J. D. Ma
grand-mère
été placée à six ans, à la campagne. Ensuite, elle a connu mon
grand-père [PIerre Roche], ils se sont mariés et sont venus
s’installer rue du Masgoulet, mais ils étaient tous deux
d’origine paysanne. Comme beaucoup de paysans, ou plutôt de
travailleurs de la terre, car ils n’avaient même pas de ferme,
ils sont venus rue du Masgoulet et ont trouvé ce que beaucoup
d’autres ont trouvé en arrivant : mon grand-père dans le
bâtiment et ma grand-mère trieuse de chiffon, mais pas
chiffonnière ; ce n’était pas de la collecte, mais du tri.
J’ai souvent été la voir dans l’usine rue du Pont-Neuf d’une
part ou plus tard rue François-Chénieux.
Quand j’allais chercher ma grand-mère, il y avait de grandes
boites avec des ballots et – je crois me souvenir qu’elles
n’étaient que deux ouvrières – elles triaient dans une
poussière incroyable en
fonction de la qualité du tissu et de sa nature, comme
on peut le voir aujourd’hui pour le tri des fruits
et, je l’ai déjà raconté à plusieurs reprises, elle
faisait parfois une trouvaille, une fois des pièces d’or
qu’elle avait remises à son patron. Il avait dit :
« Mère Roche, si on ne retrouve pas le propriétaire, je vous
les remettrai ». On ne les a jamais revues, mais cela n’a
pas entraîné d’aigreur chez ma grand-mère, elle était très
honnête et respectait le patron.
J.P. C. La campagne dont ils étaient originaire
était éloignée de Limoges ?
J. D. Mon grand-père était de
La Geneytouse
et ma grand-mère de Saint-Just. Elle a été placée dans une ferme
des environs de Panazol à six ans.
J.P. C. Comme paucha,
comme servante ?
J. D. Même pas, elle gardait les vaches... Elle
nous a raconté des soirées entières ce qu’était la vie d’une
petite fille placée à la campagne… c’est relaté dans la
brochure de maman.
Il y a l’histoire d’un abcès qu’elle a eu à l’oreille,
elle souffrait et pleurait… c’est sa patronne qui finalement
s’est rendu compte de ce qu’elle avait et a pu la faire soigner
(« une si bonne patronne », disait-elle)… mais aussi,
une autre fois, un patron trop avenant. C’est l’un de ses oncles
qui est venu et s’est rendu compte qu’elle ne pouvait pas rester
là, et on l’a ramené chez sa mère… C’est vrai que l’on
n’a jamais vraiment cherché à savoir ce qu’avait été son
existence… pourtant elle en a souvent parlé, mais je ne l’ai
pas gardé en mémoire… Je l’ai plus connue quand elle était à
Limoges. Au Masgoulet, ils avaient une pièce au 35 qui donnait à
la fois dans la rue du Port-du-Naveix, et par un couloir
transversal, dans la petite rue du Naveix. C’est là où maman est
née et où ils ont habité jusqu’à… je ne sais plus quelle
année.
35
rue du Masgoulet, maison natale de Marie Dussartre, née Roche
collection
Jeannette Dussartre
J.P. C Vous avez dû souvent les entendre parler
« patois » votre grand-père et votre grand-mère ?
J.D. Oui, bien sûr. Et dans le Masgoulet – je
revois les familles qui y étaient ; il y avait plusieurs
générations – et il est vrai que les parents, enfin les
grands-parents parlaient « patois ». On est trois
générations installées à Limoges : il y a eu mes
grands-parents, mes parents, puis nous… et nous avons été
privés de la campagne, si l’on peut dire, car
la mère de mon père, Françoise Mingotaud, veuve avec trois
enfants dont elle était la tutrice avait acheté, une maison et ses
dépendances à Panazol. En 1903 (maman n'avait que quelques mois)
elle a décidé d'en céder la propriété à Henri Lebon, son
gendre veuf avec trois enfants en s'assurant par le même acte
notarié le maintien dans les lieux jusqu'à la fin. Ce qu'elle a
fait. – Mon grand-père et son frère Léonard ont donc renoncé
à leurs droits légitimes. Et sans couper les liens disons
« naturels », mon grand-père, et sa femme sont devenus
très rapidement ponticauds et limougeauds.
Marie
(la plus petite) en compagnie des autres petites filles de leur
grand-mère Françoise, veuve Roche. Panazol, 1911
collection
Jeannette Dussartre

Anna,
Pierre et Marie, sous la tonnelle de la maison de Panazol en 1911
collection
Jeannette Dussartre
J.P. C. Mais ils se disaient eux-mêmes
ponticauds, j’imagine ?
