Entretien
avec Lucien Margotin
réalisé par Jean-Pierre Cavaillé, le
30 mars
2010 à
Isle
Né
le 20 novembre 1918, à Limoges, rue Adrien Tarrade, Lucien Margotin habitait dans sa
jeunesse rue Armand Barbès, puis place Carnot. Il a exercé diverses
professions, d’abord, à partir de l’âge de 13 ans, sur concours,
à l’Union Coopérative, puis est devenu mécanicien, fraiseur, etc.
Dès sa jeunesse,
il a pratiqué le saxo alto et le saxo ténor et joué
dans divers orchestres. Pendant la guerre (réformé temporaire) il s’est produit dans le Mood
Orchestra, dirigé par Beaubrun, qui se produisait pour les galas en faveur
des prisonniers. Dans l’immédiat après guerre, à partir d’octobre
1944 et jusqu’en 1948, il a dirigé un orchestre de bal, du nom de Caprice
. Il a ainsi joué pour de nombreux bals à Limoges et en Limousin dont ceux du fameux
Cheval Blanc, près du pont de la Révolution. Il a également été
membre des Gueules Sèches, avec Lucien Meynieux (voir l’entretien que
celui-ci nous a accordé). Il n’a jamais habité les quartiers des
Ponts, mais a été membre dans sa jeunesse de la société nautique des
Marins du Clos.
Marin du Clos
Lucien Margotin – Aux Marins du Clos, on avait un béret
en papier blanc avec un pompon rouge, en papier aussi. Et alors, on suivait le carnaval, et on chantait la chanson, Les
plus beaux marins du Clos… (Il
chante :) « C’est nous les plus beaux de tous les Marins du
Clos… » [a].
Jean-Pierre Cavaillé – Comment vous êtes-vous retrouvé
Marin du Clos, si vous n’habitiez pas le quartier ?
LM – J’ai suivi le carnaval jeune, et de toute façon, je
voulais faire de la natation et j’ai appris aux Marins du Clos.
JPC – Mais parmi les marins du clos, il y en avait
d’autres comme vous qui étaient d’autres quartiers que les Ponts ?
LM – Non, pas beaucoup, les autres étaient des Ponts.
***
J’ai
joué avec les bigophones :
on avait une espèce de pastille, qu’on se mettait
sur le plat du bout de la langue et puis on souffle dans un bout de
branche de sureau dont on avait enlevé la moelle, dedans pour donner un air de
musique... on prononce
avec la gorge. On avait une trompette en bois, en fait dans un petit
bout de bois creux ou de sureau, et vas-y que je te donne.
Et alternativement on laissait les instruments pour chanter
la chanson.
Natation
JPC – Les cours de natation, comment ça se passait ?
LM – Ho c’est facile : quand vous savez pas nager, on
vous dit, à l’époque, vous mettez deux chaises l’une contre
l’autre, vous vous mettez à plat ventre dessus et vous faites la
grenouille, et ensuite pour apprendre, on vous tient dans l’eau sous
le menton. On avait aussi des bidons de pétrole, parce qu’il y en
avait qui n’avaient pas l’électricité, qui avaient des lampes à pétroles,
de cinq litres. C’était carré, ça avait quarante centimètres, on
se l’attachait avec une ficelle pour faire un cercle, les deux côtés
du bidon, le haut et le bas, pour point d’attache, noué au-dessous de
soi, attaché aux deux épaules : ça vous pousse dessus. Mais il
faut faire attention de pas aller là où c’est trop profond, parce
que desfois, avec la poussée de l’eau et les petites vaguelettes, ça
se tourne brusquement et il vous passe sur le dos, et vous buvez la
tasse. De toute façon on ne s’aventurait pas dans le courant.
***
LM – On avait une batelle au milieu de la Vienne qui était
entre le Pont-Neuf et le pont Saint-Étienne.
En face, près du Pont-Neuf, en descendant la Vienne, avant de
le passer, dessous, il y avait des régates. Et ensuite on en a fait côté
gauche, après le Pont-Neuf.
***
Lucien
Margotin se souvient aussi des feux d’artifice sur la Vienne, avec des
chars fleuris illuminés sur la Vienne : « C’était très
beau »…

L'équipe
de natation des Marins du Clos un peu avant guerre
Au port du Naveix
LM
– Et aussi, je me rappelle de la Crotte de Poule et de la rue du
Naveix. Je me rappelle, j’allais au bal depuis l’âge de seize ans
et puis je nageais avec les Marins du Clos, et là il y avait la
frairie… en 34, 35, 36, l’été.
JPC – Des Enfants de la Vienne ?
