Entretien
avec
Maurice
et Simone Eymard
réalisé
le 4 juillet 2006 par
Jean-Pierre Cavaillé
Maurice Eymard, né en 1928,
n’est pas un ponticaud. Il a vécu principalement dans le quartier
Beaublanc et a exercé la profession de technicien chimiste, mais il fréquenta
des ponticauds dans sa jeunesse, juste après la seconde guerre, en
particulier des jeunes hommes qui pratiquaient, comme lui, la lutte et
d’autres sports de combat. Mme
Eymard, de Beaublanc également, était initialement employée chez
Legrand, et a dû cesser de travailler en 1958 pour des raisons de santé.
Limites
du quartier
JP
C – Les quartiers des
Ponts, pour vous ça commence et finit où ?
ME
– Du Port du Naveix jusque
vers l’île aux canards.
JP
C – C’est-à-dire l’île
aux oiseaux ?
ME
– Voilà.
SE
– d’ailleurs on allait
jusque chez Vitra, ce qui donnerait presque jusqu’à l’Euro-Marché,
où l’on se baignait.
ME
– où il y avait des
bals…
SE
– … et de la baignade.
La
pêche
ME
– Il y avait des barques,
des pêcheurs… chaque maison avait sa barque et tout le monde pêchait.
Qui n’avait pas sa barque ? Il y a d’ailleurs une anecdote, il
y a quelques années, il y en avait une que l’on voyait vers l’île
au canard, qui était peinte de toutes les couleurs, qu’on lui avait
volé. La presse en avait parlé d’ailleurs. On n’a jamais pu la
retrouver. Nous on l’avait vu, cette barque là. Et alors, les pêcheurs
qui partaient pêcher le goujon, quand la Vienne était basse par
exemple, parce qu’ils vendaient les goujons dans les hôtels … Il y
en avait beaucoup à l’époque. Chaque barque avait ce qu’on appelle
un petit moulinet, comme une petite manivelle, avec une petite hélice
pour remuer le fond de la Vienne, parce que pour attraper le goujon, il
fallait qu’il y ait du gravier, et avec cinq ou six petites gaules et
ils pêchaient à la ligne sans bouchon. Et je sais que la douzaine de
goujon se vendait pour les hôtels dans les huit francs.
JP
C – A quelle époque ?
ME
– 46-47, juste après la
guerre.
J’avais
des amis qui étaient beaucoup plus âgés que moi, quand ils pouvaient
nous porter des poissons… Et je me souviens une fois à la maison on
nous a apporté un barbot. C’est pas tellement bon, mais à la maison
il n’y avait pas tellement à manger que le barbot, croyez-moi, c’était
la fête. On mangeait un poisson tous les… à la saint-glinglin, on
trouvait ça bien. Hé bien, le barbot, c’est un tel, parce qu’on a
dit « peut-être cette nuit il y a un clair de lune, on va y aller
soit au filet, soit au sac, soit à la main… » ça, ça fait
partie des Ponts…
JP
C – Au sac, c’est-à-dire ?
ME
– Au grand sac de pommes
de terre, ou alors ils avaient des filets… Il y a une époque qu’on
vous a sans doute parlé, où c’était quand même surveillé, par le
garde champêtre. Il y en a eu un d’ailleurs qui a été tué, bien
après guerre… les journaux en ont parlé. On a jamais su…
Les
ravageurs, la nuit… il fallait vivre, monsieur. Les goujons pour les
restaurants, la friture de goujons dans tous les restaurants : aux
Paquerettes, au Cheval Blanc et tout le long de la Vienne,
l’Aiguille… jusqu’à Aixe. On trouvait le gars, avec son chapeau,
cinq ou six lignes, sa manivelle pour faire le sable, voyez… Pour moi,
les ponticauds, cette légende, pour moi c’est de braves garçons,
cette légende qui est vraie d’ailleurs, des débrouillards, parce que
les ponticauds sont des gars débrouillards…
Les fêtes
ME
– Les relations que
j’avais avec les ponticauds, c’est… parce que l’on connaît que
le bien des ponticauds. Les fêtes des ponticauds, c’est une légende,
c’était des fêtes sensationnelles, maintenant on fait des fêtes,
mais ce n’est plus celles que l’on a connues autrefois.
**
SE
– La fête des Ponts, c’était
formidable.
ME
– un peu plus haut sur la
Vienne, ils avaient fait avec des bidons leur bar, c’était bien, le
feu d’artifice, même une année ils avaient fait des jonques. Ils
faisaient des chars sur l’eau avec les moyens du bord. Ça n’avait
rien à voir avec les fêtes qu’ils font maintenant et les mentalités
qu’il y avait. Moi j’ai connu des ponticauds, dont un que j’avais
connu en 1947 sur la côte de Royan, un dénommé Pommelle, c’est une
personne que j’avais vu un jour lorsqu’ils faisaient un reportage
sur la Vienne, je l’avais aperçu sur l’écran, il y a quelques années.
Je pense qu’il faisait partie de l’amicale.
JP
C – Il y avait les Marins
du Clos, les Enfants de la Vienne.
ME
– Oui, c’est ça, mais
qui étaient ensemble quand même. Il faudrait retrouver ceux qui font
partie… mais regardez déjà l’âge que j’ai, et ceux qui sont
beaucoup plus âgé.
SE
– Ils ne sont plus là !
Mais
dans le fond, c’est triste à dire, mais c’était gai.
JP
C – Ces fêtes étaient
gaies parce qu’il y avait d’abord des bals, plusieurs bals ?
ME
– Oui, des bals
populaires, qui étaient très très…
JP
C – courus ?
ME
– Voilà
JP
C – On y mangeait ?
qu’est-ce qu’on y faisait ?
