Raymond
Dardillac
Le
présent texte de témoignage est l'original dont une grande partie a
été publiée dans l’ouvrage coordonné par Jeannette
Dussartre-Chartreux,
Les Ponticauds : ce fut leur histoire, Association Les Amis de
Lucienne Lasserre, Limoges, 1991, p. 31-41.
Nous remercions vivement Yvonne
Dardillac et Jeannette Chartreux de nous en avoir procuré ce document
et d'en avoir autorisé la
publication. De ce témoignage, comme de celui de Paulette Morel-Terrien,
Jeannette Chartreux dit que leurs auteurs «
l'ont donné dans des circonstances particulières où l'amitié,
l'estime réciproque, et la complicité nées d'une époque et d'un
quartier avaient une densité qu'on ne peut plus concevoir aujourd'hui ».
Raymond Dardillac est décédé le 28 février 2001.
Dans
le train qui nous ramène Yvonne et moi de Chamonix à Limoges via
Paris, j'abandonne la lecture entreprise au cours de ce long voyage, et,
je me mets à penser à notre séjour d’une semaine en location, car
retraités tous les deux, notre passion commune est la randonnée en
montagne.
Avant
hier nous avons entrepris une excursion au glacier des Bossons, parcours
très difficile mais au bout du compte nous avons été récompensés de
nos efforts, car un magnifique panorama s’étalait en contrebas sur le
glacier et à quelques kilomètres de là Chamonix au fond de la vallée.
Bien
sûr, plus les années passent moins nous poussons plus haut, mais la
forme est toujours là.
Mon
esprit vagabond me fait penser à Jeannette Dussartre à qui nous avons
rendu visite il y a une quinzaine de jours pour prendre
possession d'un
ouvrage consacré
à Lucienne
Lasserre, grande
militante syndicaliste aujourd'hui disparue, plaquette élaborée
par elle et Henri Chartreux, lui aussi décédé.
Avec
elle, nous avons évoqué nos souvenirs de jeunesse, l'époque où nous
nous sommes connus au « Masgoulet ». et dans cette conversation
Jeannette a lancé « Et si
tu nous racontais tes souvenirs en quelques pages » ça y est, la
phrase est lancée : chiche !
Il
faut dire que plusieurs personnes avaient songé à le faire, d’autres
l’ont fait. Parmi les ouvrages les plus récents ceux de Suzanne
Dumas, Je suis une ponticaude et de mon ami et maître Max Dif, La
baguette magique.
Dans
ces descriptions locales, un quartier était omis, celui du Masgoulet.
Dans le jargon des habitants on ne disait pas la « rue du Masgoulet »
mais « le Masgoulet ». Pourquoi cette appellation ? Parce que cette
rue dont les habitations ont disparu, a une histoire qui lui est propre
et qui est aussi la nôtre.
Située
sur la rive droite de la Vienne en amont du Pont Saint-Étienne, tout près
du Port du Naveix, lieu de rencontre de la jeunesse de ce quartier et
des habitants qui allaient laver leur linge sur les bords de la Vienne
et s'oxygéner dans cet en-droit, malgré l'existence d'un égout à
ciel ouvert à la sortie duquel foisonnaient les poissons !
Il
y avait des habitations en bois d’un style très particulier, qui ont
fait le bonheur des artistes peintres, et pendant la période de guerre,
tous ces artistes étaient de bouches à oreilles accusés d’espions.
Une
auberge à l’enseigne de La Crotte de Poule figurait là, tenue par la
famille Jeammot. Elle était connue du tout Limoges et célèbre à des
lieux à la ronde.
A
la verticale se trouvait la rue du Naveix qui débouchait dans le
Masgoulet.
Au-delà,
seul la droit, les Casseaux, les Coutures, et sur la gauche le boulevard
Saint-Maurice et la rue du Pont Saint-Etienne.
Mon
récit commence au début des années trente. La situation économique
avait conduit mes parents issus d'un milieu agricole à venir
s'installer au n° 8 du Masgoulet.