LM
– Peut-être pas, des habitants du Port du Naveix peut-être. Et là
il y avait un bal, dessous le balcon qui avance bien, là… C’était
la Crotte de Poule qui s’occupait de l’organisation, mais ce n’était
pas un bal privé, c’était un bal ouvert, pour tous ceux qui
voulaient y aller… Et après ils ont fait la frairie dans la rue, à côté
du pont Saint-Étienne, tout cela avant guerre.
JPC – Donc les Marins du Clos allaient aux fêtes qui se
faisaient en face.
LM
– Oui, oui. On faisait de bons repas avec la cuisine limousine et
l’on buvait de bons coups de blanc et de bons coups de rouge, on se fâchait
peut-être pour une bricole et on était d’accord de plus se rappeler
du tout le lendemain, hein.
JPC – Et qu’est-ce qu’on mangeait ?
LM
– On mangeait du poulet. A la Crotte de Poule, il y avait des poulets
qui se baladaient, attention, et ils rentraient même dans la cuisine
manger ! Une omelette, du poulet, des trucs comme ça… et puis la
friture de goujon, toujours du goujon.
La Vienne
LM
– Je vais vous indiquer les poissons qu’il y avait dans la Vienne à
l’époque : il y avait des gardèches, des goujons, des tanches
dans les bouquets d’herbe, qu’on appelait le limon, et il y avait
des poissons soleil aussi dedans. Le poisson soleil est un poisson qui a
le dos légèrement arrondi, le ventre légèrement arrondi, mais pas en
forme de cercle, irrégulier.
Il se mangeait aussi. Et il y avait aussi des grenouilles sur les bords
et des loutres… et des rats. Des loutres, j’en ai vu. Ils mettaient
des pièges pour les attraper parce qu’elles mangeaient le poisson.
Les
pêcheurs remontaient la Vienne avec une dizaine de bateaux, toujours en
remontant le courant, d’un bord de la Vienne à l’autre… Ils
avaient tous un épervier et ils lançaient le filet tous à la fois,
sous tous les ponts, jusqu’au Poisson soleil. Quand ils étaient tous
décidés, ils se donnaient tous rendez-vous… Je les ai vu, parce
qu’à dix ans j’allais chez ma tante qui habitait rue d’Auzette.
JPC – Ils avaient le droit ou c’était du braconnage ?
LM
– Le droit n’existait pas, le braconnage existait superficiellement,
il n’y avait pas de procès à cette époque pour attraper le poisson,
donc ils avaient une liberté entière… Le maillage était de dix
millimètres : même les goujons y passaient. C’était les
ravageurs. Ils vendaient du poisson, mais presque tous exerçaient un métier :
ils travaillaient chez Legrand, l’usine de porcelaine, et d’autres
dans la chaussure en allant travailler à Limoges. En supplément, pour
gagner de l’argent, il vendaient du poisson, en supplément ils réparaient
les chaussures… ou autre.
JPC – Ces pêcheurs, ils étaient combien environ ?
LM – Normalement, on est deux par bateaux : un qui tire
le filet, parce que c’est lourd. Il y a des billes en plomb, on prend
le filet avec la bouche et vraou ! Il s’arrondit en cercle et
tombe dans l’eau. Donc une vingtaine, lorsqu’ils faisaient les
battues.
Lavandières
JPC
– Vous avez vu travailler les lavandières ?
LM
– Les lavandières, elles avaient toutes un peiteu
pour taper sur le linge et elles se mettaient à genoux dans le bachou. Et il y en avait d’autres qui avaient une pierre en
granit, qui était taillée et elles se mettaient derrière la pierre.
D’autres mettait le bachou
pour se protéger les genoux, pour pas toucher la pierre. Elle
travaillaient avec du savon et ça allait tout à la Vienne, mais ça ne
tuait pas le poisson, parce que quand l’eau coule, c’est le milieu,
le centre qui pousse plus que les bords, c’est tout le centre qui tire
les bords, ça la noie sur les bords avant de la noyer dans le volume.
C’est absorbé, c’est dilué….
JPC – On dit qu’elles avaient le verbe haut ?
LM
– C’est-à-dire que quand les hommes les attaquent en parlant de
choses qui concernent les femmes et qui les intéressent évidemment, en
parlant patois… des fois les hommes poussent un peu en prononçant
certaines paroles et elles répondent de même, soit en se fâchant,
soit en riant… Desfois il
y avait des paires de calots, si ça allait trop loin ! Il est
normal qu’elles se défendent, elles veulent se présenter comme une
personne et si elles ont le caractère un peu épineux … et puis après
elles le prennent en riant, mais au départ si elles vous connaissaient
pas, si on leur racontaient des histoires un peu vulgaires, ce n’est
pas parce qu’il y en avait peu de lettrées, elles avaient quand même
le sens de vivre, le sens de savoir et de comprendre…
JPC – Elles avaient le sens de leur dignité…
LM – Bien sûr, bien sûr !
