une table en bois. A côté une « maie » grande caisse
en bois montée sur pieds avec un couvercle. C’est là que l’on range
certaines provisions comme la graisse, le lard, la farine, le lait, le pain
etc.. Au fond de la pièce deux commodes l’une sur l’autre qui
contiennent la vaisselle, le linge de cuisine, des ustensiles. De cette
cuisine part un petit escalier abrupte, en bois, genre échelle de meunier
fermé par une porte qui dessert au premier étage une pièce mansardée.
C’est la chambre du cousin COMBETTE, si l’on peut appeler cela une
chambre. Le mobilier se compose d’un lit cage en fer avec une paillasse,
deux chaises, un placard. La lumière entre par une petite fenêtre
d’environ quarante centimètres de large.
Dans la cuisine pas de fenêtre,
seule la porte est vitrée sur la partie haute.
Au pied de cet escalier, une porte
légère, plutôt un cadre en bois tapissée, avec une targette comme
fermeture, donne l’accès à une chambre : C’est une grande pièce avec
une fenêtre et au fond une porte pleine toujours fermée.
A l’intérieur de la pièce deux
grands lits où couchent, dans l’un, ma mère et sa soeur Anna, dans
l’autre ma grand mère et moi. Plus tard, ma tante Anna rentrera à
l’asile de Naugeat (maintenant Esquirol) et ma mère malade fera souvent
des passages à l’hôpital du Cluzeau. De ce fait la grand mère et moi
aurons un lit chacun. Entre les deux, une table de nuit avec à l’intérieur
le Pot de chambre. Au fond de la pièce une commode à deux portes avec un
grand tiroir. Sur le dessus, des bibelots et une pendule sous globe. Dans ce
meuble, les draps, le linge de couchage et de toilette.
Un placard dans lequel on range
tous les habits. Deux chaises, une table de toilette.
Pour chauffage, seul un poêle à bois. Aussi l’hiver la pièce est très
humide, celle ci étant contre terrain sur l’arrière. Durant les hivers,
le matin, il y a du givre sur la tapisserie qui scintille.
On fait la toilette dans une cuvette jaunie, puis on jette l’eau dans le
jardin.
Pour la cuisine un évier
rudimentaire pour faire la vaisselle. Les eaux sales s’échappent par un
tuyau en ciment et se jettent dehors pour se perdre dans le terrain.
Il n’y a pas de sanitaire. Les
« cabinets » comme on nommait les W. C. sont dans une cabane en
bois, sous une tonnelle qui se trouve chez LAFARGE à environ cinquante mètres
de la maison. Le siège est un trou dans un socle en bois. Le papier
toilette n’est autre que les pages de vieux journaux accrochées à une
pointe. L’évacuation par un tuyau en ciment traverse le jardin des
LAFARGE puis direction la Vienne. C’est le seul cabinet pour deux maisons
et les clients du café. Il fallait prévoir pour éviter les surprises désagréables.
Nous n’avons pas l’eau
courante. Il faut aller la chercher à la pompe à bras dans la cour du café
à une vingtaine de mètres. Aussi, il y a toujours un seau d’eau sous
l’évier dans la cuisine qui attend utilisation.
L’hiver il faut habiller la pompe avec de la paille et des linges
pour lutter contre le gel. Malgré cela il arrive qu’au cours de nuits très
froides, ce ne soit pas suffisant. Aussi, le matin, il faut réchauffer le
corps de la pompe à l’aide de torches de paille enflammées.
Attenant à la maison, un ensemble de bâtiments, comprenant un grand
hangar où se trouve un peu de tout; la réserve de bois, de charbon, les
outils de jardinage, une échelle et tout ce qui ne peut loger dans la
maison. Le hangar est fermé et une autre porte donne accès à un cabanon
de deux pièces avec fenêtre. Dans la première du vieux meuble, des
chaises et beaucoup d’autres objets : un véritable débarras. Dans la
deuxième ce sera mon domaine lorsque je ne jouerai plus comme un gamin avec
les copains. Elle est meublée avec une commode où j’ai rangé des
livres, un tableau pour jouer au professeur, sur un mur une carte de France,
sur un autre des photos de coureurs cyclistes du Tour de France. Sur la
porte j’ai inscrit « Défense
d’entrer sans frapper ».
Devant la maison, fermé par une
clôture, le jardin. La grand mère et le cousin COMBETTE (quand il est décidé)
font venir des légumes. Moi, mon travail, c’est de m’occuper des fleurs
: J’ai des tulipes, des lupins de la jalousie (oeillet du poète), de la
gerbe d’or, etc ...
Derrière le cabanon, au pied de
la maison où habite la famille SOUCHIN nous avons une deuxième parcelle de
jardin.
C’est indispensable pour la
famille qui dispose de peu de ressources; d’autant qu’a l’époque la
culture des légumes ne nécessitait pas de traitement contre les maladies
comme aujourd’hui.
Au bout de cette parcelle, une
volière où se promènent des poules, des poussins, des canards. Elle est
adossée à une cabane en bois dans laquelle on élève des lapins. Tout
cela permet d’améliorer les repas du dimanche et des jours fériés.

Le
Poisson Soleil dans les années 30 vu de l'Échanlette le jour
de fête de la Vienne
cliché
Nouvelles Galeries. Collection Archives Municipales
Café
« Le Poisson Soleil »
Parlons maintenant du café (Le Poisson Soleil). C’est très
important pour moi car c’est là que je trouverai ma deuxième famille et
que bien des événements que je conterai auront souvent pour point de départ
le café « LAFARGE ».
C’est une grande maison.
L’intérieur
Au rez-de-chaussée on entre
par une petite porte. A droite, une grande table en bois, solide et au
dessus une petite fenêtre. Au fond, en tournant, un évier surmonté d’un
placard qui contient les différents verres du café.
L’eau de l’évier s’évacue
dans un caniveau cimenté dans la rue Froissard. Devant l’évier le sol
est cimenté, le reste de la pièce, un plancher en bois.
Au
fond de cette pièce, à côté de l’évier, monte un escalier en bois, très
étroit et abrupte, une rampe sert de garde-fou. C’est l’accès au
premier étage.
Sous l’escalier caché par un
rideau, divers ustensiles de nettoyage, balais etc. En face de la porte
d’entrée, un comptoir avec le tiroir caisse. Dessus le nécessaire pour
écrire, pour faire les comptes et en décoration deux douilles d’obus de
la guerre de 1914-1918. Au dessus de ce comptoir, sur le mur, des étagères
avec toutes les bouteilles d’apéritif. A la suite une grande cuisinière
à bois et charbon avec four et sur le dessus une grande friteuse remplie
d’huile où l’on fait cuire les fritures de poissons.
Dans le prolongement une immense
vitrine du plancher au plafond avec deux grandes portes coulissantes. Dans
ce meuble est rangée la vaisselle du café-restaurant.
A gauche de la porte d’entrée,
un grand paravent en bois marron abrite des regards une grande table
couverte d’une toile cirée. C’est l’endroit où la famille prend ses
repas. J’y mangerai aussi très souvent, les jours de congés où je
travaille avec mon oncle. Une fenêtre apporte la lumière et l’après-midi
quelques privilégiés y jouent aux cartes.
Après cette table et la vitrine
qui se font face, deux marches. Sur le palier à gauche une porte qui donne
accès à la cave par un escalier en bois très rapide.
Une deuxième porte ouvre sur une
grande salle avec tables, chaises et au milieu un billard à trous. La pièce
est éclairée par une grande fenêtre. Je jouerai quelques fois au billard
en présence du tonton, mais pas assez à mon goût, mais il faut faire
attention de ne pas percer le tapis vert qui coûte cher. Je ne suis qu’un
enfant.
Au fond de cette pièce appelée
« grand salon » une porte qui ouvre sur un couloir fermé sur
trois côtés. Le quatrième, avec deux marches cimentées, sert d’entrée
par la cour, juste à côté du portail de notre maison. Dans ce petit
couloir à gauche, une porte qui ouvre sur une salle qui est mitoyenne avec
notre maison : C’est le « petit salon ». Ce salon abritera des
repas plus intimes où des personnalités viennent passer un après-midi de
détente autour d’une bonne friture de poissons.
La cave est sous le grand salon en
contre bas de la cour. A part le petit escalier intérieur déjà cité, une
porte à deux battants ouvre au niveau du passage. C’est par cette
ouverture seulement que se fait tout l’encavage.
Au premier étage, en haut du petit escalier déjà décrit, on débouche
dans une chambre : celle du fils, Jean LAFARGE. En continuant sur la gauche,
pas au même niveau, il y a une marche, la chambre de la tante et de
l’oncle LAFARGE : c’est une grande pièce avec une fenêtre qui
s’ouvre sur un balcon.
Chez eux comme chez nous, pas de salle d’eau ni de W.C., mais pour
le confort du logement il existe une très grande différence.
L’extérieur
L ’entrée se fait par un portail assez grand, en bois ajouré.
Passé ce portail, a droite sous la fenêtre de la cuisine, un grand coffre
en bois sans couvercle avec compartiments. On y dépose toutes les
bouteilles vides du café en les classant par fournisseurs (brasseries
Mapataud, Laplagne etc.). Le vin étant livré en fût, les bouteilles sont
la propriété du café et travaillent en circuit fermé. Les bouteilles
vides du coffre seront reprises par les fournisseurs au moment des
livraisons.
