Entretien
avec Marie-Denise Desmoulins
Entretien
conduit en février 2004 par Magali Urroz, dans le cadre des activités
de collectage de l’Institut d’Études Occitanes. Transcription
Magali Urroz. Complété par un nouvel entretien réalisé par
Jean-Pierre Cavaillé (voir les renvois de note dans le texte), le 4
avril 2007.
Le
« patois »
Ma
mère, elle était de Saint-Yrieix. Elle le parlait couramment, mais
jamais elle le parlait avec nous. Quand sa soeur venait, elles
discutaient en patois, c’est de là que j’en ai ramassé un p’tit
peu.
[Nos
parents ne] nous parlaient pas. Ma mère était de
Saint-Yrieix-la-Perche et bien sûr, avec sa soeur, avec ma défunte
tante, elles discutaient beaucoup en patois.
Je
suis née au Pont Saint Martial, je suis du Pont comme ils disent.
Ma
mère était de Saint-Yrieix-la-Perche et mon père, lui, il était du
bord de l’eau, dans la maison de l’ancien maire de Limoges, de
Betoulle, sur les quais Louis Goujaud. Il était pâtissier confiseur,
il a dû rencontrer ma mère et alors ils se sont mariés, je sais pas
si c’est pas à Saint-Yrieix.
[Mon
père] travaillait rue
Jean-Jaurès anciennement chez des Combes, le confiseur Combes, alors là,
il y a plus de 60 ans.
[Dans
le quartier] y en avait qui parlaient bien patois, mais on était des
gosses, on s’en occupait pas ...
Le
Carnaval

carnaval,
Limoges fin des années 20.collection S. Dumas
« Lo
peisson mai la moruia son venguts per me querrir
Adiu paubre, adiu paubre, adiu
paubre Carnavar »
[Ça
se chantait] à Limoges, pour le Carnaval. Mais maintenant, y a plus de
Carnaval. Celui qu’y a eu là, c’était mon défunt mari qui
l’avait créé. Oui, mais alors ça se fait plus comme dans le temps :
c’était chez Mapataud, ils sortaient des grosses barriques de bière.
C’était tout des gens comme ça, des commerçants, maintenant,
c’est fini ça ! Et c’était beau, vous savez, parce qu’on se
déguisait en Mère Jeannot, avec des vieux jupons, une écharpe et pis
on avait des bas qu’on cousait à plusieurs, comme ça, on mettait pas
d’argent dans les costumes !
Y
avait des chars qu’on faisait, on demandait, c’était Laplagne dans
le temps, mais ça existe plus, qu’il nous prête une voiture et pis
alors on se déguisait. On faisait soit le Carnaval des Crêpes, alors
on faisait des crêpes sur le char, on les avait déjà faites mais
fallait faire, dans une poêle, on faisait sauter et alors on rigolait
[…] Et pis une fois, on a fait sur un charreton le retour des foins.
On avait un charreton à bras, c’était deux hommes qui étaient attelés
dedans, on leur a trouvé des masques de bêtes, et alors ils étaient déguisés
comme ça, on avait récupéré une botte de foin et à chaque endroit où
on devait s’arrêter, on descendait et on éparpillait du foin, on
faisait le machin du foin, quoi, dans la campagne.
Mais
vous savez bien, ça se perd, tout ça ! Il faut beaucoup, beaucoup
de bonne volonté pour faire quelque chose, parce que les gens ne sont
pas chauds. Moi, je vois au quartier Montplaisir, mon mari était obligé
de leur faire un bon casse-croûte en rentrant, sans quoi personne ne
marchait ! Oh, c’était difficile, vous savez. Et pourtant, c’était
bien amusant une fois par an.
On
faisait toutes les rues et alors on arrivait au Pont-Neuf, c’était le
terminus. Y avait Carnaval, on le brûlait, alors on chantait : « Adiu
paubre, adiu paubre, adiu paubre Carnavar / Tornarai una autra annada,
mas beleu n’i sirai pus / Adiu paubre, adiu paubre, adiu paubre
Carnavar. » E pis on le jetait dans l’eau au Pont Neuf.
C’était
un genre qu’on faisait avec des bouts de bois, on le remplissait avec
un vieux pantalon de quelqu’un et pis alors on le bourrait de paille.