Le Masgoulet
La
rue était constituée de maisons délabrées, de torchis, de taudis,
rares étaient celles qui possédaient l'eau.
Aux
deux extrémités de la rue, deux bornes fontaines assuraient le besoin
des ménages ce qui obligeait les habitants à faire de nombreux
va-et-vient pour transporter l'eau avec un seau dans chaque main. Pas de
tout-à-l'égout bien sûr, les eaux de vaisselle s'écoulaient dans les
caniveaux, et l'hiver avec le gel, nous avions une patinoire où étaient
incrustés dans la glace des restes de nouilles et autres déchets de
cuisine.
Du
côté pair, peu de maisons car un long mur délimitant la propriété
des sœurs du « Bon Pasteur » séparait le n° 8 du n° 10.
Du
côté impair, elles s'alignaient avec une légère courbe. Certaines n'étaient
pas très verticales, deux d'entre elles ont d'ailleurs été démolies
avant qu'elles ne s'écroulent.
Vers
le milieu de la rue, un portail en fer à deux battants indiquait l'entrée
d'un maraîcher dont les cultures se prolongeaient jusqu'à l'usine GDA
des Casseaux, fabrique de porcelaine où plusieurs membres de ma famille
ont travaillé et ont été atteints de silicose.
Tout
près de là, le domicile de la « mère Noilhaguet » marchande de
porcelaine déclassée, devenue un personnage. Bien des Limougeauds se
souviennent de sa silhouette imposante au coin des halles où elle
vendait sa marchandise sur une charrette tirée par un âne qui reposait
au doux nom de « Poulou ».
La
mère Noilhaguet et son âne Poulou
Les
petits commerces foisonnaient alors dans les quartiers et dans le
Masgoulet trois épiceries avaient pignon sur rue.
Chez
l'une d'elles « tenue par Mme Maucourant » épicerie
buvette, se retrouvaient les habitués de la belote devant une «
chopine » de blanc. L'excellente dame, outre les produits d'épicerie,
vendait de la soupe à la louche qu'elle avait préparée et cuite tout
l'après-midi avec les meilleurs légumes de saison.
Une
bonne odeur se dégageait de la cuisine à laquelle l'on accédait par
la porte du magasin, casserole à la main.
Il
y avait
aussi une
boucherie tenue par
« Mme Licoine ». Je
me rappelle
les bons pâtés très parfumés au thym et au laurier, parfois
très difficile à digérer... Pardon Madame Licoine ! nous étions bien
contents pendant la guerre que vous nous en vendiez sans tickets de
rationnement !
Tous
les gens se connaissaient d'un bout de la rue à l'autre, même par
leurs noms, alors qu'aujourd'hui on connaît à peine son voisin de
palier et quelquefois pas du tout les autres habitants de l'immeuble.
Chacun
s'entraidait à sa manière. Il était courant qu'un voisin emprunte un
verre d'huile, un bol de farine, des morceaux de sucre ou du café ; le
prêt était réciproque et nulle gêne ne s'ensuivait.
Oh
! il y avait bien des disputes avec un langage du meilleur cru, bien
connu dans le quartier des ponts, mais tout rentrait rapidement dans
l'ordre pour la satisfaction de chacun.
La
densité de population y était très forte car chaque famille se
composait en moyenne de sept à huit personnes. Chez nous, cinq enfants
occupaient ma mère à la maison et la vie était très difficile avec
un seul salaire, celui de mon père.
Souvent,
à partir du quinze ou vingt du mois, nos parents ayant des difficultés
de trésorerie et éprouvant une gêne à se rendre chez l'épicier nous
envoyaient « aux courses » pour lui dire « Ma maman vous le paiera le
mois prochain ». C’était courant dans toutes les familles.
II
n'y avait
aucun problème
à ce
sujet vis
à vis
des commerçants
du quartier. La
pratique était courante et ils avaient confiance.
La
nourriture était très modeste mais assez conséquente pour de jeunes
estomacs, peu de viande, mais une grande quantité de pain.