Après la porte de la cuisine et
la fenêtre, part un escalier fermé qui débouche dans la chambre de
Monsieur et Madame LAFARGE. Cet escalier n’est jamais utilisé. Sous
celui-ci, dehors, se trouve la niche du chien. En suivant la porte de la
cave, la pompe à bras avec un grand bac en ciment qui sert à de nombreuses
activités, et pour terminer ce côté le portail de notre maison.
Côté gauche, en entrant, une grande salle de café construite sur
des piliers béton, un sol cimenté, une couverture en tuiles ouverte sur le
devant et fermée sur les trois côtés. Trois rangées de tables en bois
font le mobilier. C’est la partie « Café » de l’établissement.
C’est à l’intérieur de cette salle, que la semaine, règne la plus
grosse activité. C’est là que les habitués et les pécheurs se
retrouvent pour les parties de cartes et les casse-croûtes. A la suite du
café se dressent deux espaces couverts, séparés par un passage étroit
qui descend à l’aide d’un escalier dans le jardin et au réservoir à
poissons qui se trouvent en contre bas.
Le
réservoir à poissons
Il est couvert et fermé à l’aide d’une clé. Il comprend, sur
le sol, deux bacs cimentés de dimensions différentes : un petit pour les
petits poissons et l’autre plus grand pour les plus gros. Ces deux réserves
sont alimentées par de l’eau de source qui coule sans interruption. Le
trop plein s’évacue dans la Vienne.
Mais revenons aux deux parties couvertes citées plus haut. Elles
abritent deux grandes tables autour desquelles sont fixés des bancs en bois
sur toute la longueur. A la bonne saison on y sert des repas. A la suite,
toujours côté gauche (a droite c’est une rangée de troènes qui sépare
le café et le jardin de mes parents), les cabinets. Toujours à la suite,
trois tonnelles de verdure plus intimes où là aussi, à la bonne période,
on servira la friture de poissons.
Au fond du terrain, en travers, on trouve un hangar, un atelier, deux
gros cerisiers et un passage pour rejoindre le jardin en contrebas.
Voici planté le décor dans lequel je vais vivre jusque en 1942.
L’École
C’est l’âge de la maternelle, je vais à l’école du Pont
neuf, rue des Carriers. C’est une grande école qui conduit de la
maternelle au certificat d’études dans un premier temps, ensuite un cours
supérieur de deux années et trois classes de préparation pour l’entrée
à l’École Normale d’Instituteurs. Elle est contiguë à l’école des
filles qui prépare l’entrée au lycée.
Cette école avec quelques
changements est toujours située sur le même emplacement.
A la maternelle, c’est Madame
GILLET avec une autre personne qui s’occupe des enfants. La journée se
passe très simplement. Il y a des heures pour dormir et d’autres pour
quelques activités très simples. Avec des rubans de papier entrelacés de
couleurs différentes, on fait des petits tapis. On chante également et on
fait à la ronde dans la cour. Rien à voir avec les activités d’éveil
de l’école d’aujourd’hui.
A l’âge de six ans je vais passer au cours préparatoire dans la
cour au dessous. De classe en classe dans différents bâtiments, je vais
passer toute ma période scolaire dans cette cour.
Comment
est la vie d’un garçon dans cette école
La première année au cours préparatoire on ne fait pas grand
chose. L’instituteur Monsieur BELLANGEON, nous joue du violon, qui endort
certains enfants. On chante, on commence à compter à l’aide de bûchettes
- ce sont dix petits bâtonnets de la grosseur d’un crayon de dix centimètres
environ de longueur, attachés ensemble comme un petit fagot.
Ensuite passage aux cours élémentaires,
puis cours moyen première année.
On va faire un temps d’arrêt à cette classe car l’instituteur
est un personnage très attachant.
Monsieur LEBREAU (bon enseignant) peut se décrire de la façon
suivante : taille un peu au dessus de la moyenne pour l’époque, maigre,
une grande moustache noire, un complet sombre, coiffé d’un chapeau.
Monsieur LEBREAU a un tic qui se
manifeste des dizaines de fois par journée scolaire. Il frise sa moustache
dans un premier temps, puis il met ses deux mains l’une dans l’autre,
les porte à la hauteur des ses yeux et dans un geste brusque il envoie ses
deux mains en avant en les séparant. Son péché mignon c’est la
gourmandise. Il a toujours du chocolat dans son placard et de temps à autre
pendant que nous faisons nos devoirs, on le voie se diriger vers sa réserve
et croquer un petit carré.
A une récréation il m’a vu manger un petit pain rond aux raisins
(25 centimes à la boulangerie du Pont Neuf). De ce jour il me demandera
plusieurs fois de lui en amener un pour manger avec son chocolat. C’est un
brave homme, estimé par ses élèves.
L’année suivante se passera dans un autre bâtiment, avec Monsieur
MOUNIER. C’est un instituteur plus jeune, tout aussi efficace, mais
d’autres méthodes. A lui je lui porte quelques fois son journal. Son
principal plaisir est de nous soulever du banc de table par les petits
cheveux de la tempe, lorsqu’on ne sait pas répondre ou que l’on a fauté.
Si j’ai eu le privilège de lui apporter son journal, j’ai eu
aussi la faveur du traitement des cheveux. C’est un instituteur juste. Je
le reverrai plusieurs fois comme client dans le magasin dont je serai
responsable beaucoup plus tard, rue François Perrin.
L’intérieur
d’une classe à cette époque
Des tables pupitre en bois de deux élèves assis sur un banc
attenant à la table. Sur celle ci, deux encriers en porcelaine encastrés
dans deux trous : un pour l’encre noire, un pour l’encre rouge. On écrit
avec des porte plumes en bois et des plumes métalliques de formes différentes
selon le texte à écrire. Toujours sur le dessus de la table, sur toute la
longueur, des encoches pour poser et retenir porte plumes et crayons.
La tablette se soulevait laissant place à deux compartiments, un
pour chaque élève pour ranger les livres et les cahiers de la journée.
Les cartables (carnassières) sont posés à terre dans le passage, appuyés
contre le pied de la table.
Une classe se compose de 35 à 42 élèves, mais on ne parle pas de
classe surchargée !!!. Cependant le clame y règne maintenu par
l’instituteur. Tous les élèves travaillent de gré ou de force et les résultats
sont très bons.
Au mur, en face des élèves, un
grand tableau noir où l’on écrit à la craie blanche ou de couleur.
Au pied de ce tableau, le bureau du maître, perché sur une estrade,
à laquelle on accède par une
ou deux marches. Sur les autres murs, des cartes géographiques ou des
gravures.
Au fond de la classe, le poêle pour le chauffage l’hiver :
chauffage bois et charbon coke. C’est une femme d’entretien qui allume
avant l’arrivée des élèves, mais c’est le dernier dans la classe se
trouvant à proximité qui a la charge de l’alimenter avant de sortir pour
la récréation.
[…]
Chaque trimestre nous devions subir ce que l’on appel « les
compositions » (aujourd’hui les « contrôles »).
L’instituteur annonce à l’avance le jour et la matière écrite ou
orale sur laquelle l’on doit plancher. Puis l’exercice terminé, on relève
le cahier réservé à cet effet qui fera l’objet d’une notation.
Toutes ces notes sont additionnées avec une note supplémentaire qui
est la note de « conduite » estimée par le maître. Puis on
calcule la moyenne pour obtenir le classement de l’élève par rapport à
l’ensemble de la classe. Une annotation personnelle du maître vient
terminer la page qui devra être signée par les parents. C’est une
mauvaise période pour beaucoup. Pour certain les punitions sont distribuées
à la maison.
Pour moi ce ne sont pas des
instants trop pénibles, car je suis assez bon élève, je me classe
toujours dans les trois premiers.
En fin d’année scolaire, il y a une remise des prix. Selon les
notes générales de l’année, on obtient un premier ou deuxième prix
d’honneur, un premier ou deuxième prix d’excellence, dans les
principales matières. Ces prix sont représentés par des livres qui sont
donnés par la commune. Certains élèves reçoivent trois ou quatre livres.
Chaque élève qui doit recevoir un prix apporte un ruban de couleur pour
faire un seul paquet de ses livres. Une fiche, préparée par
l’instituteur, mentionne les prix obtenus dans chaque matière : elle sera
lue au moment de la remise des prix. Cette distribution a lieu avant le début
des vacances d’été. Dans la cour de l’école une estrade est dressée
sur laquelle sont assis : le directeur, les professeurs et quelques
personnalités. Les prix sont posés sur une table. Les familles attendent
l’ouverture de la cérémonie dans une ambiance chaleureuse.
[…]
Me voici arrivé
à la classe du Certificat d’Études (c’est le premier diplôme
scolaire pour notre génération).
A l’école du Pont Neuf, deux
classes y préparent. Au niveau de la cour, celle de Monsieur VERGNAUD avec
quarante deux élèves. C’est un très bon enseignant étant donné les
bons résultats obtenus à chaque examen.
Celle de Monsieur JOURDE, au
premier étage, avec trente huit élèves.
Avec mes copains, René et Marc nous sommes dans cette dernière.