C’était pas quelqu’un qui se jetait à l’eau ! Dans le
temps, ça s’est produit, mais pas le jour du Carnaval. Y avait un
monsieur, mais il est mort maintenant, il habitait au Pont-Neuf et alors
il faisait toujours le saut du Pont Neuf : le saut de Monte-Cristo.
Il
avait un poignard ou un couteau qu’il avait dans son sac, qui coupait
bien et il était cousu le sac. Il se faisait mettre dans le sac, on le
flanquait à la pile du pont la plus profonde, je crois que c’est
celle du milieu et alors il sautait. Et après, lui, il s’ouvrait le
truc, vous comprenez, pour sortir. On le voyait qui nageait, qui
traversait l’eau.
C’était
des paris. C’était un monsieur qui habitait au pont Saint-Étienne.
Il
est mort y a longtemps. On avait bien cherché à avoir quelqu’un
d’autre, mais personne n’a voulu le faire, remarquez, c’était
dangereux, fallait pas avoir peur !
Mon
mari, quand il y avait la réunion, il disait : « Écoutez,
chacun porte quelque chose, un morceau de boeuf, les autres portent du
pain, les autres du vin et on allait où j’avais tenu mon café, rue
Aristide Briand, anciennement, c’était le bar Le Tabarin. Eh bien, on
faisait la cuisine, nous, 2 ou 3 femmes, et pis ils mangeaient le soir.
On
s’amusait bien quand même ! Mais je vous dis, pour la bonne
volonté, y en a pas beaucoup. Moi, j’ai vu pleurer mon mari,
tellement il était fatigué !
Blanchisseuse
Y
avait les femmes, comme moi, avec ma mère, j’étais toute jeune, je
lavais sur le bord de l’eau. Tous les ans, la Vienne gelait, d’un côté,
de l’autre, elle était toute gelée et alors ma mère blanchissait
des gens. Alors avec le battoir, on cassait un trou dans la glace pour
pouvoir laver le linge. On s’habitue ! Mon père descendait
desfois des bassines d’eau mais je voulais pas y tremper mes doigts
parce que ça vous donne l’onglet : tremper dans l’eau chaude,
retremper dans l’eau froide ... Alors avec le battoir, « e pam,
e pam, e pam ! » et pis alors des femmes qui se cherchaient
des noises au bord de l’eau, elles se battaient à coups de battoir.
C’était marrant, vous savez.
On
descendait le linge sec, et pis on le savonnait bien, on frottait, on
frottait et pis alors on le mettait tremper dans une bassine et après,
ma mère, elle le mettait dans une lessiveuse, qui avait un morceau qui
remontait, c’était une « poire », qu’elle appelait ça.
Et alors on le mettait bien rond, comme ça, et alors ma mère mettait
du ..., c’était de la lessive, c’était du Phénix, vous voyez, ça
date pas d’aujourd’hui, et alors elle mettait de l’eau, elle le
mettait dans la lessiveuse et la lessiveuse posée sur un trépied dans
la cour et pis on y faisait du feu dessous et quand ça bouillait, ça
arrosait tout le dessus, vous comprenez. Et pis quand ça avait bien
bouilli, le lendemain, on le lavait. Alors là, ça, c’est du linge
propre !
Le
lendemain, on descendait, mon père nous mettait une bonne pierre pour
laver et on avait un « bachon » [bachou], on se mettait les genoux dedans avec un petit
coussin et pis on trempait le linge et on le frottait et pis à coups de
battoir ... C’était formidable et le linge était blanc !
Ah
pis on le faisait sécher : on avait planté des poteaux, des
petits piquets, on mettait un fil de fer, galvanisé, pour pas que ça
se rouille trop vite et on le faisait sécher. Le linge était
impeccable et il sentait bon !
Toute
gamine, je lavais avec ma mère. J’étais bien obligée de lui aider !
Les
pissenlits, les minets
Et
dans le temps, on allait chercher des pissenlits dans les prés ; on les
ramassait, on les mettait dans un panier. Quand notre panier était bien
plein, on s’en allait, et quand on arrivait à la maison, ma mère
rentrait un gros bac d’eau et puis on les triait, on les mettait dans
le bac et on les lavait. Et puis on les vendait bien sûr. Tous les
jours, j’en montais un panier à l’Hôtel du Lion d’Or. Il se
tenait Place de la République. Tous les jours, je montais un panier de
pissenlits. Alors M. Bel, c’était le patron du restaurant, il me
donnait toujours, parce qu’on avait des chiens, alors il me donnait
toujours des débris pour les bêtes, pis moi, il me réservait un petit
gâteau chaque fois. Alors je repartais avec mon panier vide.