Le
soir, le dîner se composait d’une soupe suivie d’un gros morceau de
pain accompagné de pâté ou de fromage, et, quand l’un des deux
manquait un morceau de sucre compensait.
Je
me rappelle aussi que pour une veille de Noël, avec mes frères et ma sœur,
nous faisions reluire nos galoches[1]
pour les mettre, non devant la cheminée qui était inexistante, mais au
pied de la cuisinière.
J'avais
perçu une certaine peine chez mes parents, et avec le recul des ans,
j'ai réalisé beaucoup plus tard, adulte, combien ma mère et mon père
avaient souffert de devoir pour cette occasion prendre à nouveau « à
crédit » « chez Maucourant ».
Au
matin bien sûr, un sachet de pralines et une orange garnissaient nos
chaussures. Ah ! cette orange, quelle saveur... goût que je ne retrouve
plus aujourd'hui...
L'Ecole
du quartier où nous avons usé nos fonds de culotte était celle du
boulevard St-Maurice. Les garçons, morale oblige, occupions l'école en
contre bas qui, aujourd'hui après avoir été une annexe du Rectorat,
est devenue une école de musique. Celle des filles était située au
niveau supérieur.
J'en
conserve un très bon souvenir. J'ai fait ma carrière scolaire jusqu'à
14 ans avant mes débuts dans le monde du travail.
Une
anecdote ? pourquoi ne pas en parler ! II y avait un instituteur qui
s'appelait Monsieur Renard. Les
punitions qu'il nous
infligeait étaient traditionnelles : cinquante ou cent lignes, mais,
soucieux de nous responsabiliser, il nous laissait le soin de les copier
dans les pages d'un livre de lecture de notre choix.
Au
coup d'œil, il jugeait si nous avions fait le travail imposé, mais il
ne lisait jamais le contenu, ce qui, pour nous, était très important.
Ainsi, au milieu de notre punition, nous racontions, moi le premier, une
fable de la Fontaine, par exemple « le Corbeau et le Renard » mais
complètement dénaturée, avec des phrases qui nous défoulaient telles
que « t'es plus c... que le renard et moins beau que le corbeau, etc.»
Nous
avons dû chanter en 1942 « Maréchal nous voilà » mais nous préférions
cet hymne beaucoup plus digne sur notre école. En voici le refrain :
Boulevard
St-Maurice
Une
école nous apprend
L'honneur
et la justice
L'esprit
large et tolérant...
Tolérants,
en cette période de guerre, l'étions-nous vraiment alors qu'on nous
imposait une intoxication mentale par la presse, la radio et autres
propagandes ? Avec l'école nous sommes allés acclamer le Maréchal
Pétain de passage à Limoges. Ce que j’en ai retenu, c’est surtout
la chaleur accablante qu’il faisait ce jour là.
De
cette période de guerre, un épisode
dramatique me revient en mémoire, où l’on parlait des Juifs sur un
ton agressif, et l’on sait maintenant toutes les souffrances,
tortures, déportations et morts qu’ont subies ces hommes, femmes et
enfants. On nous imposait une intoxication mentale par la presse, radio
et autres sans nous en rendre compte. Nous ne savions pas. La même
chose concernait « les terroristes », alors que ce mot était
attribué à nos vaillants maquisards et résistants.
A
la même époque, et toujours avec l’école, nous avons participé à
l'inauguration de la statue de Jeanne d'Arc, place Fournier. Sur une
tribune, paradaient côte à côte, les personnalités locales françaises
et nos occupants, des officiers allemands dans leur tenue vert-de-gris,
coiffés de leurs imposantes casquettes. Leur présence m'avait
impressionné et laissé un certain malaise.
Malgré
les troubles de l'occupation la vie continuait dans le quartier, tant
bien que mal.