C’est avec lui que nous allons passer deux années scolaires.
Cet instituteur me connaît très
bien car il habite dans le Sablard, dans une maison à côté de la « Grande
maison carrée » et en face de la boucherie MOULY.
Monsieur JOURDE est un peu
particulier. C’est le roi de la baguette. Avec sa baguette en roseau il
donne des coups aux mauvais élèves ou à ceux qu’il n’a pas en estime
et ne savent pas répondre correctement devant le tableau noir. Il tape à
la pliure, derrière la jambe et cela fait très mal quand on a un pantalon
court. D’autant qu’il n’était pas très partial envers tous les élèves.
Voici quelques faits qui illustrent ce comportement.
A LIMOGES, ville de gauche
politiquement depuis très longtemps, certains instituteurs ont tendance à
trop afficher leurs opinions et si possible à les faire partager à leurs
élèves. Aussi un élève qui répond à une question « je crois que
... », Monsieur JOURDE répond « ici on ne croit pas, on est
sure, c’est à l’église que l’on croit (tirade théâtrale) et la
punition tombe plus vite si l’élève prépare sa première communion.
[…]
La cour de l’école est ouverte
aux élèves un quart d’heure avant l’heure de l’entrée en cours. Il
y a un instituteur de service pour la semaine, connu des élèves, ce qui
leurs permet, en cas de problème, de s’adresser à lui.
L’heure de rentrée en cours est
signalée par une cloche fixée sur un mur du préau. C’est
l’instituteur de service qui donne le ton. Parfois il confit cette tâche
à un élève qui passe à proximité de lui. A ce signal, tous se
rassemblent et se rangent en rang par deux face à la porte de leur salle de
classe. Au coup de sifflet entrée dans la classe, en silence et la tête décoiffée.
Si l’un de nous est surpris à parler trop fort il écope d’une punition
: 20 ou 25 lignes d’un texte à écrire, ou encore 20 ou 25 fois la phrase
« je bavarde en rentrant en classe » conjuguée à plusieurs
temps, bien écrit et sans faute, à présenter dès le lendemain.
Les cours terminés, à midi et le
soir, l’instituteur de service accompagne les élèves jusqu’à
l’avenue du Pont Neuf. Il a le rôle d’agent de police pour les aider à
traverser. Il faut noter que les véhicules sont rares, mais surtout qu’il
n’existe pas encore de feu de trafic.
Les
récréations
La cour est fermée par des murs ou des bâtiments. En façade, le
long de la rue, un grand mur. Une porte et deux marches permettent d’accéder
à la cour. A droite un autre mur ou se dessine une porte pour pénétrer
dans la cour de l’école de filles et une série de W-C. Au fond, un préau
abrite l’entrée de chaque classe et nos jeux lorsqu’il fait mauvais
temps. Sur la gauche deux classes et un escalier qui conduit sous abris, à
trois classes. Au rez-de-chaussée, une pente douce conduit au sous sol.
Sous les fenêtres de ces deux classes, des bancs réservés aux
instituteurs, pour s’asseoir durant les récréations à la belle saison.
Au delà de l’escalier quelques bancs réservés aux élèves.
L’Église
Le
patronage
Baptisé, comme beaucoup de mes camarades, je vais à l’église
Sainte Valérie deux fois par semaine, le mardi et le vendredi, suivre les
cours de catéchisme, de onze à douze ans pour préparer la communion.
C’est pratique. A la sortie de l’école à onze heures trente, je
traverse l’avenue du Pont Neuf et cinq minutes après je suis sur place. A
la tête de l’église, le curé CLAPIER, assez âgé il a fait la guerre
de 1914 - 1918 avec le grand père COMBEAU. Il connaît bien la famille et
aussi ma situation parentale. Il est secondé par l’abbé LATRILLE, un
homme charmant. C’est lui qui nous fait les leçons de « caté. ».
comme on dit. Le curé et Mademoiselle Marguerite s’occupent des filles.
La paroisse est très importante en superficie et en activités.
A gauche de l’église, dans une
première cour, la maison de Monsieur le Curé. En face une salle pour
dispenser le catéchisme aux filles. Plus loin un grand bâtiment bien équipé
pour l’époque, il fonctionne encore aujourd’hui.
Au sous sol une très grande salle
dont une partie est réservée à la section de gymnastique et les répétitions
de la fanfare de « L’Alouette ». C’est le nom du club avec
aussi une section basket. Au fond de cette salle des bancs pour le catéchisme
et le cinéma du patronage. Au premier étage une autre salle avec des
tables de tennis de table et du matériel pour les jeux de plein air. Devant
ce local une grande cour qui s’étend derrière l’église jusqu’au
chemin du Marôme.
Dans cette cour, un terrain où évolue une très bonne équipe de
basket. A cette époque il faut signaler que le jeu se pratique en plein air
sur un sol de mâchefer[1]
concassé et roulé. Cette cour sert aussi le jeudi au patronage pour amuser
les enfants par beau temps.
Le
catéchisme
Comme précisé avant, deux fois par semaine, à la sortie de l’école
je prend la direction de l’église Sainte Valérie à la salle du catéchisme
où l’abbé LATRILLE nous enseigne la religion avec des livres et des
cartes fixées sur un tableau. Pendant deux ans on apprendra la vie du
Christ. Les différentes régions et villes où il séjourna et tout ce qui
se rapporte à la religion catholique. A chaque séance on a des questions
orales et une leçon à apprendre à la maison pour la fois suivante. Tout
cela c’est la partie sérieuse, mais il y a aussi une autre face, plus
divertissante. Certains jours je manque le catéchisme (que dieu me
pardonne) et comme c’est à la sortie de l’école, avec les copains qui
ne vont pas à l’église, je vais m’amuser un peu plus loin dans la décharge
dite du « pré Papon » (actuellement recouverte de
constructions). Elle se situe derrière le centre P.T.T. et l’imprimerie
Bontemps. C’est un énorme trou avec une dénivellation d’environ 50 mètres
où l’on décharge des gravats de construction, des pièces défectueuses
de l’usine LEGRAND ainsi que des pièces de carrosserie. Notre jeu favori,
à l’aide de gardes boue de voiture (grosse Citroën) qui sont en demi
cercle, c’est de glisser du haut du trou jusqu’en bas. Remonter et
recommencer. Les coups sont rudes et les blouses d’école fatiguent un peu
dans le parcours. A midi lorsque la séance de catéchisme est terminée
tout le monde rentre à la maison.
[...]
Le
patronage
Parfois les jeudis après-midi, je vais au patronage à Ste Valérie.
On s’amuse bien sur le grand terrain, on joue au ballon, aux échasses ou
au pas de géant. C’est un grand poteau en bois fixé en terre. Au sommet
un grand cercle qui tourne et sur lequel sont attachées des cordes tombant
jusqu’au sol, terminées par une grande boucle dans laquelle on passe une
jambe. A grandes enjambées on fait tourner le tout pour quitter le sol.
L’abbé LATRILLE s’occupe de
nous, il anime les groupes de jeux et il n’hésite pas à relever sa
soutane pour mieux courir. Une fois par mois, nous avons droit dans la salle
du sous sol à une histoire à épisodes qu’il raconte très bien, suivie
d’une projection de cinéma muet (Charlot et Laurel et Hardy).
Ces jeudis là, je retrouve des
copains de classe du Pont Neuf mais peu du Sablard. Dans le quartier, les
parents souvent ouvriers, sont dans l’ensemble socialiste.
LIMOGES est baptisée la « ville rouge ». La municipalité
du maire Léon BETOULLE, originaire du Sablard, est depuis longtemps
socialiste. Mais pour moi, le cercle familial étant restreint et mouvementé,
le patronage m’ouvre d’autres horizons de copains et de jeux.
L’été, tous les enfants du « Patro. », sous la
conduite de l’abbé et de plusieurs séminaristes, partent à pied de Ste
Valérie via le chemin de la morgue, le chemin des vignes (actuellement le bâtiment
neuf de l’hôpital Chastaing) et l’usine Legrand, pour déboucher sur la
route nationale en direction de Clermont-Ferrant, au lieu dit Le Chalet. Il
existe encore une partie des bâtiments transformés en magasin
d’exposition des porcelaines Tharaud. En ce temps là, le Chalet était
une buvette avec une salle pour faire bal en fin de semaine. On traverse la
nationale pour prendre en face l’allée du château de Mopienas. Une
grande allée toute droite, bordée de grands arbres jusqu’à la ferme du
château devant laquelle nous passions pour arriver enfin dans le « bois
des biches ».
Que de souvenirs de ces journées
passées dans ce bois. En particulier du jeu de piste. Divisés en plusieurs
groupes avec à la tête un séminariste, le jeu consiste à trouver sur un
parcours, à l’aide d’indices et de messages à décoder, la direction
à emprunter pour aboutir à un point où se cache l’objet recherché.
Mais parfois les messages sont ambigus et il faut deviner. Les groupes se
croisent troublant parfois la réflexion. Le groupe qui a trouvé le premier
le trésor est celui qui a gagné.
En fin de journée nous rentrons
en chantant à la paroisse saoulés par l’air de la campagne avec des égratignures
en souvenir.

Église
Sainte-Valérie. coll. Andrée Desjariges
Garderie
du jeudi à l'U. P.