(Ça
coûtait) 5 francs le panier à l’époque. Mais c’était beaucoup à
l’époque. Je vous parle de ça en 33-34. Parce que moi, je me suis
mariée en 34. Il faisait pas chaud dans les prés, c’est souvent que
j’ai eu froid.
Mon
père nous disait : « Je fais du feu, je fais du feu ». Il
restait à la maison, il faisait du feu, lui, il n’avait pas froid,
vous comprenez, mais nous !
Et
puis au printemps, on ramassait des minets, je ne me rappelle pas quelle
branche que c’est, ça doit être du saule peut-être, qui a des
bourgeons tous blancs, c’est joli, et puis des marguerites, on faisait
des bouquets, on les vendait.
L’allaitement
Il
fallait bien s’arranger comme ça, parce que ma mère, elle n’a
jamais connu quelque chose qui ait pu lui aider pour ses enfants,
pourtant, elle en a eu 8, hein ! Et 9 avec un petit qu’elle avait pris
à 1 mois au sein, elle l’a donné à 14 ans, et pis il est mort deux
ans après avec sa mère. Et ben oui, c’était des grandes familles à
l’époque, les gens n’avaient rien !
C’était
un bébé qui avait 1 mois, elle l’a élevé à son sein, mon frère
était d’un côté et le petit était de l’autre. Oh, il y avait de
bonnes laitières, moi, je les ai élevés un petit peu, mais pas plus
loin que 6 mois, vous voyez, après, j’avais beaucoup de lait, mais il
était pas bon. Il a fallu que je le fasse partir. Et c’est pas
facile, vous savez. Si, maintenant, moi je sais c’ qu’il faudrait
faire mais ça risque rien plus, ça risque pas ! Autrement, une femme
qui a beaucoup de lait, qui veut le faire partir, c’est pas la peine
qu’elle aille au pharmacien ! Elle n’a qu’à prendre un petit
bouquet de persil, le faire bouillir dans un peu d’eau et le boire :
c’est radical ! Ah mais alors là, vous savez, votre lait, il est
parti !
Regardez,
j’avais un de mes gosses, moi, il était coquin, j’avais une lapine
qui avait une portée de 9 petits lapins et pis alors, le gosse, il a
rien fait de mieux, croyant bien faire, au lieu de lui donner du
cerfeuil, il s’est trompé entre le cerfeuil et le persil. Il a plumé
du persil, il l’a donné à la lapine. Elle n’avait plus de lait !
Alors quoi faire ? Je voulais pas laisser mourir ces pauvres petits
lapins ! Une fois qu’il a ramassé une bonne raclée, je lui ai dit,
« Tu vas aller à Baby Calèche », qui se trouvait à côté
de la Grande Poste, là, sur la place. C’était un magasin qui vendait
des berceaux, enfin tout pour le bébé. Alors je lui dis « Tu lui
demandes un biberon tout petit, c’est pour ... tu lui expliques. »
Il est revenu avec un petit biberon. Eh ben je leur donnais du lait
trois ou quatre fois par jour. J’allais avec mon panier, comme ça,
ils me voyaient arriver, ils étaient déjà devant la porte et pis
j’ouvrais, ils sautaient tous dans le panier alors je revenais à la
cuisine, je leur donnais à téter. Avec un petit biberon, je les ai
sauvés tous !
La fête
du pont Saint-Étienne
Oh,
tenez, il y avait beaucoup de choses ! Au Pont Saint-Étienne - la fête
se trouvait, je crois, vers le mois de juin – ils avaient fait l’élection
de la Reine des Ponts. C’était une camarade à moi, qui habitait pas
loin de chez moi, qu’ils avaient choisie. Ils lui avaient fait un beau bateau qui était garni de
guirlandes, et puis alors ils lui avaient fait une belle cape en velours
comme une reine, et pis une couronne et alors dans le bateau, ils la
promenaient la nuit, c’était éclairé, ce bateau naviguait tout le
long. Oh c’était beau.
Et
pis il y avait des courses de ... [régates]
Oh
je crois qu’il y a douze bonhommes dedans ! Et pis alors y’en a un
qui fait « Oh !, oh ! » et pis chaque fois, ils rament vous
comprenez. C’était un genre d’aviron.