Une
société de natation Les Enfants de la Vienne qui avait son siège
rue du Naveix apportait aux habitants du lieu une animation avec ses fêtes
nautiques et les rencontres inter-club. La tenue vestimentaire des adhérents,
très belle, était composée d'une chemise et d'un pantalon blancs. Une
ceinture rouge et une casquette type officier de marine complétaient
l'ensemble. Ils avaient une flottille qui se composait de plusieurs
bateaux à fonds plats de couleur blanche avec une bande rouge à la
partie supérieure. Eux aussi chantaient :
«
Enfants de la Vienne jeunes ponticauds
Nous
sommes les fils de cette race fière
Campés
sur les bords de la belle rivière
Nos
aïeux étaient les premiers Limougeauds »
Un
bassin de natation où avaient eu lieu les épreuves et les cours se
trouvait face au Port du Naveix en contrebas de la terrasse des
Jeunesses coopératives.
Leurs
fêtes déplaçaient le tout Limoge avec défilés de bateaux fleuris
sur la Vienne, des jeux nautiques et une attraction que l’on appelait
le saut de Monte Cristo.
Baptiste
Vergne, un habitant du Masgoulet était l’homme de ce spectacle qui
consistait pour lui à se faire enfermer dans un sac de toile de jute
qui était lié, arrosé d’essence, enflammé et à se faire jeter du
haut du plongeoir qui était situé rive droit près de l’usine électrique.
Un
grand et beau feu d’artifice tant nautique que terrestre terminait en
apothéose ces festivités.
La bonne marche d’une société
ou d’un club tient toujours, ou du moins souvent, aux dirigeant qui en
sont à la tête.
On ne dira jamais assez avec
quelle abnégation ils se sont dévoués au sein des Enfants
de la Vienne pendant une très longue période de leurs vies à
apprendre à nager à tous les enfants du quartier et d’ailleurs, et
ce pendant plusieurs générations. Il n’est pas un gosse qui ne soit
pas passé entre leurs mains pour les leçons de natation, car de
tradition un ponticaud devait savoir nager. Plusieurs médailles ou diplômes
leur ont été attribuées en reconnaissance. Mais que représente des médailles
pour tout ce travail ? à mon avis peu de choses. Pourquoi n’y
aurait-il pas une rue « Michel et Camille Colombeau » ?
et près de la Vienne si possibles. Des rues portent des noms de
notables qui, je suis sûr, sont loin d’avoir apporté autant de
bienfaits à leurs semblables. Michel et Camille sont toujours là,
humbles, simples, et il n’est pas trop tard pour qu’une plaque porte
leur nom, et c’est possible du temps de leur vivant, car il y a des précédents.
Je n’oublierai pas non plus une
autre société de natation, Les
marins du clos, qui avait son siège rue du Clos Sainte-Marie sur la
rive gauche et en aval du Pont Saint-Etienne. Eux aussi organisaient de
grandes fêtes nautiques, et ils avaient l’avantage de disposer des
gradins naturels des quais Louis Gougeaud pour accueillir leur public.
L'arrivée
des prêtres-ouvriers
En
1947 un événement se produisait qui allait, il faut le dire, bousculer
les habitudes de la population de cette rue ; l'arrivée au
rez-de-chaussée du n° 8 de cette même maison où je demeurais avec
mes parents, d'Henri Chartreux, prêtre ouvrier. Sa venue puis celles
d'André Chavanneau et Guy Albert fut considérée au début comme une
curiosité mêlée de scepticisme avec la méfiance naturelle
limougeaude vis-à-vis du curé ou des curés. Mais tout ceci en peu de
temps avait disparu pour laisser place à une admiration et un respect
pour ces prêtres et les personnes qui gravitaient autour pour les
soutenir dans leurs actions, telle que Jeanette et Mamie Dussartre,
Paulette [Thérien], Lulu [Lucienne Lasserre], etc.
J’ai
bien connu le Père Chavaneau, le père André et bien sûr celui qui a
été le pilier de cette communauté : le père Chartreux.
Je
crois qu’il ne pouvait trouver mieux comme quartier pour être au cœur
de cette population laborieuse et lui apporter son soutien et son amitié.
Le
logement du rez-de-chaussée était ouvert à tous.
J’ai
vu passer des clochards, des gens en difficultés, des femmes battues,
c’était la maison où l’on pouvait trouver une aide, un réconfort
ou un conseil.
