Entretien avec Simone Cacaly

 

Entretien réalisé par Michel Guillen, paru dans le journal de l’association Varlin-Pont-Neuf, Les Cris du Quartier - L’écrit du quartier Rive Gauche, n° 3, Juin 2003.

(Nous remercions la rédaction de l'écrit du quartier de nous avoir autorisé la publication du document)

 

La première fois que j'entendis parler de la "Crotte de poule" ce fut sur l'antenne de France Bleu Limousin où Mme Simone Cacaly, fille des fondateurs et propriétaires de ce lieu donnait une interview il y a quelques mois.

Son franc parler, sa sincérité et la richesse de sa mémoire me donnèrent envie de la rencontrer à mon tour pour évoquer avec elle cette page d'anthologie des bords de Vienne et dont la renommée rejaillissait sur toute la cité limougeaude.

Rendez-vous, fut donc pris et par un bel après-midi de début de printemps nous nous rendîmes à St-Germain-les-Belles ou réside aujourd'hui Simone Cacaly. Nous fûmes reçus par Simone et sa sœur Nicole, ses frères résidant sur Limoges.

 

devant la Crotte de Poule...

MG – Mme Cacaly, pouvez-vous nous dire ce qu'était La Crotte de poule et nous la situer ?

SM – A l'origine c'était la maison de mes parents, Léon Jeammot et Catherine dite La Cathe. Cette maison, disparue de nos jours était située au Port du Naveix, entre la maison de retraite et la patinoire des   Casseaux, (en   face   des Jeunesses   coopératives),   son emplacement, jusqu'à aujourd'hui est toujours inoccupé.

Mon papa faisait du bois et du charbon mais cela ne suffisait pas à faire bouillir la marmite et donc il est revenu à l'usine. Ma mère, avec sa patente de bois et charbon l'avait transformé en débit de boisson en avril 1934.

A l'époque elle avait ouvert un tout petit café mais très vite il eut du succès et il fallut supprimer la chambre et d'autres pièces pour agrandir la salle.

Ce n'était pas officiellement un restaurant mais on y faisait à manger, comme maintenant dans un snack-bar, car vous savez, tout autour de la Vienne, il y avait beaucoup d'usines entre les 2 ponts, La Charbonnière et le 60.000 (porcelaine, chaussure, l'EDF, la tannerie du Poudrier, etc....) et donc en semaine les ouvriers passaient devant notre porte et s'arrêtaient boire, un verre, casser la croûte. Mais le samedi et dimanche nous avions une clientèle qui venait de la ville, surtout pour manger la friture.

MG – D'où vient ce nom si évocateur de la Crotte de poule ?

SM Lorsque mes parents ont acquis cette maison cela s'appelait Chez l'ami Léon. Lorsqu'ils ont créé le café il fallait lui trouver un nom original. Les voisins et les amis furent sollicités et c'est M. Marquet, qui en ayant repéré une poule en train de déféquer sur une table de la terrasse eut cette idée qui fit l'unanimité: le café s'appellerait "La Crotte de poule".

MG – Quelles étaient les spécialités de la maison ?

SM – C'était essentiellement l'omelette, les salades, la tarte maison et bien sûr les fritures de poissons (ablettes, goujons) et surtout la friture de "tafoués".

MG – ...???

SM Ce que nous appelions les "tafoués" c'était les gardèches. Il y avait aussi les "grillons maison", tant prisés par le bâtonnier Philippon que nous courrions chercher ....chez la bouchère !

MG – Vous évoquez la clientèle du bâtonnier Maître Philippon, iI y eut beaucoup d'autres personnalités locales qui ont fréquenté "la Crotte de poule"?

SM – Oh oui ! En effet, les "Vilauds" (les gens de la ville) prirent l'habitude de venir chez nous le dimanche.

MG – Quels sont ceux qui vous ont le plus marqués ?

SM – Il y en a beaucoup dont certains habitués devinrent nos amis. Ainsi nous avons eu Robert Texier, Président de la presse, des journalistes comme Claude François, parmi les nombreux avocats et outre Maître Philippon il y eut Maître Coissac et aussi des docteurs, notre bon ami Michel Colombeau et, bien sûr, notre Maire Léon Betoulle, surnommé « le déserteur ».

MG – Le déserteur ?

SM – Oui, parce qu'il avait quitté les ponts quand il a été élu Maire de Limoges. Il avait déménagé vers les beaux quartiers, comme c'est dit dans la chanson. Aussi chaque fois qu'il venait, mon papa entonnait la chanson « La Vienne » et lui disait « C'est pour toi Léon, c'est ta chanson » :

Elle est adorée de tous les pécheurs, / Au Port du Naveix elle fait notre bonheur, / Mais parfois, chose triste, /Des arrivistes quittent les ponts, / Et l'orgueil qui grise, / Font qu'ils méprisent / Les vieux bas-fonds. // Ce n'est pas une perte / Que d'aller dans ces beaux quartiers / En nous laissant à notre vétusté...