Alors
ils prenaient le départ bien au-dessus le pont Saint-Étienne, et pis
alors on les voyait arriver : c’était beau de les voir ramer !
La
fête du Pesteu (Peïteu)
ne se faisait pas.
La
battue sur
la Vienne
Tous
les ans, ils [les pêcheurs] faisaient un concours de filets, oh je me
rappelle plus comment ça s’appelle ! Ils étaient tous les uns à côté
des autres, les bateaux et alors tout le monde avait le filet et d’un
seul coup, y’en a un qui donnait le départ : « Allez, 1,2,3 »
et tous les filets étaient ... oh, c’était beau ça, parce qu’ils
couvraient toute la Vienne, d’un côté à l’autre ! C’était la
Ville qui le faisait faire et je me rappelle pas ce que le premier
gagnait ou quoi !
Il
ne fallait pas que le bateau de l’autre dépasse celui d’à côté.
Il fallait qu’ils soient toujours bien alignés les uns à côté des
autres. Et puis au même moment, en même temps, ils devaient tous
lancer leurs filets. C’est ça qui était beau à voir !
Les
sauveteurs
Y’en
avait un au pont Saint-Étienne, y’en avait deux au pont Saint-Martial,
dont mon père, ils avaient le bateau de sauvetage alors tous les ans,
la Ville leur donnait un drapeau neuf
et pis des médicaments parce que mon père a été combien de fois
chercher des gens dans l’eau, qui sautaient le pont ou quoi. Pis alors
quand ils arrivaient en bas, ils voulaient plus se noyer ! Ils criaient
!
Mon
père, une fois, c’était pendant le Carnaval, il était en train de
couper un gâteau quand on a crié. « Allez, il dit ... »
Alors moi j’aidais mon père ou mon frère, si mon frère y’était
pas, c’était moi qui y’allais et alors je détachais le bateau et
j’amenais mon père à l’endroit, on se dirigeait par les cris.
Il en a ramassé combien de gens comme ça !
Les
gens, ils veulent bien se suicider, mais quand ils y arrivent, ils
crient !
Ça,
c’est ma mère qui me l’a raconté :
Le
jour qu’ils se sont mariés, ils étaient revenus à Limoges. Ils
habitaient dans la Cour, un quartier qu’on appelait la Cour, il y
avait un grand espace ... Et alors ma mère, parce que ma mère avait eu
ma soeur avant, alors mon père avait dit « Faut pas rester comme
ça, moi je la reconnais et pis c’est tout. » Alors ma mère était
montée en ville, et puis quand elle redescend, qu’est-ce qu’elle
voit : mon père qui tenait une jeune femme par le bras, et la gamine
qui traînait la gaule. Oh alors il a dit « Mon vieux, ta mère,
qu’est-ce qu’elle m’a mis avant que je puisse lui expliquer ! »
Parce que quand elle est arrivée, il lui a dit « Tais-toi, écoutes,
viens-là, on va t’expliquer. Tu vois pas ? » Alors ma mère est
restée bouche bée parce que, du Pont, elle ne voyait que cette femme
toute trempe, quoi ! Alors c’était une personne qui se noyait, elle
voulait bien se noyer, mais elle criait. Il lui dit « Fallait que
j’aille la chercher ! Et encore il a fallu que je lui donne un coup de
poing derrière la tête pour l’assommer » parce qu’elle
aurait fait noyer mon père !
La pêche,
le braconnage
(Mon
père pêchait). Il avait son épervier, il le lançait le soir à telle
heure, vers 7 heures. Et pis il
montait sur le pont [de la Révolution], il avait mis au bout un limon
vert.
Alors là, il allait en chercher et il faisait son limon, y avait du
sable ... et pis alors il mettait un morceau d’assiette blanche au
bout. Là sur le pont, il voyait si les poissons étaient là au bout !
Quand il voyait que la porcelaine, c’était plein de poissons, il
faisait : « C’est l’heure ! ».
Il descendait, bien sûr, il fallait quelqu’un de plus. Moi,
j’y allais.
Il
avait toujours des cailloux dans la main, ou alors c’était ma tante
qui montait. Quand ma tante a été morte, alors si y’avait quelque
chose qu’il voyait venir de l’Avenue de la Révolution, il lançait
des pierres pour dire « Cavale-toi ! Les gendarmes sont là ! »
C’était du braconnage !