Réputation
JPC – Quelle réputation avait les ponticauds en ville ?
LM
– Alors là attention. Ils étaient très amusants pour le public, il
avaient la réputation de faire la bringue et de boire un coup, de bien
boire, pas à tomber par terre, mais de façon à en avoir une belle
secouée… Ils étaient renommés comme les Gueules Sèches
aujourd’hui. Et quand il y avait une fête aux Ponts, Limoges se déplaçait
pour aller à la fête aux Ponts, danser, s’amuser, manger.
Les ponticauds, c’était de bons vivants…
JPC – Mais qu’est-ce qu’on disait d’eux ?
LM – Qu’ils étaient rigolos, qu’on était bien content
de les avoir vu, et applaudi…
JPC – Et on ne les trouvait pas vulgaires ?
LM – Pas du tout, ils étaient estimés, oui. Comme les
Gueules Sèches quand ils passent. Moi je me rappelle, on se permettait
parfois, comme à Royan, de monter sur les tables, en jouant, de boire
les verres des gens… Les Marins du Clos étaient de ce genre là.

Les
Gueules sèches vers 1950. Lucien Margotin, 3e
rangée, 3e en partant de la gauche
Bals et bagarres
LM
– Je faisais les bals avec mon orchestre, Caprice, à la sortie de la
guerre au Cheval Blanc, qui faisait aussi restaurant, avec le bal au
premier étage. Certains, qui avaient été dans le maquis, arrivaient
armés et laissaient à l’entrée, avec leur par-dessus, leur 11/43,
pour faire les malins…
Juste
après la guerre la propriétaire s’appelait Mme
Chataignaud, il y en a eu d’autres après, puis on l’a fait démolir
pour faire un rond point…
JPC – Le Cheval Blanc était fameux pour les bagarres…
LM – C’était quelques coups de poings quoi, des fois ils
montaient sur les tables un petit peu…
JPC – Ils ne débordaient pas sur les musiciens ?
LM
– Jamais… Une fois, peut-être…
JPC – Mais vous n’avez jamais vu d’armes blanches, dans
ces bagarres ?
LM
– Non, ils se battaient à coups de bouteille ! Desfois, j’en
ai vu aussi avec le couteau : ils le mettaient là (dans la
chaussette)…
Au
Cheval Blanc beaucoup de clientèle allait s'amuser la nuit près du
pont de la Révolution et des couples s'éloignaient malgré, ou grâce
à l'obscurité dans les prés voisins..
Orchestre
Caprice (1944-1948) : accordéon Milou Barian, saxo Lucien Margotin,
guitare et chant Manuel Ecointras, batterie Guillemin
Pont-Neuf
Au
Pont-Neuf, en descendant de la route de Toulouse, à droite, à la première
pile du Pont-Neuf, en bas, il y avait deux italiens, qui faisaient de la
dorure et de l’argenterie. Je suis rentré chez eux, desfois, parce
qu’on se connaissait, quand on allait là-bas. Il y avait un bain, une
cuve carrée où il y a un liquide spécial pour dorer du métal, par
l’électrolyse, vous passez le courant, les petits bouts
microscopiques se collent sur la pièce. Ils sont apparus un peu avant
la guerre, et ils vivaient dans cette petite maison, en bas… Elle n’était
pas inondable, ça commençait à inonder vers le pont Saint-Étienne, là
bas, presque jusqu’au Pont-Neuf. Là tout le monde était inondé.
***
Tout
le long de l’avenue après le Pont-Neuf, jusque chez Legrand – après
Legrand il n’y avait plus de maison – c’était des petites
maisons, comme vous avez vu, ils sortaient de chez eux avec des chaises
l’été, et alors ils avaient des gamelles pour écosser les pois ou
les haricots verts pour gagner de l’argent en supplément de leur
autre travail, le soir à la fraîcheur, pour la conserverie route de
Toulouse, La Limousine. Toute
la rangée, des deux côtés, faisait comme ça… et ils discutaient
ensemble en patois.
JPC – Pour vous les gens jusqu’à la route de Toulouse,
c’était des ponticauds ?
LM
– Tous, de vrais ponticauds, qui travaillaient dans les usines de
chaussure ou dans la porcelaine… ça leur faisait un additif à leur
salaire… à l’époque, on n’était pas bien payé quand on était
ouvrier.
JPC
– Vous vous étiez mieux payé à l’Union.
LM
– Oui, parce que j’étais payé au mois…
Patois
Le patois, je le comprends mais ne le parle pas… aux Ponts
tous le monde le parlait, et aussi les gens qui venaient de la campagne
travailler en ville.
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