Vous imaginez bien qu'à la longue notre Léon se fit de plus en plus rare.

GM –  Quelles étaient les relations entre votre papa et M. Betoulle ?

SM – En fait, mon papa et Léon se connaissaient suffisamment pour que mon père se permette de lui dire quelques vérités. Mon père, comme tous les gens du quartier, était un militant actif. Il prenait sa camionnette de livraison de charbon, et la chargeait d'hommes, de voisins et de copains pour se rendre aux réunions du PS à Panazol ou à Couzeix car tous étaient des syndicalistes purs et durs.

GM Si J'ai bien compris, il y avait un temps pour les choses sérieuses (la politique et l'engagement syndical) et un temps pour l'amitié et la convivialité ?

SM – Absolument, quand on se retrouvait à la Crotte de poule, on savait s'amuser, on chantait, on dansait, souvent très tard, jusqu'à des 2 ou 3 heures du matin.

Mais ce que je tiens à préciser c'est que ce n'était pas « un bouge dans lequel dansaient des couples louches dans la fumée des cigarettes », tel qu'un journaliste parisien avait décrit la Crotte de poule. Je peux vous dire que tout parisien qu'il était, je lui ai parlé du pays ponticaud et qu'il dût rétablir l'ordre des choses, car j'insiste : on s'amusait, et tout le monde s'amusait. Quand on se rassemblait, ça se terminait automatiquement par des chansons ! Mais jamais, au grand jamais nous ne vîmes les gendarmes chez nous.

GM- Avez-vous quelques anecdotes croustillantes à nous raconter sur ce qui se passait ou se disait à la Crotte de poule ?

SM – Je me souviens de Maître Coissac qui, pendant plus de 6 mois venait tous les soirs pour que mon père lui apprenne la chanson en patois « Counnêchez-vous de l'autre coûta de l'aïguo » (connaissez-vous de l'autre côté de l'eau ?)[1] et ce jusqu'à ce qu'il la sache par cœur et il n'a jamais calé.

GM  La taille de l'établissement permettait-elle d'accueillir toute la clientèle ?

SM – C'est vrai que ce n'était pas très grand mais nous avions une grande terrasse qui fonctionnait l'été et par exemple au moment de la débâcle nous avons accueillis le midi 65/70 personnes et, quand nous avions ainsi beaucoup de monde, c'était « jour de fête » pour ablettes, tafoués et autres goujons. Quand nous n'en avions plus nous allions en récupérer des tout frais que nous conservions dans les barques à fond plat !

GM Aujourd'hui, de "La Crotte de poule", il ne reste plus que des souvenirs, pouvez-vous nous expliquer comment cette page a été tournée ?

SM – II faut savoir que, sous la municipalité de Léon le « déserteur » de nombreux immeubles du quartier (Presque tous appartenaient à la famille Mourier-Delalande) furent classés insalubres. C'est la raison pour laquelle en 1958, 15 ans après ce classement le nouveau Maire de Limoges, Louis Longequeue, fit procéder à la démolition de la Crotte de poule. Ma sœur Nicole partit à Paris ou elle resta 38 ans, et moi-même j'ai ouvert un café dans l'avenue des Coutures puis un autre à la Brégère que j'ai tenu pendant 33 ans.

GM Nous  arrivons  au terme de cet entretien et nous vous remercions, Nicole et Simone de la gentillesse de votre accueil et du temps que vous avez consacré à notre journal. Y a t il une question que nous ne vous avons pas posée et que vous auriez souhaité que l'on vous pose ?

SM – Il n'y a pas de question mais il y a une phrase de Michel Colombeau qui résume bien l'attachement que nous avons pour l'époque que nous avons vécue à la Crotte de poule: « La Vienne est mon sang, et le pont Saint-Étienne est mon cœur ».

 

Nicole Recton et Simone Cacaly, nées Jeammot

[1] Coneissetz vos de l'autre costat de l'aiga... Cette chanson limousine bien connue, intitulée Soun pourtrai (Son Portrach) est aussi évoquée par Pierre Jeammot (lire son entretien). On possède l'enregistrement de cette chanson chantée par Nicole et Simone Jeammot. Il est possible de l'écouter aussi sur le site Chanson Limousine exécutée par l'un des chanteur du groupe de Confolens Musicas dau Lemosin.

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