Une
fois, je me rappelle, il y a des gendarmes, dont un, c’était un
Capitaine, c’était un nommé R... Oh je m’en rappellerai toujours
de son nom, parce que celui-là, il nous avait fait peur !
Mon
frère était avec mon père et pis il amenait le bateau. Ils étaient
descendus bien au-dessous des Ponts, et alors les gendarmes sont arrivés,
R… avait dû les repérer, mon père le connaissait bien sûr, alors
il descend de l’autre côté du pont par les escaliers qui allaient
rejoindre chez Fougerat, une usine qu’il y avait, de talons, alors il
descend en bas, en allant vers le viaduc et pis il lui crie : « Ruaud,
sors de l’eau, je t’ai reconnu ! » Mon père ne répond pas.
Mon frère ne répond pas.
Alors
il a dit « Si vous ne sortez pas, je vous flingue un coup de
revolver ! » Et au lieu de le dire, il l’a fait ! Mon père, ça
l’a mis en colère parce qu’il aurait pu blesser mon frère ! La
balle était dans le bateau. O pitit, mon père a dit : « J’arrive
! Arrêtez votre truc, j’arrive ! » Il a pris le « conte »
[la perche qui sert tout à ta fois à donner l’impulsion et à diriger
le bateau] lui […] mais lui quand il a vu ça, il a foutu le camp ! Il
est parti ! Alors mon père lui a dit : « Je t’aurai, mon ami,
je t’aurai un jour où l’autre ! Tu es obligé de revenir ! »
Et
une autre fois, il est revenu, on avait des chiens, c’était des
chiens, vous savez, comme ça, qui étaient venus, on les avaient
recueillis, on leur donnait à manger et alors ils étaient malins parce
qu’ils connaissaient les gendarmes, hein ! Pouvaient pas voir un képi
! Alors le soir, mon père disait à deux : « Montez là-haut ! »
Ils montaient au haut des escaliers et les autres étaient de l’autre
côté du Pont.
Alors quand y avait les pêcheurs qui venaient, Granger, Boisseau et
toute la bande, ils mettaient des « verveux », c’était
des goujonnières qu’on appelle, mais nous, on disait des « verveux ».
C’était des filets qu’on mettait en longueur comme ça, et qui
avaient un arceau rond. Ils plantaient cet arceau dans les pierres, ils
les calaient bien et pis ils mettaient une pierre au bout du « verveu »
pour que le « verveu » reste ouvert. Avec un morceau de
ficelle au bout, ils mettaient une pierre, et alors ça le retenait. Et
tous les goujons rentraient là-dedans ! Ils pouvaient plus ressortir !
Une
fois, ce gendarme vient voir du monde, et puis il crie à mon père :
« Emile, sors ! » « Qu’est-ce qu’il veut ? »
Alors mon père sort parce qu’il n’avait rien dans l’eau. Il dit :
« Qu’est-ce qu’il y a ? » Il dit « Ecoute ! Moi,
je suis venu, je suis pas gendarme, tu ne me vois pas en gendarme. »
« Merde alors, comment voudrais-tu que je te prenne ? »
Alors
il lui dit : « Il me faut une belle friture, j’ai quelqu’un »
« Moi
? Mais je ne pêche pas, il lui dit, je ne pêche pas ! »
« Oh,
il lui a dit, fais pas l’âne, je t’amène le bateau si tu veux »
Il
lui a dit : « Toi tu m’amènes le bateau, eh ben on ira bien
loin avec toi ! »
Alors
il lui dit : « Non mais il me faut cette friture ». Il est
monté sur le pont le gendarme, pour regarder si des gendarmes venaient
!
Y’avait
de belles fritures de goujon dans le temps, c’était beau ! C’était
presque tout du goujon. Moi, une fois, en 40 je crois, j’habitais rue
de Beaupuy et pis un jour, j’étais à ma fenêtre : « Oh, je
dis, qu’est-ce que c’est qui lui arrive ? » Je vois mon père
arriver un bras en écharpe, je dis « Bon dieu, qu’est-ce
qu’il a ? »
« Monte
chez moi » Je lui dis « Qu’est-ce qu’il t’arrive ? »
« Imagine-toi que je me suis fait casser la clavicule. Je monte
te chercher toi et ton gosse. » « Quoi ? » « Oui,
faut que tu descendes à la maison » « Ouf, j’ai dis, pas
de danger ! » « Tu vas me suivre ! Il faut que tu fasses le
limon ! » « Tu es fou ? » « Je te dis
qu’il faut que tu fasses le limon ». Imagine-toi que dans deux
jours, c’est l’ouverture de la pêche ... » et alors il
entretenait la Reine des Halles, c’était une dame, Malinvaud, elle
avait été nommée Reine des Halles pour le poisson. Alors c’est lui
qui l’entretenait de poisson.