Le jeudi lorsque nous n’allons pas au patronage de Sainte Valérie,
c’est à l’U.P. (Université Populaire) que nous passons l’après-midi.
L’entrée – toujours la même à ce jour – se situe au bas de
l’avenue du Sablard à côté du magasin d’alimentation « l’Union
de Limoges ». C’est un terrain en terrasse, ombragé par endroit où
sont construits deux bâtiments. La première petite maison construite en
partie avec du bois, est celle dans laquelle nous entreposons nos jeux. Plus
loin un bâtiment construit en dur, plus important qui abrite une importante
bibliothèque et une scène de théâtre pour les fêtes.
Les jeux sont plus simples qu’au patronage de Ste Valérie car nous sommes
plus à l’étroit. Mais quelques années plus tard, la société « Les
jeunesses coopératives (l’Union de Limoges) va acheter un terrain en
contre bas, en bordure de vienne. Nous allons pouvoir descendre d’un
niveau. Le terrain est plus grand pour nous permettre toutes les activités
et est planté de tilleuls dans
lesquels nous jouons à Tarzan en sautant de l’un à l’autre attachés
à une corde.
Là encore, chaque journée passée
se terminait en véritable histoire romanesque.
Mais à cet épisode de mon récit nous pouvons constater que chacun
de nous fréquentait aussi bien les patronages à tendance catholique que laïque,
sans aucune gène chez nos parents, dans la mesure où le but était d’éviter
de nous faire fréquenter le moins possible la rue toujours mal saine pour
des enfants de notre âge. Et pour nous aucune différence, seul le jeux
comptait qu’il vienne d’une instance ou d’une autre.
La
baignade
A Limoges, à cette époque, il n’y avait qu’une seule piscine,
petite et payante; celle de la route de Toulouse. Aussi la baignade a lieu
sur les bords de Vienne et en ce qui nous concerne, nous les Ponticauds
ainsi qu’une bonne partie des ouvriers travaillant aux alentours. La
baignade se situe entre la grande île et chez Vitrat. Évidemment dans
notre Limousin cela se pratique l’été, dès que l’eau de la Vienne
atteint une température raisonnable. Aussi tous les soirs, après la sortie
des usines, une foule d’ouvriers vient prendre un bain. A cette période
le chemin de Soudanas et le bord de Vienne voient pendant quelques heures
une animation incroyable. Avec les copains à la sortie de l’école nous
faisons partie de cette foule.
Mais le plus beau c’est le
dimanche après midi par beau temps. Des familles viennent passer leur repos
dans les prés au dessus de la grande île.
C’est
la mer des pauvres.
Tous ces gens étendus au soleil
bronzent et s’amusent dans une atmosphère bon enfant. Avec les copains,
l’île et la presqu’île sont notre royaume. Nous nageons, nous
bronzons, nous plongeons et nous draguons les filles. Oui, même à cette époque
cela se faisait !
Ces bons moments, quelque fois étaient
troublés par des incidents, car si l’eau de la Vienne n’était encore
pas polluée, elle renfermait un tas de pièges pour les baigneurs : des
bouteilles cassées, des morceaux de vieilles cuisinières, les planchers
des vieux bateaux et bien d’autres objets, qui jonchaient le fond.
Aussi, il n’était pas rare de
se faire des entailles aux pieds et aux jambes. C’est là qu’intervenait
la cantonnier fluvial. C’est le frère de Monsieur LAFARGE le patron du
« Poisson soleil », mais dans le quartier des Ponts on ne connaît
pas Monsieur LAFARGE Frère ; son nom est « Coq en Bois ». On
dit bien des choses sur l’origine de ce surnom: des histoires qui n’étaient
pas pour des enfants de cet âge, alors gardons le mystère. Sa fonction de
cantonnier fluvial s’étend sur deux périodes : L’été, au moment de
la baignade il navigue avec son bateau plat sur la Vienne entre le Port du
Naveix et l’écluse. Il est repérable de loin avec, attaché à l’arrière
du bateau un grand drapeau bleu, blanc, rouge. Il a une pharmacie à bord pour
apporter les premiers soins aux baigneurs. En période hivernale, il change
de fonction. Il nettoie les bords de Vienne. A l’aide d’une griffe, il
sort de l’eau casseroles et autres objets disparates. A cette époque la
Vienne est une grande poubelle. Il habite une grande maison au bord de
l’eau, chemin de Soudanas. S’il n’est pas sur l’eau et que vous le
cherchiez, alors aller au Poisson Soleil vous l’y trouverez sûrement.
La
fête de la Saint Jean - Les feux
La Saint Jean et ses feux sont une grande réjouissance dans le
quartier pour nous les copains mais aussi pour tous les habitants du Sablard.
Dans l’avenue trois feux. Le premier chez LAMOURE en face de l’octroie,
le deuxième, le notre, au pied de la terrasse en face de la rue Froissart.
Le troisième au bas de l’avenue du Sablard, sur la place en face du pont Saint-Étienne. Mais le plus grand, le plus beau, le plus fréquenté c’est
le nôtre.
Cette fête il faut la préparer,
l’organiser et c’est nous, tous les garçons qui habitent entre la
maison de ma tante BRISSAUD et l’épicerie AYMARD qui allons, pendant deux
semaines avant la Saint Jean, s’occuper de tous les préparatifs.
La première opération et la plus
difficile c’est d’aller chercher le bois.
Comme outils, deux choses. Une
hache et un câble d’une dizaine de mètres environ. La hache c’est généralement
René LEROY qui se la procure, le câble c’est selon les circonstances du
moment; car il faut savoir que ces deux objets se récupèrent en cachette
des parents. Ceux ci le sachant tous les ans, mais pensant, sans chercher
que c’est un autre enfant que le leur qui est dans le coup. Les jours de
classe, après la sortie de l’école, nous rentrons rapidement pour se
rassembler et partir en expédition. Nous ne pouvons pas aller bien loin
pour faire tomber les branches. Quelques grands arbres dans les prés du
bord de la Vienne et dans l’allée de la rue de la morgue à l’hôpital
Chastaing feront l’affaire (cette allée d’arbres a disparue lors des
tracés des nouvelles voies routières).
Pour tomber les branches, le procédé
était le suivant. René grimpait dans l’arbre et amorçait avec sa hache
une cassure. Ensuite du pied de l’arbre nous lancions le câble au bout
duquel nous avions attaché une pierre pour faire du poids. Il fallait
atteindre la branche, faire pendre un bout du câble pour pouvoir avec
l’aide de la pierre faire une prise et ensuite nous tirions tous sur le câble
pour faire casser la branche. Ce n’était pas toujours sans risque. Quand
nous lancions la pierre avec le câble et que nous manquions la branche, il
fallait bien suivre des yeux la pierre pour ne pas la recevoir sur la tête
au moment de sa chute. Même chose pour la branche quant elle tombait, il
fallait éviter de se trouver dessous. Il serait difficile d’imaginer
actuellement une bande de garçons allant tomber des branches d’arbres
bordant une rue en ville.
Pour les arbres des prés du bord
de la Vienne c’était plus tranquille, mais il arrivait qu’en plein
travail le propriétaire vienne nous faire courir. Nous récupérions vite
le câble et la hache avant de prendre la fuite. L’alerte étant donnée
assez tôt par le copain guetteur.
Nous revenions le lendemain récupérer
nos branches et les traîner jusqu’au mur de la terrasse, lieu de
stockage.
Mais au fil des années le circuit
s’allongeait et nous ne pouvions y aller que les jeudis.
Il fallait aller jusque dans les bois du Bas-Fargeas et ramener les
branches en les faisant traîner sur la route. Evidemment la circulation
automobile était pratiquement nulle, mais quand même, quel travail pour
notre âge. C’était un jeudi après midi bien rempli mais nous étions
poussés par l’orgueil, il fallait comme tous les ans que notre feu de la
Saint Jean soit le plus grand et le plus beau du quartier.
Dans la semaine avant la Saint
Jean, nous passions dans chaque maison pour récupérer un peu d’argent
pour acheter des fusées.
Enfin, voici le jour tant attendu.
Mobilisation générale. Voici
comment se fait la préparation.
C’est monsieur SOUVENT qui tous
les ans fait avec une grande pince, un trou dans le goudron au milieu de la
route. Madame PERGAY, fournit le grand piquet que l’on enfonce dans le
trou bien solidement car c’est lui qui servira d’armature aux branches.
Elle nous donnera aussi des fagots de bois que l’on va chercher avec une
brouette. Ces fagots mis au centre serviront à allumer le feu.
Toutes le branches sont pointées
en cercle autour du piquet; pour ce travail les pères rentrés de l’usine
nous donnent un sérieux coup de main. Des fleurs coupées par les mamans
qui ont un jardin seront assemblées en bouquet, puis attachées en haut du
piquet : c’est la tradition.
Tout est prêt. Pourtant il faudra
patienter jusque vers vingt et une heure afin que la nuit commence à venir.
Que de va et vient, d’impatience, à tourner en rond autour de cette
pyramide de bois. Et puis d’un seul coup, comme à un commandement tout le
quartier se réveille, s’anime. De toutes les maisons les familles sortent
dans la rue et se groupent sur les deux trottoirs. Les grand-pères et les
grand-mères sont là aussi, assis sur leur chaise. Le soleil a disparu, le
crépuscule est là. C’est le grand moment tant attendu.
