Carine

 

Nous avions rencontré Carine (il s'agit d'un pseudonyme) en 2007, alors âgée de 19 ans, et nous avions été très frappés par cette jeune fille, né en 1988, qui revendiquait haut et fort son identité ponticaude, ayant vécu une grande partie de son enfance au Clos Sainte-Marie. Ce mois d'octobre 2012, elle nous a communiqué le texte suivant, plein de fraîcheur, mais qui est aussi une réflexion sur la gentrification d'un quartier. Elle l'a accompagné d'une série dephotographies très intéressantes.

Ma «vie passée» de Ponticaude ou chronique de la gentrification d’un quartier.

J’habitais au 17 rue du Clos Ste Marie, 1er volet sur la cour arrière, pommes de pin clouées sur les rebords de fenêtre. La cour arrière, cimetière de mes poissons rouges mais aussi ouverture du monde «ponticaud»: les ruelles, mon monde ponticaud.

A mon sens, il s’agit principalement de la définition de la vie Ponticaude : les maisons étroites et les ruelles, espace rêvé et lié à imaginaire géographique des enfants : jouer au loup, débouler dans les ruelles en courant, passer dans les jardins, entrer dans les maisons, récupérer du chocolat blanc chez la voisine, passer dans le tunnel du 16 en faisant hurler la voisine pour la 15e fois de la journée, donner à boire aux chats qui trainent, passer voir si les copains sont là ...

Le deuxième monde c’est « devant »: la Vienne. Et on est tous des fils et filles de la rivière : on est tous montés dans des barques, on a tous péché à la ligne le dimanche lors des concours de pêche dominicaux (on va pas à la messe, nous le dimanche...on pêche ), on est tous tombés au moins une fois dans l’eau, et on a tous connu les inondations : plutôt rigolotes, les plus « dévastatrices » ont du inonder la maison de 15 cm, pas plus... en tout cas pas assez pour échapper à l’école !! On marche sur des planches, on met les bottes, mais on va à l’école, en pantoufle, sans cartable, mais on va à l’école. L’école de quartier, l’école des carriers.

Une fois par an, c’est la fête des ponts, l’autorisation de voir les copains sans couvre feu pendant que les parents préparent les sandwichs... La liberté.

Et puis y a aussi les manifs, c’est une institution la politique, c’est comme la pêche... Notre messe à nous. C’est notre sortie en ville, une manière de « monter en ville ». Petite, je fais toutes les manifs; c’est comme une réunion conviviale, un moment ou on se retrouve tous, unis pour une même cause, entre Ponticauds, entre voisins.

Je définirai ce quartier comme un grand terrain de jeux, d’insouciance et de liberté, avec une solidarité présente, un espace identitaire très marqué avec un sentiment d’appartenance prégnant. J’ajoute le sentiment de sécurité, d’entre-aide, de protection entre les habitants. Les gamins trainent «devant», sur la route encore en terre, ou «derrière» dans les ruelles, entre les maisons qui s’écroulent et celles qui se construisent.

On connait les vieux du quartiers, les anciens ponticauds, qui disparaissent peu à peu... emportant avec eux leur mémoire ouvrière et identitaire...

A 12 ans nous déménageons, pour rester ponticauds, mais coté Auzette, rien à voir avec le coté Pont St Etienne, l’identité du quartier est là, mais de manière moins vivante, plus lisse, conséquence spatiale du fait qu’il n’y ai pas de « derrière »: pas de ruelles tortueuses comme lieu de socialisation.

La maison sombre du 17 aux escaliers pentus devient étroite, bien qu’à la base il s’agisse en fait de deux maisons reliées entre elles: en témoigne le passage au-dessus de l’escalier, qui comporte une fenêtre, en plein cœur de la maison. Je ne connais pas plus que sa l’histoire de cette maison, cependant j’ai rêvé pendant des années qu’on y cachait des Juifs, et j’ai eu connaissance d’histoires semblables dans le quartier des années plus tard...

Aujourd'hui la maison, à l’image du quartier, à été rénovée. Lorsque je passe devant, la boite aux lettres n’est plus creusée à même le mur et il semble qu’on ai installé un bel escalier en colimaçon au sein de la maison, je pense d’ailleurs que ce qui faisait la valeur patrimoniale (fenêtre) de la maison a été détruit...

La route est maintenant bétonnée, des promenades sont organisées, le prix du foncier monte en flèche. D’un quartier à mauvaise réputation on est passé à une

patrimonialisation réussie, mais qui entraine cependant une gentrification du quartier. Le petit troquet miteux a laissé place à un restaurant gastronomique, le magasin de pêche à une crêperie... La coiffeuse Martine a pourtant «résisté» et je pense que ce pourrait être une «voix» intéressante du quartier. Les vieux ponticauds s’éteignent et le quartier n’est plus un repère de «rouges» mais plutôt de néo-urbains qui ont compris la qualité de vie de cette petite ville dans la ville. Cependant l‘identité du quartier demeure encore un peu, et il reste important de le revaloriser, sans toutefois le «dé-approprier» de lui-même ; en faire vivre la mémoire sans le muséifier ou le touristiquer.

Cependant, même si je ne suis pas du genre nostalgique, je ne me fais pas trop d’idées ...

Enfin l’important est qu’on ne détruise pas ces maisons et que le quartier puisse avoir une deuxième vie, même bobo...


Trois pêcheurs en herbe sur la dernière (?) barque plate


La fête des Ponts  vers 1994 place de Compostelle

Fête des ponts. devant le n° 17 du Clos Sainte-Marie

4 petits ponticauds pont Saint-Etienne

Les Ponticauds du 17 Clos Sainte-Maris  


Accueil

Présentation

Témoins

Textes et documents

Images

bibliographie

nous écrire