Alors
moi, quand j’ai vu ça, je suis passée dans ma chambre et pis
j’avais pris mon maillot de bain, je savais qu’il fallait rentrer
dans l’eau ! C’est qu’on le faisait à pied ! J’avais pris mon
maillot de bain, quand mon père m’a vu ressortir, qu’à l’époque,
c’était pas comme tout à l’heure, il me dit : « Où vas-tu
comme ça ? » « Ben on va pêcher ! » « Rentre
à la maison, prends le pantalon que je t’ai mis sur le lit » Il
a fallu que je prenne ce vieux pantalon d’homme, un bleu de travail,
je sais pas, je marquais bien comme ça ! Il me dit « Je veux pas
te voir comme ça ! » Il voulait pas me voir en maillot de bain !
Oh là, c’était strict ça ! J’enfile ce pantalon mais j’ai dit
« Qu’est-ce que je vais faire avec ce pantalon, je vais tomber
quand il va être mouillé ! » Et surtout avec le poids du filet !
Quand il est sec, c’est pas lourd, mais alors quand il est mouillé !
Un filet de pêche - c’est des éperviers -, c’est grand ! Et pis
alors au bout des poches, y a des poches pour mettre le poisson dedans,
c’est des grosses boules de plomb, alors ça fait lourd !
Il
me dit : « Ne le rate pas ! » Parce que j’étais obligée
d’y aller à pied. Alors je lui dis « Ne rouspète pas parce que
je te laisse tomber ! » Alors il l’a rabaissé un peu, j’ai
attrapé mon filet, je l’ai mis comme ça, j’ai pris un morceau de
plomb, je l’ai mis dans ma bouche et je l’ai mis comme ça sur
l’autre. « Un, deux, et trois ! » Je l’ai arrondi comme
un parapluie.
Le
filet, j’ai été obligée de l’appeler, je n’ai pas pu le sortir
de l’eau tellement qu’il y avait du poisson. Il était rond comme
une tomate, et pis alors, bourré de poisson. Y’en a eu un seau et
demi.
Il
était heureux, il était fou, mon père !
Dès
que les chiens voyaient les gendarmes ...
Les
pêcheurs Granger, Boisseau et tout ça, ils venaient vers chez nous,
ils les plaçaient à côté de la pile du pont alors ils disaient :
« Tu lâches tes chiens, ce soir ? » Alors il disait :
« Oui, oui » Alors dès que les chiens voyaient les
gendarmes, on aurait dit qu’ils les sentaient de loin, les gendarmes,
ils se mettaient à aboyer ! Alors ceux qui étaient en bas, les pêcheurs,
le temps de rentrer dans l’eau et de retirer leurs « verveux »,
ramasser leur poisson, et quand ils descendaient : « Oh, oui, ben
allez-y » Ils ne trouvaient rien !
Ceux
qui avaient des objets placés, ils étaient obligés de passer la nuit
! Ils étaient toujours deux à rester la nuit.
Ils
auraient été vus ! Oh ben, ils ont bien été vus d’autres fois, ils
avaient des amendes, mais ils ne les payaient pas, ils faisaient 1 ou 2
jours de prison, mais c’était pas grave à l’époque !
La
Reine des Halles, Mme Malinvaud
C’était
une grande femme, costaud, elle était blonde. Et alors bien sûr, ils
avaient fait un machin pour le poisson qui était le plus beau et pour
ça, elle avait été nommée Reine des Halles. C’était mon père qui
entretenait le poisson, mais alors il lui en fallait toujours ! Il me
faisait descendre tous les jours ! Alors moi qui voulait rester chez
moi, y avait pas moyen ! J’étais bien mariée, mais mon mari était
à la guerre, bien sûr !
Mon
père, il ne faisait que la pêche.
Autrement,
il avait travaillé chez Legrand, à l’époque, c’était de la
porcelaine qu’ils faisaient.
La
porcelaine
(J’ai
travaillé dans la porcelaine) et je vous assure que le soir, je le
ressens ! C’est la silicose ! La poussière que j’ai pu avaler !