Monsieur SOUVENT (Arsène pour ceux du quartier) allume une grande
torche de papier et la présente au tas de fagots. Des crépitements de bois
sec et une flamme qui s’élève de plus en plus grande et de plus en plus
haute.
Des cris de joie retentissent de
partout. La fête est vraiment commencée. Les adultes circulent de groupe
en groupe dans les rires et la bonne humeur tout en surveillant le feu.
Nous, les copains nous faisons partir des fusées et des pétards en
poursuivant les filles qui crient très fort.
Au fur et mesure que les branches se consument, les hommes avec des fourches
rassemblent le foyer.
Les flammes deviennent de plus en
plus courtes. Dans peu de temps ce ne sera plus qu’un brasier. Pour nous,
les garçons c’est le moment tant attendu, nous allons faire la « farandole ».
Tous les participants du plus jeune au plus âgé se donnent la main en
faisant un cercle autour du feu, de préférence un homme et une femme, un
garçon une fille. Au centre de la ronde un ou deux couples tournent en même
temps se tenant par la main. Tout le monde chante la chanson de la Saint
Jean. Au refrain « plus il la tient plus il l’embrasse » le
garçon qui tourne au centre de la ronde, embrasse sa cavalière. La chanson
terminée, ils vont choisir un autre couple pour les remplacer.
Pour nous les copains c’est le
moment préféré. Nous en profitons pour embrasser les filles plutôt deux
fois qu’une. Elle font bien semblant de résister mais c’est seulement
pour la forme. Quelle ambiance, quelle joie, tout le quartier s’amuse.
Le brasier se réduit de plus en
plus, nous allons pouvoir sauter le feu. Une file se forme. Deux hommes ou
deux garçons prennent par la main une femme ou une fille et en courant lui
font sauter le feu en la soulevant. Ceci sans arrêt et rapidement. Dès que
le feu est sauté, il faut vite courir pour reprendre la file
pour effectuer un deuxième passage.
Le brasier éclaire de moins en
moins, c’est le moment d’allumer les feux de Bengale sur le mur de la
terrasse. Toutes ces fumées de couleur rouge et verte c’est magnifique.
Encore
une Saint jean qui meurt, mais quelle belle soirée d’été avec les
senteurs de ces bois qui finissent de se consumer lentement, comme à
regret.
Cette année c’était encore
mieux que l’année précédente. Mais avant que tout soit complètement
terminé et d’aller tous se coucher, il reste encore une vieille coutume
à respecter.
Les hommes ou les femmes du
quartier qui ont récolté les aulx de leur jardin et mis en paquet, vont
les passer dans la fumée du feu. Les anciens disaient que cela évite la
pourriture et que les aulx resteront sains jusqu’à la prochaine récolte.
Les bruits s’estompent et le
quartier si animé il y a encore quelques heures va retomber dans le silence
des douces nuits du mois de juin. Demain il y a du travail et l’école.
[…]
Le
carnaval
C’est un grand
divertissement tant sur le plan des divertissements que de la nourriture.
Le mardi gras toutes les usines
sont fermées plutôt et dans les écoles nous ne restons pas à l’étude.
L’heure de la sortie sonne à 14 h 30. Avec les copains, à toute vitesse,
nous prenons la direction de la maison pour revêtir notre déguisement que
nous avons préparé quelques jours avant.
Le costume est généralement
simple confectionné avec des moyens rudimentaires. Un masque en carton, un
habit de grand-père ou de grand-mère ou encore de jardinier. Avec Georges,
durant deux ans, nous nous sommes régalés. Sa mère qui est une amie de la
mienne est couturière et nous a confectionné des costumes de Pierrot. Nous
sommes superbes, ce qui nécessite des photos, ce qui est un luxe pour ces
deux enfants du quartier du Sablard. Mais
les costumes étant devenus trop petits, l’année suivante nous
reprendrons le costume de vieux et de vieille.
Lorsque nous somme déguisés la
bande se rassemble et jusqu’au souper nous partons pour une grande tournée
dans toutes les maisons pour faire deviner qui se cache derrière le masque
et avant de fermer la porte derrière nous, nous lançons des confettis.
Lorsque nous croisons des filles nous en profitons pour les embrasser
pensant que sous le masque nous ne serons pas reconnus. Pour les adultes, le
soir, il y a un bal masqué et la ville est animée.
La nourriture avait sa place et le changement est largement marqué
en l’an 2000. Dans les années d’avant la dernière guerre, la
nourriture était sobre surtout chez les ouvriers des Ponts. On ne servait
pas de viande tous les jours le menu ne comportait pas plusieurs plats.
Mais pour la soirée du Mardi Gras c’est l’occasion comme son nom
l’indique de faire «gras ». C’est l’abondance. Chaque cuisinière
fera des miracles ! des légumes mais aussi de la viande, du fromage
(du Cantal) et selon la tradition le pâté de viande et le gâteau aux
pruneaux noirs, puis le café et la petite liqueur pour disait-on
"faire digérer" Le tout agrémenté de blagues et de chansons.
Le lendemain, mercredi des
cendres nous ne travaillons pas : c’est le Carnaval et non le
dimanche comme actuellement. Depuis
le matin des chars décorés et traînés circulent dans tous les quartiers
de Limoges. L’après-midi ils se regroupent au Champ de
Juillet et défilent avec les musiques des fanfares jusqu’au Pont
Neuf où sa Majesté Carnaval sera brûlée et jetée dans la Vienne. Ce qui
est différent d’aujourd’hui c’est l’ambiance : plus de
spectateurs que de participants. Une démonstration de joie moins intense.
C’était la fête de tous et non seulement celle des enfants.
La
fête du Pont Saint-Étienne et les Enfants de la Vienne
La tradition fait qu’aujourd’hui, il existe encore une fête du pont
Saint Etienne, mais elle ne ressemble pas à celle de notre jeunesse. Il
faut bien dire aussi qu’à cette époque il n'y avait pas autant de
spectacle et de réjouissances que maintenant.
C’est la fête la plus importante et la fête la plus populaire de
la ville. Elle se passe sur trois jours, à la fois sur terre et sur
l’eau.
Elle est animée par une société constituée de bénévoles
ponticauds, adultes et enfants dont je fais partie : ce sont « les
enfants de la Vienne ». Le siège social est situé rue du Naveix. La
fête sur terre se déroule au Port du Naveix, au Pont St Etienne, sur la
place du Sablard, au Clos Ste Marie, le quai Louis Goujaud et jusqu’au
Pont Neuf (c’est aujourd’hui le boulevard périphérique).
Retour en arrière pour situer ce quartier qui a aujourd’hui en
partie disparu ou qui a subi de nombreuses transformations. Tout d’abord,
Le Port du Naveix qui fut un véritable
port de commerce avant la guerre de 1914-1918. En effet à cette époque les
bois étaient charriés par flottage sur la Vienne et stoppés par des
ramiers et des naveteaux hissés sur leur barque à l’aide de leur lanci
(longue perche de bois terminée par un crochet de fer) pour le guider vers
la berge. Puis il était empilé en attendant d’être vendu aux usines de
la ville. Sur l’emplacement de cet ancien port, on installe deux
chapiteaux sous lesquels il sera servi des boissons. Les deux buvettes sont
tenues par la famille JEAMMOT, propriétaire du café de la « Crotte
de poule » et la famille LAFARGE propriétaire du «Poisson Soleil»,
buvette située sur l’autre rive de la Vienne.
En continuant en direction du Pont
St Etienne sur les trottoirs le long de la rue, des baraques foraines.
Au début du quai Louis Goujaud, à l’angle du Pont
St Etienne, un manège de pousse pousse. En continuant le quai
jusqu’au Pont Neuf, de chaque côté, sont alignés, manèges, stands de
tir, marchands de bonbons, loteries etc …
A cet emplacement la fête est installée pour une semaine. De
l’autre côté du pont, sur la place du Sablard, un grand manège. Au Clos
Ste Marie, le long de la Vienne, des buvettes.
La
fête se déroule sur l’eau, en nocturne du samedi au lundi. Des bateaux
plats sont harnachés d’armatures métalliques représentant un sujet,
fleur, animal ou personnage. Les contours de cette armature sont soulignés
par une guirlande d’ampoules électrique alimentée par une batterie. Les
bateaux glissent sur l’eau entre le Poisson Soleil et le Pont Neuf
accompagnés pour certains d’une musique diffusée par des phonographes à
pavillon. C’est superbe, mais tout cela demande un gros travail de préparation.
Le dimanche matin tous les membres de la Société "Les enfants
de la Vienne" se rassemblent au Port du Naveix pour effectuer un défilé
dans les rues de LIMOGES. Tous sont en tenue avec les bouquetières au
premier rang qui posent pour la traditionnelle photo. Des camionnettes de
livraison découvertes sont mobilisées pour le défilé. Sur la plate forme
sont arrimés des bancs sur lesquels prennent place des sociétés de
musique « les Gueules sèches », l’harmonie de Limoges, la
fanfare municipale etc. Les enfants suivent à pieds. Les filles portent
suspendu au cou une petite panière garnie de petits bouquets de fleurs. Les
garçons sont chargés de faire la quête auprès des passants. Chaque
couple est accompagné par un adulte de la Société. Les camions s’arrêtent
de temps à autre pour donner l’aubade dans les endroits où la population
est la plus dense. Dans les cités beaucoup de personnes ouvrent la fenêtre
et lancent quelques pièces. La recette aidera à financer les frais de la
Société.
