L'Abbessaille et le Port du Naveix 

dans un article de 1902

 

Pages tirées d'un long article signé Brunot publié en feuilleton dans Limoges Illustré en 1902 intitulé  La Ville de Limoges (n° 14, 1er Juin 1902, p. 5-6).

 

L’Abbessaille

Le quartier de lAbbessaille (ainsi nomme du nom de l’Abbaye de la Règle sous la juridiction de laquelle il était placé), avait, jusqu’à ces dernières années, conservé tout son cachet.
On remarquera combien est rapide la principale voie de ce quartier dénommée rue du Pont-Saint Etienne, eh bien c’était jusqu'à une époque assez récente, l’unique voie d’accès sur ce point de la Cité, on se représente mal aujourd’hui la patache de Lyon franchissant une telle rampe.
Il existe encore à l’Abbessaille et dans tout le quartier des ponts et du Naveix, des traces persistantes des moeurs anciennes. La grande fête des « Navetauds » et des « Ponticauds », c’est le Carnaval. Ce jour-là, la porte du logement de chaque ménage doit demeurer ouverte, entre qui veut, et qui veut peut s’asseoir à la table de famille, il est toujours le bien venu et le bien reçu.

Les buandières, dont il va être question bientôt, ont fait la « tournée du vin » chez toutes leurs pratiques, qui leur ont rempli les bouteilles qu’elles ont apportées. Autrefois, on faisait pour cet usage des bouteilles en faïence, de grandes dimensions, que l’on appelait « Pintes des blanchisseuses » .
Le vin coule à flots, arrosant, comme il est nécessaire, les massifs pâtés de viande, les épaules au four, le civet de lapin, etc. Ce jour-là l’Abbessaille est heureuse.


Les Ponts - Le Naveix


Quatre ponts ont été jetés sur la Vienne, pour la traversée de Limoges le pont Saint-Étienne, le pont Neuf, le pont St-Martial et le pont de la Révolution ou pont National.

Le pont Saint Martial est le plus ancien, il a été construit au XIIIe siècle, sur des substructions romaines, le pont St Étienne est également du XIIIe siècle, mais on ne croit pas qu’il ait remplacé un pont antique.

Le Pont Neuf, inauguré en 1838, est remarquable par la beauté des matériaux avec lesquels il a été construit, on y a fait entier des blocs de granit de dimensions véritablement extraordinaires qui proviennent des carrières du pays. Le Pont-Neuf présente cette particularité qu il a été construit en vue de la canalisation future de la Vienne.

Le pont de la Révolution a été construit en 1885, c est le plus large de nos ponts, il n a cependant que 50 centimètres de plus que le Pont Neuf, qui est le plus élevé au dessus de l’étiage (215 m.), le pont de la Révolution n’a que 110 mètres.

Le quartier du Pont Saint-Étienne porte encore le nom de « Naveix », du bas latin « navigium »[1], qui signifie « au port ».

C’était là qu'arrivait, par voie de flottage, la plus grande partie du bois destiné à la consommation de Limoges qui, avant la cuisson de la porcelaine à la houille, en employait des quantités énormes .

Les habitants du Naveix, pêcheurs pour la plupart, étaient à peu près tous occupés à retirer de la rivière les bûches perdues à l’aide d’un « lancis ». Ils n'ont plus cette ressource, le flottage ayant été absolument abandonné.

Les « Ponticauds » font encore usage d’un bateau à fond plat, de forme particulière, et sans doute d’origine antique, qu’ils manoeuvrent très adroitement à l’aide d’une gaffe à laquelle ils donnent le nom de « conte » ; vieux mot tiré du latin et qui n’est employé nulle part ailleurs. Le Contus était une longue perche dont les bestiaires se servaient dans l’arène pour faire des sauts analogues à ceux que les toreros espagnols exécutent à l’aide de la garrocha. N’est-il pas curieux de retrouver dans un pauvre quartier de Limoges, un terme du turf romain ?

Les femmes du Naveix, désignées par l’appellation de « Buandières », lavent le linge pour un grand nombre de familles, elles le portent à leur clientèle, sur le dos, en gigantesques paquets retenus par un noeud qui leur serre le front, c’est la une coutume antique.

Le Naveix forme encore une petite ville dans la grande avec sa population aux moeurs particulières Les Ponticauds ont un saint bien à eux saint Domnolet, le défenseur de la cité de Limoges, dont la terrible épée à deux mains écrasait de son poids les hommes qui la portaient dans les processions. Ils ont aussi leur grand homme, le général Dumoulin, qui ne savait pas lire, mais qui avait rendu un fameux service à Napoléon lors du coup d’État de Brumaire. Sans l’énergie et la présence d’esprit que Dumoulin montra alors, le pauvre Bonaparte était... fricassé. Aussi l’empereur se montra-t-il toujours reconnaissant envers le général « Navetaud ».

Lorsque celui ci était de service aux Tuileries, l’Arbitre du monde n’oubliait jamais de dire à la souveraine (Joséphine ou Maire Louise) « Fais mettre une côtelette de plus, mon ami Dumoulin déjeune avec nous ».

Voila ce que l'on racontait jadis dans les ponts, on le raconte peut-être encore.

 

Brunot  

[1] En fait navigium signifie en latin bateau, navire, mais aussi par métonymie, voie navigable et enfin port.

 

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