Même
dans les cas douloureux, par leur présence, ils apportaient auprès des
familles éprouvées un peu de chaleur et d’Amitiés.
Bien considéré à cette époque
par les patrons et bien avant qu’il ne s’engage dans le
syndicalisme, le Père Chartreux, grâce à son intervention auprès de
ceux-ci, avait procuré des emplois à quelques jeunes du quartier.
Il a rendu mille services, par
exemple pour moi-même, désirant connaître et visiter la capitale avec
mon ami jean Thomas, il nous a mis en rapport avec un routier qui nous a
transportés.
Bloqués avec une équipe de
jeunes du quartier à un retour de vacances dans Bordeaux suite à une
grève de la SNCF qui avait durée plus d’un mois, ce sont des prêtres
ouvriers bordelais qui nous ont hébergés grâce à l’intervention du
père Chartreux. La guerre finie, c’était l’époque après de longs
silences, où nous pouvions nous exprimer et manifester notre mécontentement
sur divers problèmes.
En 1950 le Figaro publiait les mémoires
de guerre d’un criminel nazi, et un dirigeant de l’UJRF, Daniel
Vignol, qui par la suite est devenu mon beau frère, avait fait appel à
tous les jeunes du quartier pour manifester notre réprobation lors
d’une manifestation qui se tenait place Jourdan, siège des éditions
Hachette.
Beaucoup de monde à cette
manifestation qui était interdite, les rues adjacentes étaient gardées
par d’importantes forces de police qui à l’époque étaient les
gardes mobiles.
Nous subissions de fortes charges
de la part de cette police et j’ai évité de justesse la crosse
d’un fusil d’un gendarme grâce à un sprint que j’ai dû
soutenir.
Si je vous narre cet épisode,
c’est qu’au retour de la manifestation nous avons rencontré le père
Chartreux qui, lui, avait subi la violence, car sur son front un
important hématome s’étalait.
Dans le même temps, le père
Chartreux et sa communauté menaient un combat pour la paix en Indochine
au cours de réunion u de petites fêtes dans les abords du quartier.
Jeannette avait organisé un déplacement
en car pour Bourges, lieu de résidence de la famille Henri Martin,
marin militaire emprisonné pour avoir refusé de « servir »
en Indochine. Ce voyage avec beaucoup d’habitants du Masgoulet avait
beaucoup touché la famille de Henri Martin à laquelle nous avions
apporté notre soutien.
C’est au cours de ces réunions
ou fêtes que j’ai fais mes premiers pas dans le monde magique.
Mes débuts ont été très
modestes avec, dans mes prestations, beaucoup de tours ratés et il est
difficile de parler de soi-même sans faire preuve de modestie, mais
ceci expliquant cela, et je tiens à le dire, aura été pour moi un
tremplin pour persévérer et je le dois sûrement à jeannette et à
son équipe.
Cette persévérance a été
positive, car je me suis produit beaucoup plus tard bien sûr en numéro
de complément avec Claude François, Jean Ferrat, Charlotte Julian,
Mouloudji, Nicole Rieu et bien d’autres.
En 1975 à Paris au cours d’un
congrès de magiciens le prix des grandes illusions m’était attribué,
quant à ma fille, elle-même magicienne, elle décrochait le 1er
prix de magie féminine sous le pseudonyme de Agnès Flore, elle récidivait
en 1977 à Reims toujours avec le premier prix, de très grands et forts
moments pour nous deux.
Dans les années soixante je me
produisais dans les tournées Ysertus dont notre ami Panazo tenait le
haut de l’affiche, j’en garde d’ailleurs un très bon souvenir.
Dans un de ses très nombreux ouvrages Un
chemin malaisé, André Dexet dit Panazô raconte justement nos péripéties
avec beaucoup de détails et d’humour.
Je termine ce chapitre, malgré
qu’il y aurait encore beaucoup de chose à dire concernant Henri
Chartreux, et surtout sur sa vie de militant syndicaliste, un ouvrage
est en préparation le concernant et ce sera un hommage mérité à lui
rendre.