Avant chaque départ des camions, une personne à l’aide d’un
haut-parleur, annonce les festivités du dimanche et le feu d’artifice du
lundi soir : déjà la Pub. Il faut préciser que les camions ne se
suivent pas et opèrent dans un secteur différent.
Nombreux sont les gens aux fenêtres pour vous faire un signe de la
main, vous adresser un sourire. Durant des années la fête du Pont St
Etienne attirera une foule énorme : c’est sans doute la plus grande
fête de Limoges.
Le dimanche après midi a lieu un spectacle sur l’eau, sur une
plate forme formée par des bateaux reliés entre eux et stabilisés par des
poids jetés au fond de l’eau. Chaque année le thème est différent,
mais il s’agit toujours d’une comédie dont les personnages finissent
par se jeter à l’eau pour la joie des spectateurs.
Le club nautique d’avirons prête son concours et organise des
courses dont le départ se fait à la Grande Île et l’arrivée avant le
Pont Neuf. Les Enfants de la Vienne participent à une course de bateaux
plats et à une compétition de natation.
Le dimanche soir, à la nuit tombée, une nouvelle attraction :
« Le saut de Monté Christo. », d’après l’œuvre
d’Alexandre DUMAS. Le jeu consiste à jeter le prisonnier à l’eau fermé
dans un sac. Un plongeoir scellé dans le lit de la Vienne, près du Port du
Naveix servira de plate forme pour deux hommes et leur matériel, sac de
jute, corde, couteau, de l’essence et des allumettes. Le plongeoir est
dans la lumière et un haut-parleur annonce le début des préparatifs.
L’homme se glisse dans le sac avec un couteau. On le ferme à l’aide
d’une corde nouée et le sac est arrosé d’essence. La foule, la tête
levée, le regard fixe retient son souffle. Au roulement de tambour, on
enflamme le sac et l’homme se voit poussé dans le vide comme une torche
humaine.

Carte
à l'effigie de Jean-Baptiste Vergne (1946)
Le prisonnier a quelques secondes entre le départ et l’arrivée
dans l’eau qui éteindra le feu, pour faire une entaille dans le sac à
l’aide de son couteau ce qui lui permettra de se libérer et remonter à
la surface. Quelques secondes d’angoisse et brusquement une tête apparaît.
Il a réussit. Un tonnerre d’applaudissements salue l’exploit. Le mot
n’est pas trop fort, car il faut accepter de prendre le risque. Certes le
plongeur est un très bon nageur, il s’agit d’un dénommé VERGNE.
Le lundi soir les bateaux illuminés se promènent lentement au fil de
l’eau, les promeneurs déambulent le long de la fête foraine en attendant
la nuit pour assister au feu d’artifice qui ponctuera la fin de ces trois
jours de festivités.
Le montage des pièces et le tirage du feu se fait sous l’autorité d’un
artificier monsieur COLOMBEAU père. Un homme très compétent dans ce
domaine.
Les forains sont en place durant toute la semaine avant de partir
s’installer dans un autre quartier.
J’ai oublié de préciser que cette grande fête est chaque fois
honorée de la présence de monsieur le maire Léon BETOULLE.

Bateau
chargé d'Enfants de la Vienne lors de la fête de 1933
Jacques
Combeau (2e rang sur la droite), Jean Lafarge (debout 2e à gauche)
collection
Jacques Combeau

Fête
de la Vienne, Le mariage, pantomime sur la Vienne (vers 1930)
collection
Jacques Combeau
Ma
jeunesse au « Poisson Soleil »
Comme mentionné dans un chapitre précédent, les deux maisons, le
café et notre logement se touchent. Aussi tous les jours je passe et
repasse devant chez la famille LAFARGE qui va me considérer comme un deuxième
fils.
Aussi pour moi se seront le tonton et la tata LAFARGE. Lui c’est
Gabriel (Gaby pour les pêcheurs), assez grand, fort, c’est un bel homme.
Elle c’est Mathilde (la reine de la friture et des fourneaux). Pas
très grande mais dynamique, pleine de vie. Leur fils Jean, un grand frère
de dix ans mon aîné. Il partira au régiment, sera mobilisé et ne
reviendra qu’après la débâcle de 1940.
C’est dans cette deuxième famille que je vais oublier un peu ma
pauvreté et connaître beaucoup de choses de la vie qui à mon âge me
donneront pour plus tard une plus grande maturité.
Nous allons faire beaucoup de choses au café car pendant la décennie
qui va suivre, se sera la période la plus prospère. Nous allons
construire, innover pour l’époque. Tout d’abord, nous allons couler
dans le lit de la Vienne, au pied du café, face au jardin, un embarcadère
qui servira pour attacher les barques que nous allons construire. Pour ce
travail et les suivants, un autre personnage va se joindre à nous :
c’est le « Fillou », le cousin de Jean de dix ans son aîné.
Un peu une tête brûlée, un fou de la grosse moto, qui lui a coûté, plus
jeune, un très grave accident qui lui a laissé une jambe plus courte que
l’autre. La moto avait été réparée et il continuait comme par le passé.
C’est un homme charmant, très gentil avec moi, je l’aime beaucoup et
pendant ces dix ans de ma jeunesse il sera toujours là dans tous les grands
moments.
Dans un hangar au fond du terrain nous allons fabriquer des barques
à fond plat de couleur verte, numérotées de la 1 à 10. C’est à moi
que revient la tâche, à l’aide d’un pochoir, de faire ce travail. Le
dessous de la barque est passé au goudron pour le rendre étanche. Une
pagaie en bois servira à faire avancer la barque sur l’eau. Le navigateur
est assis sur un siège en bois avec un dossier fixé sur le fond de la
barque. La promenade se vendra pour une heure ou plus. Dans le jardin au
bord de l’eau, derrière le réservoir à poissons, nous construirons des
cabines de bains pour les baigneurs du dimanche.
C’est la Francine, la sœur de tata LAFARGE qui aura la
responsabilité de ce secteur baignade.
A douze ans un dimanche d’été chez
le tonton LAFARGE
Ce jour là, d’écolier je deviens garçon de café. Dès que je me
suis préparé le matin (si je tarde j’entends un coup de sifflet pour me
faire activer), je commence mon travail toujours dans le même ordre.
Je
sors de la cave, par la petite porte à battants qui s’ouvre sur le
passage à côté de la pompe, les paniers en bois à dix trous contenants
les bouteilles à laver. Il faut préciser que ce sont toujours les mêmes
qui sont utilisées. Je remplis d’eau le bac en ciment situé sous la
pompe à bras et dans cette eau je couche les bouteilles pour les faire
tremper. A l’aide d’un rince bouteille je vais toutes les rincer. Une
fois propre, je les range dans les paniers que je pose sur la plateforme de
la cave. Par cette ouverture je vais sauter à l’intérieur et tirer le
vin.
Dans la cave, sur des étais, il y a les fûts (barriques et demies)
contenant vin rouge, vin blanc et rosé (dit gris en Limousin).
Avec l’habitude des ventes je ferai un assortiment au remplissage.
La contenance des bouteilles est la suivante : litre, tarsière (3 /4
de litre), chopine (1/2 litre) et roquille (1/4 de litre). Une fois le
plein terminé, toutes les bouteilles sont alignées sur la plateforme par
couleur et contenance. Ensuite, je complète par les bouteilles de limonade,
de bière, de soda (deux parfums : orange et citron), et deux ou trois
siphons avec de l’eau gazeuse, eau de seltz, pour certains apéritifs.
Les fournisseurs de tonton sont les suivants : Un à gauche dans
le Pont Neuf, sur une petite place aux pieds des escaliers desservant un
raccourci pour se rendre à l’hôtel de ville, un autre rue du Maupas au
fond d’une courette (avant le charcutier actuel). Les bières viennent de
la grande brasserie Bertrand MAPATAUD, la limonade et les sodas de la maison
LAPLAGNE ; Tous ces établissements ont disparus. Quelques explications
sur les livraisons au café « du Poisson soleil ». Actuellement
la rue Froissard est goudronnée et les voitures peuvent descendre, mais à
l’époque décrite ce n’est qu’un chemin pierreux et étroit, aussi
toutes les manutentions se font à la main. A cela il faut ajouter la pente
très importante.
Pour les livraisons de vin, c’est une véritable acrobatie
dangereuse.
Le lecteur aura du mal à s’imaginer l’opération. Le camion
s’arrête dans l’avenue du Sablard au départ de la rue Froissard. Les fûts
sont descendus du camion à l’aide du poulain (genre de petite échelle
accrochée au camion), sur lequel on fait glisser les fûts jusqu’à
terre. Pour se protéger le livreur porte un gros tablier en cuir. Jusque là
c’est assez simple. Puis il faut faire rouler les fûts (cent cinq à cent
dix litres). Pas question de faire descendre en droite ligne car le fût étant
très lourd prendrait une telle vitesse qu’il échapperait à l’homme et
s’éventrerait en fin de course. Aussi il faut toute l’habitude du
livreur pour briser l’élan du fût en le faisant rouler en zigzags
d’une haie à l’autre (un véritable travail de Romain). Rendu au café
il faut rouler les fûts jusqu’à la cave et les descendre à l’aide du
poulain et les placer sur les étais. La montée des fûts vides se fait
plus rapidement en les portant sur le dos : rien de plus facile !