J. D. Ils se disaient ponticauds. Dans le
Masgoulet, quand il y a eu les événements de 1905, beaucoup –– ma
grand-mère, me l'a souvent raconté et maman après elle –– , sont
montés voir ce qui se passait au champ de foire. Ça travaillait
les esprit… chez eux les discussions se passaient en patois et
avec des gens qui étaient de la première génération de la
campagne.
J. P. C. Avaient-ils un engagement
politique ?
J. D. Non. Ils étaient socialistes. Dans le
quartier du Masgoulet, tout le monde était socialiste. Enfin tout
le monde… il ne faut pas exagérer, mais il était réputé comme
étant un quartier socialiste.
J. P. C. Socialiste, donc souvent
anticlérical ?
J. D. Mon grand père était anticlérical. Il
couchait dans une petite chambre, car il avait la tuberculose. Quand
il allait mourir la religieuse est venue. A ce moment-là les
religieuses passaient quand les gens allaient mourir pour les aider
à partir et éventuellement amener le prêtre –– il l’a
engueulée et l'a mise dehors Il
y avait une Sainte Vierge, qui est restée dans la famille
d’ailleurs. En sortant elle a dit à ma
grand-mère: « Ce n’est pas possible qu’il y ait une
Sainte Vierge chez un mécréant comme cela ».
J. P. C. A-t-il fait baptiser ses propres
enfants ?
J. D. C’est ma grand-mère… il y a toujours
un moment où une femme imposait ses vues… ça ne s’est
sûrement pas fait en grande pompe, mais ma mère a été baptisée,
puis a fait sa communion. Quand maman a été baptisée, elle était
déjà un peu grande, elle a été très malade et c’est ma
grand-mère qui a obtenu qu’elle soit baptisée, et quand on l’a
amenée à la cathédrale, elle avait trois quatre ans et le curé
lui a enlevé son chapeau pour lui mettre l’eau du baptême, elle
lui a dit en patois : « Rends-moi mon chapeau, nom de
Dieu ».
Plus tard quand le
prêtre la rencontrait il lui disait « Alors, Marie-Louise, et
ton chapeau ? As-tu ton chapeau Marie-Louise ?
» Elle rougissait évidemment…
Je suis allée à la conférence sur les femmes
battues à Lire à Limoges, cette année, et nous nous sommes regardées avec
ma nièce parce que les femmes de notre famille n’étaient pas des
femmes battues : elles ont
toujours travaillé et défendaient leur point de vue dans le
ménage. Et si ma mère a été baptisée, c’est dû à ma
grand-mère, si j’ai été baptisée, c’est dû à ma mère. Mon
père n’est jamais rentré dans une église, mon grand-père n’y
rentrait pas non plus. Je pense que des femmes qui avaient leur
indépendance économique ont su, à des moments, imposer leur point
de vue à l’homme auprès duquel elles vivaient et dont elles
dépendaient, mais d’une façon non économique.
J.P. C. Mais les femmes n’étaient pas
forcément en désaccord avec leurs maris sur la question
cléricale…
J. D. Mais il y a aussi la superstition, comme
vous aurez vu en lisant les livres de Pérouas. Il y a la crainte
que l’enfant ne soit pas baptisé… ça traîne ça… Cela m’a
toujours frappé de voir comme souvent la peur faisait que l’on se
compromettait devant la maladie d’un enfant ou la fin dernière de
quelqu’un. On change, hein. Et ça ne date pas
d’aujourd’hui… Dans le quartier il y avait beaucoup de
réfugiés espagnols : le quartier espagnol de la rue
Porte-Panet n’était pas anticlérical, comme les natifs des
paysans rouges.
J.P. C. Pourtant c’était des réfugiés de la
guerre d’Espagne. Ils étaient peut-être même plus radicaux.
J. D. Du point de vue des idées, mais pas du
point de vue de la foi. Je revois les visages de la rue du Masgoulet
quand j’y ai travaillé plus tard avec Henri Chartreux, de 1947 à
1967… Tous les hommes restaient hors de l’église.
J.P. C. Mais ces espagnols avaient une autre
attitude ?
J. D. Je l’ai surtout vu à l’école du
boulevard Saint-Maurice : beaucoup ne faisaient pas leur
communion, mais beaucoup aussi la faisaient…
En vous parlant je revois beaucoup de visages…
C’est pourquoi j’ai un tel respect pour les gens. Je vois des
visages de gens qui ont eu des difficultés, mais qui ont toujours
pratiqué une solidarité…
J. P. C. A quel niveau ? dans la vie
quotidienne ?