Nos
20 ans
Qui
dans Limoges quelles que soient les années n'a pas reçu le conseil de
ne pas se rendre, surtout la nuit, dans les rues malfamées du quartier
des Ponts ?
Eh
oui ! Nous avions une très mauvaise réputation de voyous, nous les
jeunes ponticauds. Cette renommée, peu brillante, doit remonter assez
loin dans le passé, car un dicton qui date de nos aïeux et qui se
disait en patois disait
« Tu es des ponts passe, tu n’en est pas, dans l’eau »
qui « ferait jeter à l'eau celui qui ne serait pas du quartier ».
S'il ne fut jamais mis en pratique, il avait sans doute contribué à
forger la réputation des habitants des lieux. Je voudrais aujourd'hui réhabiliter
cette jeunesse dont j'ai fait partie et attester que cette rumeur qui
pesait sur elle était sans fondement. Il est certain que nous jouions
les gros bras, et ceux d'entre nous qui étaient les plus grands et les
plus costauds profitaient de leur carrure pour impressionner «
l'adversaire » dans les bals ou ailleurs, mais au fond d'eux-mêmes ils
n'avaient pas du tout l'envie de se confronter avec leurs semblables. C'était
une façon de procéder et qui marchait ! Pas de blousons de cuir, de
chaînes de vélo, d'agressions, de vols ; rien qui aurait pu,
aujourd'hui, attirer l'attention sur nous. La police n'ayant rien à se
mettre sous la dent, occupait son temps de travail à traquer les
fauteurs de peccadilles de toutes sortes. Un jour, une descente de
police a eu lieu dans le Masgoulet et quelques jeunes du quartier ont été
embarqués. Absent de la maison à ce moment-là, une convocation me
demandait de me rendre au commissariat, carrefour Tourny. Une enquête
avait été ouverte pour connaître les casseurs d'ampoules de
lampadaires de la rue et des environs !
A
ma connaissance, aucun d'entre nous n'était le coupable, mais ce qui
est encore plus sûr, c'est qu'aucun d'entre nous n'a tenu le rôle de
mouchard. Un peu plus tard, nouvelle convocation au commissariat pour
plusieurs d'entre nous. Il s'agissait, cette fois, de tapage nocturne.
En
effet, avec l'aide de l'ami Biojout qui était musicien à La Lyre
Limousine, fanfare qui organisait ses répétitions au Masgoulet,
nous avions « emprunté » des instruments de musique.
A
trois heures du matin, tambours, trompettes, défilaient au Masgoulet
dans une cacophonie épouvantable, car nous n'étions pas musiciens.
Le
commissaire, bon enfant, après une petite remontrance nous a laissé
repartir en nous signalant qu'un voisin n'avait pas apprécié ce
concert.
Nous
n'étions pas des saints c'est sûr, souvent nos sorties nocturnes
consistaient à aller à la « maraude » aux cerises ou autres, et
c'est bien souvent que nous faisions demi-tour avec les chiens aux
trousses.
A
une fête qui se tenait à Panazol et où il y avait une forte
affluence, surtout au Bar Restaurant de la place de l’église, nous
avons décidé toujours avec la « bande » de nous restaurer
sur place le soir. Devant le débordement du personnel à servir, j’ai
flairé la façon de quitter la table sans payer. Après avoir mis au
courant l’équipe, nous avons quitté la table et passé devant la
caisse ou trônait la patronne, et nous lui avons adressé un grand
« Au revoir Madame » et sa réponse a été « Au
revoir messieurs, merci ».
Il
y avait les bals, ceux qu'on ne fréquentait pas, type fils à papa,
tel le Faisan.
Notre
préférence se portait sur les parquets-salon comme Le Moulin Rouge
ou Le Bal des Etoiles où nous étions à l'aise.
La
plupart du temps l'entrée était gratuite pour nous, car nous forcions
le passage et les patrons fermaient les yeux par crainte d'esclandre. Au
contraire, c'était eux qui nous invitaient à condition d'être là dès
l'ouverture surtout quand ils étaient en concurrence avec d'autres
bals.