La livraison dure plusieurs heures. Je pense qu’une telle livraison
est assez rare dans la ville. Pour les bières et les sodas, c’est plus
simple et moins dangereux mais l’opération est aussi longue et fatigante.
A chaque tour c’est deux paniers de dix bouteilles qu’il faut porter au
bout de chaque bras. Moi, je ne pouvais remonter que les paniers de
bouteilles vides, car c’était moins lourd. Le travail terminé, Tonton
offrait l’apéritif, et pour moi (crotte au cul) c’est le surnom que
m’a donné l’oncle LAFARGE, ce sera une grenadine.
Revenons à la journée du dimanche. Tout ce travail achevé, la
matinée se termine dans le calme à part quelques clients assidus du
quartier qui viennent prendre l’apéritif un peu avant midi comme le père
LAROUDIE, un vieux bonhomme du chemin de Soudanas qui, à l’aide de sa
canne, vient toujours seul boire sa roquille de vin rosé et repart de même :
le père tranquille.
Dès que le repas est terminé, nous préparons toutes les tables extérieures,
un coup d’éponge et de chiffon. Il fait beau, les tonnelles de verdure
attendent les clients du dimanche. Pour les recevoir le personnel du Poisson
Soleil est présent : Le Tonton LAFARGE avec comme fonctions, préparer
les apéritifs, faire les comptes et tenir la caisse. La Tante LAFARGE est
au fourneau pour la cuisson des fritures de poissons et la préparation des
plats. Au service de la clientèle trois personnes. La MARGOT la femme du
FILLOU, Baptiste BLANC, un proche de la famille et moi qui suit le plus
jeune mais le plus rapide et de ce fait on me confit plusieurs tâches. Nous
allons servir en ce beau dimanche une clientèle répartie en trois groupes.
Ceux qui viennent se désaltérer à la terrasse couverte à l’entrée du
café. Ceux qui portent leur boisson et qui prennent un casse croûte de
pain garni de charcuterie ou de fromage
Enfin le troisième groupe qui vient pour manger la friture de
poissons. Ceux là seront servis sous les tonnelles de verdure, endroit plus
calme pour mieux apprécier le repas renommé de la maison.
A
tous ceux-ci, il faut ajouter les clients de la Cité des Coutures qui
viennent aussi pour manger la friture mais qui n’emprunte pas le même
chemin. En effet ils sont de l’autre côté de la Vienne au lieu dit
« l’Echanlette, en face du Poisson Soleil, à côté de l’usine
E.D.F.. C’est par des coups de sifflet qu’ils s’annoncent. Je dois
assurer, à l’aide d’un bateau plat, l’aller et le retour de ces
passagers pour une pièce de 25 ou 50 centimes de francs selon leur nombre.
Le reste du temps, je reste à l’entrée de l’établissement attendant
les clients dans ma tenue de serveur : tablier bleu de jardinier avec
deux grandes poches plaquées sur le devant. Dans l’une l’éponge et le
chiffon et dans l’autre un carnet et un crayon pour noter les commandes.
Dans cette même poche je glisse les pourboires. A gauche, passé dans le
lien du tablier, un torchon blanc, plié qui va me permettre de porter les
plats chauds.
J’ai reçu pour faire cela une bonne formation de la part de
l’Oncle et la Tante. C’étaient de vrais commerçants, qui savaient
recevoir avec sourire et amabilité. Le client était respecté.
Lorsque les clients arrivent, je les laisse choisir leur table et
sortant mon carnet et mon crayon, timidement, je pose toujours la même
question : Ce sera quoi pour ces messieurs et dames ?
Il fallait voir l’ambiance de certains après midi au Poisson
Soleil quand la vente du poisson avait garni a nouveau les poches des pêcheurs.
C’était les parties de cartes, et il m’arrivait de faire le
quatrième pour compléter une table en attendant l’arrivée d’un autre
joueur (je n’avais que quatorze ans).
Vers cinq heures les jeux cessaient pour la pause casse croûte. La
Tante LAFARGE faisait cuire le beef teak. Il me semble le voir et même le
sentir encore aujourd’hui.
De grands morceaux plats avec une sauce un peu dorée, de l’ail et
du persil l’accompagnait : quel régal. C’était de la bonne
viande, on ne mangeait pas le beef saignant comme maintenant, il était cuit
à cœur, bien chaud et avec ce jus dans lequel nous trempions du bon pain,
un véritable délice. Ensuite était servi de grandes tranches de cantal, le
fromage de forme comme on le nommait dans les
ponts. Bien entendu le tout bien arrosé de vin rouge. Tous ces hommes
avaient une descente rapide comme le chemin du Poisson Soleil (la rue Froissard),
aussi l’ambiance monte et pendant plusieurs heures les chansons se succèdent :
La Briance, le Pays des Sourires, et bien d’autres.
Ce monde d’hommes avait quelque chose de beau, de prenant. Cette
joie simple, cette amitié, combien sincère, m’a laissé un souvenir
d’enfant ineffaçable.
Après chaque pêche les filets sont étendus pour sécher. On vérifie
qu’il n’y a pas de déchirures et si besoin nous réparions. L’hiver
quand le temps est trop mauvais et que les eaux de la Vienne sont trop
fortes pour la pêche, l’oncle LAFARGE croche un autre filet qui sera prêt
pour la prochaine saison.
J’ai suivi les différentes phases de la confection. Avec un fil de
lin et une navette en bois il faut débuter le filet avec un certain nombre
de mailles que l’on va augmenter selon la dimension souhaitée du filet.
C’est très long car le nombre de mailles est croissant. Puis on
confectionne les poches qui retiendront le poisson prisonnier. Pour cela on
retourne une hauteur du filet avec un petit cordonnet (les hamets). On
termine le tout par un gros cordonnet dans lequel on passera les boules de
plomb qui lesteront le filet au fond de l’eau. Ces boules de plomb sont
coulées dans un creuset qui donnera la forme.
Pendant toute cette période la pêche aux filets est tolérée à
condition que les mailles de ceux-ci soient assez grandes afin d’éliminer
le poisson trop petit qui est réservé à la vente pour la friture de
certains restaurants. Aussi il arrive parfois que les gardes pêche font une
ronde de contrôle sur les bords de Vienne. Le pêcheur qui est dans son
bateau, interpellé par les gardes, doit se soumettre et rejoindre la rive.
Mais les injures sont tellement nombreuses et violentes que les gardes cèdent
et abandonnent. Parfois à la suite d’un de ces contrôles avortés les
gardes se dirigent vers le Poisson Soleil. Mais là aussi « motus »,
et ce sera un second échec. En effet l’alerte a été donnée et les
filets à petites mailles ont été mis en lieu sur laissant place, à la
vue, aux filets à grandes mailles.
Malins qu’ils étaient ces pêcheurs et ces habitants des Ponts.
Les
Buvettes LAFARGE et JEAMMOT
Tous les ans pour la fête du Pont Saint Etienne la famille LAFARGE
su Poisson Soleil va vivre une semaine de grande effervescence à laquelle
je participe durant mon temps libre en dehors de la classe.
Nous allons construire une buvette sous un chapiteau au Port du
Naveix.
Quelle joie pour moi. Avec les bateaux du tonton LAFARGE (dont un sous ma
conduite), nous allons transporter tous les matériaux et matériels du
Poisson Soleil jusqu’au au Port du Naveix.
Ce n’est pas un chapiteau préfabriqué comme ceux que l’on emploi
actuellement : c’est une grande bâche verte louée à la « Corderie
Limousine » qui sera tendue sur une armature piquets bois. La dessous
nous installons des tables avec des chaises métalliques de café.
Une grande partie du matériel est fourni par la « Brasserie
Mapataud ». Sur un côté du chapiteau la bâche ferme jusqu’à
terre.
C’est ici que nous installons une grande table qui fera office de
comptoir pour la préparation des commandes.
Derrière celle-ci, à même le sol, des grands baquets en bois
contenant des blocs de glace pour rafraîchir bières, limonades, sodas. A côté,
des paniers contenant des bouteilles de vin rouge, blanc et rosé.
Sur une autre table plus petite est posée la caisse. Pas de caisse
enregistreuse comme maintenant, seulement un tiroir dans la table avec des
compartiments pour séparer l’argent.
L’éclairage est assuré par des guirlandes d’ampoules de
couleur.
Comme la buvette ne ferme pas, nous sommes obligés de faire des
services continus avec un groupe plus ou moins étoffé selon les heures.
Le personnel est le suivant :
-
Le tonton LAFARGE
-
La tata LAFARGE mais le soir seulement, la journée elle assure le service
au Poisson Soleil
-
Jean, le fils
-
Fillou GROS, son cousin germain
-
Sa femme Margot
-
Baptiste BLANC
Et
moi en dehors des heures de classe du samedi et du lundi.