J. D. Dans la vie quotidienne… On a pu dire de
la rue du Masgoulet, après la guerre, qu’elle était communiste.
Daniel Vignol par exemple, dit : « On aurait pu mettre un
drapeau rouge au deux bouts de la rue ». C’était vrai, mais
ce n’était pas quand même… Contre l’Église, oui, comme
institution, c’est sûr…
J. P. C. Une chose que l’on nous dit dans les
entretiens, c’est que les gens étaient anticléricaux, au sens
où ils rejetaient l’institution, mais étaient tolérants pour
les idées religieuses..
J. D. Mais quand on se traitait de
« Cathos vendus aux curés », on était pas très
tolérant. C’est une chose que j’ai dite, parce que des petits
voisins faisaient leur communion, et que moi je ne la faisais pas.
Après, quand j’ai eu la foi, c’était l’inverse. Je ne suis
pas sûre qu’on était tellement tolérants. Cela ne veut pas dire
que dans un quartier, cathos ou pas cathos, on ne se rendait pas des
services.
Le fait que dans ces quartiers, les gens
travaillent, que les gens travaillaient et il y avait une espèce de
respect pour ce que pouvait être l’un ou l’autre… il n’y
avait pas tellement de différences sociales, il n’y en avait
pas… à l’école du
Boulevard Saint-Maurice, nous avions les sabots que nous donnait la
mairie et l’on remarquait celles qui avaient des souliers.
J. P. C. Ceux-là étaient plus riches ?
J. D. Non, mais leurs parents jugeaient
nécessaires de faire l’effort de leur en acheter. Par exemple,
l’une, son père travaillait à l’Arsenal, il y avait des
métallos… certains étaient en effet un peu plus à l’aise et
voulaient peut-être plus vite que nous sortir de ce milieu. Parce
qu’il y avait une progression sociale, les parents essayaient de
faire d’un ouvrier un employé, d’un employé un fonctionnaire,
d’un fonctionnaire un ingénieur… Quand on veut me faire dire
que la cité des Coutures a changé et qu’elle est moins bien
qu’avant, je dis qu’elle n’est pas comme avant, je dis :
qu’elle n’est pas comme avant, qu'elle a subi
l’évolution de la société, c’est tout… Le salariat a été
une force sociale dans les quartiers, je vous assure… Donc, je
vois des visages, des familles entières avec deux, quatre, parfois
cinq enfants, mais on se respectait parce qu’on traversait le pont
Saint-Etienne ensemble pour aller chez Legrand à pied, car il n’y
avait pas d’autre moyen de transport,
et dans l'autre sens on venait travailler à
la GDA
… Le chiffonnier était là, le charbonnier était là… Il y
avait une mixité sociale tout en étant à un certain niveau à peu
près la même, même s’il y en avait de plus pauvres que
d’autres.
J. P. C. Elle se traduisait comment cette
solidarité ?
J. D. J’ai une déformation familiale. Ma
grand-mère avait comme devise : « Tout ce qu’on mange
pourrit, tout ce qu’on donne fleurit » et au nom de ça,
elle a partagé, élevé ses neveux. C’était des femmes qui
étaient généreuses. Mon grand-père, je vous l'ai dit a
abandonné ses droits sur une maison, pour que son frère veuf
puisse élever ses enfants, son frère a fait la même chose et
j’ai vécu dans cette famille là. Quand vous parlez de maman,
pour ceux qui restent, dans la cité des Coutures, on disait de chez
nous « la maison du bon Dieu » : ça rentrait ça
sortait… et il en est toujours allé ainsi… Alors j’ai
tendance à voir chez les gens ce qui se fait de bien, ce qui se
fait de mieux… Il y a toujours de beaux gestes. Avoir vécu dans
une famille comme cela et après les prêtres ouvriers, le Masgoulet
avec Henri Chartreux, c’était encore une autre forme de
solidarité dans des moments difficiles, parce que dans l’après
guerre on avait faim et autour de moi je ne voyais pas quelqu’un
qui prenait le pain de l’autre. Quand vous avez dans un coin une
épicerie – chez Maucourant – qui faisait la soupe pour le
quartier, à l’angle de la rue. Les gens allaient chercher la
soupe, cela crée un lien… La "mère "Licoine, qui
était ma cousine, de loin, mais cousine quand même, était la
bouchère, faisait des boudins pour tout le monde ; les femmes
qui sortaient de travailler à
la GDA
passaient par le Masgoulet pour rejoindre la rive gauche de
la Vienne, se servait là. La mère Maucourant avait fermé sa boutique avec
un écriteau : « Fermé pour cause de guerre, reprise de