Tous
ces déplacements pour se rendre aux différentes fêtes se faisaient à
pied vers Panazol, Couzeix, Isle, ou Les Pâquerettes route d’Aixe.
Cette
période un peu mouvementée de ces années 50 a laissé place, par la
suite, à des activités plus calmes et modérées.
En
1953, je prenais pour épouse Yvonne Vignol. Elle habitait au n° 10 de
la rue, à l'autre bout du mur.
C'est
avec elle que nous avons alors créé une troupe artistique pour
organiser des fêtes au profit des jeunes du quartier, à qui nous
voulions assurer des vacances.
Les
éléments de cette compagnie étaient pour la plupart des ponticauds.
Ces
fêtes avaient lieu sur les terrasses de l'U.P. du pont St-Etienne où
un public considérable applaudissait les numéros de music-hall que
nous avions montés tels que les acrobates, harmonicistes, fakir,
caricaturiste et les girls.
Par
la suite, nous nous sommes mis sous la tutelle des Jeunesses coopératives
du Pont St-Etienne sous le nom de Artistic Coop.

L'Artistic
Coop, et ses danseuses, girls, clowns, etc.
Cette
troupe composée d'une quarantaine de personnes, avait acquis une
certaine renommée. Les déplacements s'effectuaient en car dans la région
et les départements voisins.
Une
excellente entente et amitié régnaient parmi nous et beaucoup ont
trouvé l'âme sœur et se sont mariés.
Certains
éléments de l'équipe ont continué, par la suite, d'une manière très
positive tel que Roland Debuire, un excellent clown et Jean B. Devaud du
pont St-Martial, très bon clown lui aussi, qui nous a rejoint
un peu plus tard. C'est avec eux « Charly, Popaul et Cie» que
«je tourne» aujourd'hui dans les fêtes, cabarets ou arbres de Noël...
Un
autre membre de l'Artistic Coop fait en ce moment une carrière
internationale, c'est Primo Grotti. Son très beau numéro d'ombres
chinoises est réclamé dans le monde entier et outre ceux d'Europe, des
pays tels que le Japon, l'Amérique, etc... l'ont engagé. C'est une
fierté pour nous que l'un des nôtres ayant débuté dans cette troupe
ait atteint ce sommet.
La fin d'une époque
Avec
la disparition du quartier, les habitants ont été, dans leur majorité,
relogés à Beaublanc.
Beaucoup
ont eu du mal à s'adapter. Ils ont été déracinés de leur milieu, je
dirais presque de leur culture, car la vie des ponts était tout autre
que dans le reste de la ville. Des personnes âgées sont décédées
peu après avoir quitté un environnement dans lequel elles espéraient
finir leurs jours en toute quiétude.
Les
vieilles maisons du Naveix, du Masgoulet et du boulevard des
Petits-Carmes ont laissé la place à des réalisations municipales,
avec une maison de retraite, la DRASS, une piscine et une patinoire.
Le
boulevard de ceinture de la ville de Limoges passe à l'emplacement de
l'auberge de La Crotte de Poule comme pour effacer ce site et le
passé de la mémoire de ceux qui ont vécu dans ces lieux.
Malgré
notre télévision, notre frigo, notre salle de bains, notre bien-être
dans nos HLM ou maisons particulières, sommes-nous plus heureux
aujourd'hui ? Non ! Car lors de nos rencontres avec les Ponticauds, tous
ont encore la nostalgie de ce quartier des ponts et du Masgoulet.
Raymond
Dardillac
[1]Chaussures
à semelles de bois remises gratuitement par la municipalité aux
familles nombreuses, ou de chômeurs ayant des enfants scolarisés.
(Note de l’auteur)
Il s’agit du livre de Jeannette Dussartre, Destins
croisés : Henri Chartreux,
Supplément au Cheminot limousin, n°. 24, mai 1993, mais il
faut signaler aussi, du même auteur, Destins
croisés : vivre et militer à Limoges, Paris, Khartala, 2004.
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