La nuit c’est Fillou qui assure la surveillance pour éviter les
vols. Pendant trois jours je vais faire le service avec toute la famille
LAFARGE ; A certaines heures, c’est la foule et les tables sont complètes.
Nous couront entre les travées, nous crions les commandes à ceux qui les
préparent. Nous voyons tout le monde et personne et tout défile à grande
vitesse. Pour moi jusqu’à minuit je vais vivre des heures de joie dans
une ambiance incroyable. Une grande fatigue mais combien récompensée par
mes pourboires qui serviront dans les jours à venir à me payer quelques
fantaisies.
Les trois jours de fête terminés il faudra démonter et tout
ramener par bateau au « Poisson Soleil ». Toujours après la
classe j’aiderai au transport.
La
pêche en bateau
La pêche en bateau au filet se fait du Pont Saint Etienne, à l’écluse
en amont.
On
pratique plusieurs pêches :
-
avec un filet à petite friture sur tout le parcours
-
avec un filet « maille 27 » pour pêcher le gros dans les trous
profonds
-
avec un filet plus petit (filet de pierres) pour prendre les goujons
-
la pose des araignées dans le fil de l’eau.
J’ai pratiqué toutes ces pêches avec le tonton LAFARGE ; Pour lui
la pêche est une question vitale. Il faut qu’il alimente en poissons ses
réservoirs pour les fritures du dimanche.
Les jours sans école nous partions tous les deux avec le bateau et
le filet.
Je n’ai que quatorze ans et pourtant c’est moi qui mène
l’embarcation. Il est très exigeant, il faut le mener sur des coups bien
précis et rapidement. Il sait où se trouve le poisson, selon les jours et
le niveau de l’eau.
Il est beau à voir dans son attitude majestueuse à la lève du
bateau, une partie du filet est rassemblée par ses deux mains et pour
donner de l’ouverture un autre morceau du filet est tenu par la bouche.
Il attend dans cette position et au bon moment il lancera le filet
qui s’ouvrira bien arrondi comme une ombrelle pour emprisonner les
poissons. De tous les pêcheurs que j’ai eu l’occasion de voir dans les
battues, c’est lui le champion pour lancer aussi loin avec un tel arrondi :
c’est très difficile, mais c’est beau à voir.
Pour la pêche du gros poisson dans les trous profonds au pied des
usines situées le long de la Vienne, nous opérons de la même façon, sauf
que le filet est moins important en superficie, et le lestage en plomb est
beaucoup plus lourd, de façon que celui-ci, malgré la profondeur puisse
arriver au fond le plus rapidement possible afin que les poissons ne s’échappent
pas.
La pêche du goujon
Une pêche totalement différente
des autres.
Les goujons se tiennent au fond de l’eau et à certaines périodes
sous des grosses pierres ou des soles de bateaux. C’est pour cela que
l’on appelle le filet qui servira à cette pêche « le filet de
pierres » selon le terme employé par les pêcheurs. Ce filet est plus
petit.
« les soles de bateaux » : Lorsque les bateaux sont
trop vieux et en mauvaise état ne pouvant plus assurer du service, on les démonte
pour garder seulement le plancher. C’est ce plancher qui sera plaqué au
fond de l’eau retenu par de
grosses pierres. Ces planchers appartiennent à celui qui l’installe au
fond de l’eau : l’oncle LAFARGE en possède deux.
La pêche se pratique de la façon suivante : Le pêcheur
recouvre ce plancher de son filet, et à l’aide de son « lanci »[2]
il étend bien pour que les poches plombées reposent parfaitement au sol
pour que les poissons ne puissent s’échapper. Ceci étant fait le pêcheur
à la lève du bateau accroche avec son lanci le plancher par un des côtés,
le soulève de quelques centimètres, le relâche comme ferait un soufflet
et cela plusieurs fois. Par ces mouvements, le poisson est effrayé et
voulant s’échapper se jette dans les poches du filet.
La pêche à l’araignée
C’est un filet en bande avec le haut qui porte des flotteurs et le
bas des billes de plomb. La longueur et la largeur peuvent varier. Le plomb
est pour tenir le filet tendu dans le sens de la hauteur et pour éviter que
le courant ne l’entraîne. Les flotteurs pour qu’il ne coule pas au fond
de l’eau et pour rester visible au moment du ramassage. Généralement les
filets se placent le soir pour permettre un relevage le matin suivant.
Les battues
Une autre pêche au filet en bateau mais différente de toutes les
autres. Ce n’est plus la pêche individuelle, mais une pêche collective
de plusieurs bateaux de pêcheurs.
Dans la période de 14 à 15 ans j’ai pratiqué souvent avec le
toton LAFARGE cette pêche. J’était son conducteur de bateau comme précisé
plus avant. Cette pêche se faisait généralement en fin de soirée.
Le rendez vous des pêcheurs était décidé la veille au Poisson
Soleil. La battue part au niveau du Port du Naveix et remonte jusqu’à
l’écluse. Elle se compose de cinq bateaux avec deux hommes chacun :
le conducteur et le lanceur de filet. Ces pêcheurs sont presque toujours
les mêmes. Je ne connais pas leur nom de famille, mais seulement sous leur
nom d’emprunt qu’ils voulaient Révolutionnaires tel que Hoche, Marceau,
Kléber, Barrat ou encore Le Riquet.
Dans ces années d’avant guerre c’est eux qui font « leur
loi » dans le quartier du Pont Saint Etienne et sur l’occupation du
domaine fluvial.
Le but de la battue est d’encercler le poisson pour lui obliger à
se jeter dans les poches du filet.
Voici comment se déroulait la manœuvre.
Une fois les cinq bateaux arrivés sur le lieu de départ, on se met
en place. Deux bateaux rive droite, deux rive gauche et le cinquième au
centre au milieu de la rivière. En général c’est mon oncle qui occupait
la place au centre, en tant que chef de battue parce qu’il était le
meilleur pour lancer le filet.
Les deux bateaux les plus en amont
partent les premiers en décrivant un arc de cercle direction le centre.
Approchent ensuite les deux autres en opérant de la même façon. Puis part
le bateau qui se placera au centre.
Les cinq lanceurs jettent leur filet au commandement du Chef.
A ce commandement, les cinq
lanceurs vont jeter leur filet. Pour que l’opération soit parfaite, les
cinq filets doivent toucher l’eau ensemble et le plus près possible les
uns des autres mais sans jamais se chevaucher.
Les filets remontés, chaque
conducteur de bateau se remet en place dans sa position initiale afin de
glisser plus loin et effectuer la même opération.
Pendant ce temps il faut que les pêcheurs sortent les poissons des
filets et les lancent dans le fond du bateau où l’on a volontairement
fait une réserve d’eau. Puis une fois les filets remis à l’eau les
poissons sont versés dans le réservoir du bateau afin de les garder
vivants.
Une fois la battue terminée, un arrêt au Poisson Soleil pour boire
un coup s’impose.
Le lendemain chaque pêcheur
vendra sa prise principalement à des restaurants de Limoges, et la plus
grande partie de la recette sera dépensée au café. Ces hommes étaient très
indépendants et leurs épouses devaient se soumettre face au maître.
Le
ramassage du sable
Ils étaient trois ou quatre à cette époque à faire ce petit
boulot en complément. Ce sable se déposait à des endroits bien précis,
toujours les mêmes.
En bout de la pointe de la grande île et en face de la sortie du grand égout.
Je suis allé plusieurs fois avec l’oncle Lafarge, mais seulement en spectateur, car il s’agit
d’un travail d’homme et pénible. On ramasse le sable à l’aide
d’une « drague »[3].
Il est déposé dans une batelle amarrée par un gros poids jeté au fond de
l’eau.
La batelle est un bateau à fond plat comme celui des pêcheurs à la
différence qu’il est plus long, plus large et bien plus lourd ; il
n’a pas de réservoir remplacé par une autre lève, ce qui fait qu’il
n’y a ni avant ni arrière et peut se conduire dans les deux sens. Chargé,
ce bateau est très lourd.
La batelle chargée, se dirige vers le Port du Naveix pour être vidée.
Chaque ramasseur a son emplacement de stockage. Le sable sera vendu à des
entreprises de maçonnerie pour des travaux spéciaux. Le sable de rivière
est pur, meilleur que celui de carrière, il n’occasionne pas la formation
de salpêtre dans les murs. Cependant le prix est plus élevé.

Extraction
du sable (Michel Colombeau)
Épilogue
Ces quelques souvenirs d’une période bien précise, versés sur le
papier pour mes enfants et petits enfants, seront le témoignage d’un
partie de mon enfance de petit Ponticaud.
Depuis des temps, toutes les époques ont une histoire qui sera contée
à ceux qui ne les ont pas connues. Mais au fil des années l’histoire se
modifie, se transforme ou bien encore s’estompe.
Seuls les écrits restent, et c’est pourquoi, par ce modeste
ouvrage j’ai voulu sans prétention et avec mes mots, laisser la trace la
plus réelle possible, d’une époque de
la vie des Ponticauds du Pont Saint Etienne que j’ai
traversée avec joie et bonheur, élevé sans richesse mais protégé
par une famille aimante et chaleureuse.
Une pensée pour ma mère, ma grand-mère
et toute la famille LAFARGE.