J’étais
en premier « espaceuse », c’est avec un plumeau, fallait
enlever toute la poussière, y’avait pas d’aspirateur comme tout à
l’heure
! (Fallait enlever la poussière) des assiettes qu’il y avait en
biscuit. Notre travail, c’était d’aller chercher des planches entières
d’assiettes en biscuit, y en avait bien 150 dessus, c’était lourd !
On montait sur un escabeau, on le tirait, on prenait la planche, on la
mettait sur l’épaule et pis on descendait pour aller l’espacer,
enlever la poussière.
Et
après, j’ai fait la retoucheuse. Alors c’est le dernier coup que
l’on donne à la porcelaine avant de la faire cuire. Elle avait été
émaillée, alors c’était enlever l’émail qu’il y avait de trop
et pis la regarder qu’il n’y ait pas de vent ! Parce y en a des
fois, de la porcelaine qui n’est pas chère, mais y a des trous : on
appelle ça des vents. Alors nous, on le nettoyait, et avec le bout de
notre lame qu’on avait, on prenait un peu d’émail et on le bouchait
et le repassait dessus ... mais y en avait beaucoup qui le faisaient pas
! Je travaillais au-dessous de celle-là, anciennement chez GDA et pis
alors plus bas [toujours aux Casseaux] chez
Chastanier.
Mais
vous savez, on nous faisait passer des visites, mais c’était de la
blague ! Je n’avais jamais rien, mais je vous dis que maintenant, je
le sens, le soir, j’étouffe !
Y
en a que les pauvres femmes, elles pouvaient plus souffler !
On
disait : « La silicose me sort par la bouche ! » C’est
vrai !
La
paye : C’était pas grand-chose, c’était rien. La vie était peut-être
moins chère, mais c’était pas payé !
Les
fours à porcelaine
C’était
chauffé par du bois avec des fagots et du charbon.
Moi,
les fours, je les ai montés avec un M. Sanchez. Je lui aidais à monter
les fours. C’était des « gazettes » en terre et puis on
les remplissait de porcelaine à cuire quand elle était finie par la
finisseuse.
Où
je travaillais, chez Serpaud,
le chef, quand il s’absentait, il me disait : « Si vous entendez
le four, vous descendez et vous le garnissez ». Alors quand on
entendait, ça faisait comme un réveil, vous savez, qui sonne le matin,
on descendait, on prenait la brouette, la pelle et on garnissait les 3
gueules de four de charbon. Quand c’était plein, on était
tranquilles pour un moment, jusqu’à ce que le réveil re-sonne. Il
faisait chaud là où on travaillait.
En
dernier, chez Chastanier, c’était au gaz. Là, c’était un monsieur
qui s’occupait spécialement de ça.
Ses
différents métiers
Mais
où j’ai eu le plus de bénéfice, c’est quand je faisais le porte-à-porte
pour les produits de beauté. [Elle raconte alors les ficelles pour faire
de l’argent ...]
Et
j’ai été aussi serveuse cours Jourdan, à l’ancien mess de Police.
C’était presque en bas du cours Jourdan. Alors là, j’étais au
bar.
Oh,
j’en ai fait des métiers, vous savez !
A
12 ans, j’étais dans la chaussure. J’étais à la fabrique des boîtes
de carton pour les chaussures, c’était une machine, je pliais les
cartons et je les présentais à la machine qui mettait les agrafes.
Et alors après, j’ai été au chômage. Après, j’ai été au mess
de la Police, j’avais d’abord été au mess des PTT, au Mas Loubier,
puis place Saint-Pierre.
Au
mess de la Police, une fois par an, ils faisaient un grand bal à la Préfecture,
alors là, c’était chic. Y avait de bons pourboires ! On était à 2
serveuses, c’était bien payé !
J’ai
fait des ménages, j’ai fait des lavages, j’ai fait un peu de tout !
Pendant la guerre, on était bien obligé de se débrouiller ! J’ai même
fait un manteau de fourrure à mon petit, en peau de lapin blanche !
(Elle
raconte l’anecdote de la fabrication du manteau, artifice utilisé
pour pallier les besoins pendant la guerre.)
C’est
là que j’ai eu les premières chaussures en bois. Il y en avait en liège.
Mais y en avait en liège qui étaient drôlement bien ! C’était léger
aux pieds et puis vous ne risquiez pas d’avoir de cors !