l’activité sous peu », quelque chose comme ça… Comme
quoi elle était optimiste ! Il y avait une autre épicerie,
l’épicerie Flotte, tout cela dans un seul quartier… alors la
rue du Naveix, où se trouvait Fontan le marchand de glaces, était
peuplée d’espagnols, profondément croyants, qui votaient à
gauche. Pendant la guerre sont venus des gens des Deux-Sèvres qui
étaient des croyants… Je pense que le socialisme, oui, était
sectaire : mon grand-père refaisait le monde, et il était
socialiste, mais plus à la façon de Goujaud que de Betoulle…
Parce que quand la chanson dit : « Parfois chose triste,
des arrivistes quittent les Ponts »… Goujaud vivait dans la
plus belle maison du Port du Naveix, d’ailleurs il est dommage
qu’elle n’ait pas été gardée parce qu à l’intérieur elle
avait un escalier remarquable…
J.P. C. Donc on peut rester aux Ponts et…
J. D. Oui, mais c’est lui qui a l’initiative
de la création des Enfants de
la Vienne
… Chez Jeammot,
la Crotte
de Poule, c’était là
où venaient les employés des usines de tissage à côté qui
sortaient du boulot… Ils étaient socialistes, mais très liés à
la mairie de Betoulle, tout en disant « Les arrivistes
quittent les Ponts », parce que Betoulle n’était pas resté
aux Ponts. Mais la séparation avec le pouvoir politique n’était
pas aussi tranchée. La bagarre existait entre tendances, il suffit
de lire les journaux, Le Travailleur
et les journaux socialistes de l’époque ou même après,
et à partir de 1920, entre socialistes et communistes. On le
retrouve dans les archives de la chaussures par exemples,
on voit les tendances qui se manifestent à l’intérieur du
syndicat, comme dans les entreprises… C’était des bagarres en
effet… Dans ma famille, on n’a jamais pu fréquenter personne,
parce que mon père était communiste… Il n’y avait pas de
possibilité d’aller manger chez des cousins socialistes sans que
ce soit un affrontement… C’est difficile de parler du passé en
se rappelant les différentes étapes, parce qu’on a subi
l’évolution… D’abord les grands-parents qui s’engueulaient
dans les cafés…
J.P. C. Vous vous en souvenez ?
J. D. Je m’en souviens à travers la mémoire
de ma mère qui allait chercher la paye du père au boulevard
Saint-Maurice, où se tenaient les réunions des deux tendances…
Ils étaient tous socialistes, mais les uns étaient plus de gauche
que les autres, les partisans de Goujaud et ceux de Betoulle, mais
de notre côté, on était plutôt pour Goujaud… évidemment je
n’y étais pas, c’est ce que j’entendais à table. C’était
tranché au niveau des familles, des individus, mais pas de la
société et du quartier. Et il est vrai que l’on considérait le
parti socialiste comme une parti de traître et les communistes
comme vendus à Moscou… Il est vrai que les socialistes avaient la
bonne part : par exemple pour la distribution des appartements
de la cité des Coutures, mais c’est le cas dans toutes les
municipalités…
J.P. C. L’arrivée aux Coutures était une
rupture radicale, pour l’habitat ?
J.D. On ne peut pas s’imaginer… Mon amie
habitait dans une mansarde qui n’a jamais eu l’électricité
dans l’escalier de son immeuble et il y avait les toilettes dans
la cour, encore récemment, et longtemps après,
vers 1960, c’était pareil, et on allait chercher l’eau
en la tirant à la pompe. Quand nous avons quitté la rue Saint-Affre et sommes partis habiter boulevard Saint-Maurice, là où se
trouve le CNASEA.
les immeubles étaient assez
hauts, mais nous allions dans des water communs, à la turque, et
c’était insupportable ! Aller aux Coutures, c’était la
possibilité d’avoir de l’eau sur l’évier, des water pour
soi… c’était un progrès absolument… plus, une promotion
sociale. André Maupin qui était dans le même immeuble que nous,
au n° 8 me disait que la cité’était un exemple de mixité
sociale… Au Masgoulet, c’était la mixité sociale, à peu près
au même niveau, mais aux Coutures, dans notre maison, il y avait un
petit patron de l’imprimerie, deux comptables, un gendarme, un
militaire, un employé du gaz, un employé de mairie,deux ouvriers
en chaussure un terrassier… Il y a eu au Masgoulet du
sous-prolétariat, mais pas aux Coutures. Il y avait 109 familles de
cheminots sur 531 locataires.
J.P. C. Le sous-prolétariat des Ponts, comment
vous le définissez ?
J.D. Par l’habitat. On était la deuxième
ville taudis après Saint-Etienne. Dans le Masgoulet, il y avait des
gens qui avaient des maisons convenables, mais d’autres pas… La
maison où habitait Paulette Morel s’est écroulée, du fait de la
vétusté. Chez les Dardillac vivaient cinq enfants dans très peu
de pièces, très bien entretenues, mais c’était très petit…
et en face, il y avait des appartements plus bas que le
rez-de-chaussée. Mais tous ces gens là avaient un emploi… Il ne
s’agissait pas de sous-prolétariat au sens social.
J.P. C. Mais n’y avait-il pas parfois des
problèmes d’alcoolisme ?
J.D. Oui… et il n’y avait pas d’assistance
de l’Etat. Certains buvaient beaucoup, mais ils arrivaient quand
même à travailler de temps en temps.
Je revois leurs visages, je les revois tous…
Par exemple chez Noblin, le père travaillait dans la porcelaine, la
mère ne travaillait pas, s’occupaient de ses deux enfants, il
n’y avait qu’un salaire qui rentrait, mais elle a hébergé chez
elle son père et sa mère qui ont été malades, il n’y avait pas
d’eau, elle allait à la fontaine au coin de la rue du Masgoulet
et elle lavait ses draps, comme ça… et ils avaient deux
pièces : une cuisine et une chambre et quand le grand-père
est décédé, il a été hébergé sur la table de la cuisine
d’Henri Chartreux. Donc je pense que la pauvreté du Masgoulet –
là je revois les rues – était surtout dans l’habitat. Après,
il y avait le nombre d’enfants : rue Saint-Affre, habitaient
des familles nombreuses, mais ils avaient le petit jardin devant, et
le père travaillait. C’était la pauvreté, ils n’avaient pas
ce qu’il fallait, mais ce n’était pas la misère extrême.

groupe
de porcelainières avec Germaine Noblin (3e en partant de la droite)
J.P.
C. En fait, malgré la pauvreté, il n’y avait pas une réelle
marginalité sociale ?
J.D. Non. Il n’y avait pas cette exclusion qui
est si pénible aujourd’hui, parfois du seul fait de l’âge, ou
du retrait de la vie militante. Si il y a eu une exclusion à l’école
Saint-Maurice, quand deux gamines ont voulu faire leur communion et
qu’elles devaient suivre une retraite et s’absenter de Limoges,
ce que Madame Longequeue n’admettait pas, et cela m’a toujours
paru une injustice. L’une d’elles a écrit ce beau livre sur la
porcelaine. Elles les mettait au fond de la classe, car elle ne
comprenait pas qu’on pouvait manquer l’école laïque pour
s’en aller suivre une retraite. C’était les hussards de
la République
! Mais elle avait un grand souci de faire réussir les filles
pauvres.
J’essaie de voir par où l’exclusion pouvait
se faire… il y avait un lien très fort entre nous, au boulevard
Saint-Maurice, comme il devait y en avoir un de l’autre côté au
Pont-Neuf, ou au pont Saint-Martial. Le lien a dû se faire par
l’école, qui regroupait les enfants depuis
la Crotte
de Poule, en montant rue Masgoulet, boulevard Saint-Maurice, rue
Porte-Panet, rue Saint-Affre… La remise des prix et la fête
avaient lieu dans la cour de l’école, avec des parents qui
venaient… il y avait ceux qui venaient et ceux qui ne venaient
pas, mais le plus souvent la mère au moins venait… et la
préparation de la fête de toutes les écoles… il y avait six
classes de garçons et six classes de filles : cela faisait
toute une population d’enfants et avait des répercutions dans la
vie familiale… Ce n’est pas pour rien que dans la chanson Nous sommes de Limoges, il y a un couplet sur l’école
Saint-Maurice qui dit « Au boulevard Saint-Maurice une école,
nous apprend l’honneur et la justice ». Quand on a sorti la
brochure sur les ponticauds, on a organisé une réunion où se sont
retrouvées 140 personnes, et qu’on l’a chantée devant
d’autres associations, personne ne la connaissait, sauf ceux qui
avaient été dans cette école.

Marie Courty et deux
autres employées de l'usine de tissage de la rue Saint-Affre dans
la cour jardin de Marie (rue Saint-Affre). col. Jeannette
Dussartre

La tisseuse Marie
Courty. col. Jeannette Dussartre