Les
tanneries
Il
y en avait une, c’était rue de Babylone, vers les Ponts là-bas,
(c’était) Parinaud.
Y
en avait un autre vers le pont Saint-Martial aussi.
Oui,
y a beaucoup de sel. Quand ils versaient le matin pour que les poubelles
... sur le bord, ils les enlevaient pas, des tas de sel comme ça. Ça
sentait quand on passait à côté. Parce que c’est avec du sel que
vous les tannez.
Et
pis y avait une autre tannerie qui était en bas de la rue d’Auzette.
Y
en avait 3 en tout.
L’affaire
Dardillac
J’avais
connu le dernier qui avait été guillotiné, un nommé Dardillac.
Le
pauvre, je le revois cet homme parce qu’il pointait au chômage au même
moment que moi et c’était un tout petit gros, c’était malheureux,
ce qu’il a fait.
C’était
un homme qui était dans la misère avec ses gosses, je crois qu’il en
avait 4 ou 5 et puis sa femme aussi travaillait pas.
Un
jour de foire, il a vu un marchand de vin qui était venu. Et pis alors
dans le temps, les paysans, ça buvait beaucoup et ils avaient leur gros
portefeuille et pis ils le portaient pour faire voir. Et lui, il avait
vu ce portefeuille. Sans doute ça a dû lui donner un coup, il voulait
l’argent, quoi. Route de Bellac, ça s’était passé en bas. Il
avait tué, je crois, le gars ; il lui avait pris son portefeuille
et puis y en avait d’autres qui sont venus et pis ils l’avaient mis
dans le ruisseau qui s’écoulait en bas et ils l’avaient recouvert
avec des fagots de bois.
Alors
il a été condamné à mort. Ils l’ont guillotiné en face de la
prison.
Moi,
j’ai pas voulu aller voir.
Y
en avait qui passaient la nuit pour le voir. La guillotine était placée
à la grande porte qu’il y a. Il fallait qu’il monte une marche et
qu’il passe son cou dans la lunette et pis clac, le couteau descendait
et de l’autre côté, la panière qui recevait la tête.
L’affaire
Barataud
C’était
entre grosses têtes, ça, entre médecins. C’était des gens chics,
les grosses maisons. Ils se réunissaient dans l’avenue Baudin, chez
un autre toubib, et pis alors ça faisait des orgies. Les deux gars qui
ont été arrêtés, y avait Péguinet et pis je me rappelle plus. Y a
eu un crime, ils en ont tué un. Et pis alors, ça paraît, ils
l’avaient amené dans ce ruisseau là-bas avec la complicité d’un
chauffeur de taxi. On a jamais bien su. Barataud a été condamné à la
prison à vie mais il en est sorti avec l’argent, 20 ans après.
Les
foires
Tous
les mois, il y avait la foire à Limoges au champ de foire, c’était
les paysans, avec le bétail.
Place
Marceau, c’était les bourricots qu’ils vendaient, des chevaux et
puis des bourricots.
L’octroi
Chaque
fois que des paysans arrivaient, c’était des laitiers, des marchands
de légumes, tout ça, on allait à l’octroi les attendre et ils étaient
obligés de s’arrêter pour avoir un ticket, fallait qu’ils payent
tant pour passer Limoges.
C’était
bien, on avait tous les jours du lait bien frais et pis des légumes.
Fallait attendre les laitières. Elles venaient de loin avec le
bourricot, la voiture.
Les
bals
Le
samedi soir et le dimanche après-midi.
Y
avait Le Tabarin et Le Robinson (vers le vélodrome) et y en avait un
autre sur la route de Saint-Léonard.
Pendant
la guerre, y en a eu mais jamais j’y suis allée, parce que c’était
dangereux.
Selon
elle, « Dans les Ponts, on a vite baptisé quelque chose »
L’école
J’allais
au Pont-Neuf.
Jamais j’ai manqué, mais ma tête, y avait rien à faire, je ne
retenais rien. Je n’ai pas passé de certificat d’étude.
J’ai
arrêté à 12 ans.
Je
m’ennuyais de pas savoir comme les autres mais je me suis apprise en
lisant.
Je
faisais des poèmes, des chansons, je prenais la musique d’un chanteur
et si ça marchait pour les mots, moi, je la lançais. Comme la chanson
que je voulais faire sur le Carnaval, c’était sur l’air du Carnaval
dans le temps !
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