ME
– De tout, il y avait de
tout, de tout.
SE
– Dans ce qu’il pouvait
y avoir. Vous savez, c’était pas comme maintenant.
JP
C – Si c’était aussi
gai, est-ce que c’était lié au fait que les gens se connaissaient ?
ME
– Non, mais on sortait de
la guerre. On avait besoin de camaraderie, de contact et de ça.
Bals, sport et bagarre
ME
– Il a toujours eu des équipes
de ponticauds, des clans, de trois ou quatre copains.
JP
C – Quartier par quartier.
ME
– Oui et non… Dans
l’ensemble des Ponts. Vous connaissez l’anecdote que l’on disait
en patois : « Tu es des Ponts passe, tu es de la ville, on te
mets à l’eau ». C’est une légende.
JP
C – Mais certains nous
soutiennent que certains sont vraiment passés par dessus bord.
ME
– Et cela est vrai. Je
peux vous dire tout ce que je n’ai pas vu, mais qui m’a été raconté
par les ponticauds que je fréquentais. Je faisais partir de l’UST,
Union Sportive Travailliste, de Beaublanc. C’était là où on faisait
du sport, de la lutte avec des ponticauds, et des noms que j’avais,
comme un dénommé Deloutre, un autre nommé Dodu, qui faisait du catch
et c’est par ces gens là que j’ai connu un petit peu les ponticauds
et à ce moment, faisant partie de ce club sportif, nous faisions partie
du clan. Et nous faisions des fêtes dans les villages, c’est-à-dire
Couzeix, Chaptelat, dans tous les environs, de la lutte, du catch, pour
se faire de petits sous. Ça veut dire que comme on n’avait pas
beaucoup d’argent, on avait un petit drapeau avec une petite épingle
et les gens nous donnaient ce qu’ils voulaient pour nous payer peut-être
un casse-croûte ! C’est par ces relations, faisant partie de la
lutte, nous avons été obligés, la presse en avait parlé, il y a une
sélection qui s’était faite, dont le père de mon beau-frère, qui
était un gars qui aimait bien la bagarre. Il y avait du beau, mais il
fallait connaître toutes ces équipes qui venaient dans les bals par
exemple. [SE – Oh là !] C’est-à-dire Saint-Aurélien, les
Mutilés, le Cheval Blanc, Tabarin… Tabarin, là c’est autre chose
hein, quand on parlait de Tabarin, là il fallait y rentrer à quatre
pattes.
JP
C – Tabarin, c’était où ?
ME
– Vers Montplaisir. Il y
avait des gens biens mais aussi des bagarreurs. Il y avait les autres
plus loin, Robinson, au vélodrome. Vous avez connu le vélodrome ?
C’est là que ce faisait l’arrivée du Paris-Limoges en cyclisme, où
j’ai connu des noms comme par exemple Mario David,
l’acteur de cinéma, qui faisait du cyclisme avec mon beau frère René
Dufour. Moi- même j’ai tourné au vélodrome André Raynaud,
car je faisais du vélo. Il y avait ce qu’on appelait à Limoges
« les marins », des jeunes qui s’engageaient dans la
marine, et lorsque les marins passaient dans la ville, toutes les filles
allaient, pour que ça leur porte bonheur, leur toucher le pompon. Ça
se faisait partout, mais lorsque les marins entraient dans un bal et où
il y avait des militaires, que l’on appelait des « biffins »
ou des « rampants », je dis bien, des appelés, de
l’artillerie ou autre...
JP
C – Mais les marins étaient
bien des militaires aussi ?
ME
– Oui, mais les marins ne
supportaient pas ça, il fallait qu’ils trouvent une chose pour leur
mettre une tête au carré ou trouver la bagarre.
JP
C – Et les ponticauds là-dedans ?
ME
– Moi j’en avais un
marin, le Paulo, qui était avec des gens des Ponts, mais les noms, je
ne m’en souviens pas comme ça, et je me souviens, c’était au bal,
le Tourbillon : le Tourbillon c’était le bal rue Victor Thuillat
et je me souviens qu’un jour – j’étais militaire à ce moment là
– je suis rentré en militaire et j’avais pas vu mon collègue qui
était lui marin, il était avec toute cette équipe de ponticauds et
d’ailleurs, et j’ai entendu, « un chasseur qui arrive »,
de suite, j’aurais pas eu mon camarade, « surtout n’y touchez
pas, c’est mon copain ». Voyez, de suite. Dès qu’un militaire
rentrait quelque part, c’était ça… ou que vous preniez une fille,
comme par exemple si les gars de Limoges descendaient sur les Ponts et
piquaient des filles, c’était une catastrophe, et les ponticauds,
lorsqu’ils montaient, c’était la même chose, et là, si je
n’avais pas eu ce collègue là, c’était ma fête, sans savoir
pourquoi. J’étais au trentième bataillon de chasseurs de Limoges
dont j’étais le chef de fanfare. S’il y avait des photos de la
fanfare entre 1948 et 1951, je serais en tête de cette musique
là de la place Marceau, devant la caserne Marceau.
Quand
j’en viens à ce dénommé Deloutre, qui était des Ponts en bas et
qui montait ici avec ce Dodu, qui s’appelait Déroge, on l’appelait
Dodu parce qu’il catchait, qu’il était très costaud et mon beau-frère,
lorsqu’on faisait des galas dans les petites villes, des fêtes
foraines, en combat, ce Deloutre là tombe sur mon beau-frère, Gaby Dufort, et lui casse le bras à Couzeix, dans un combat régulier. Bon,
ben la semaine d’après, nous avons eu l’entraînement à l’UST,
qui se trouvait où est maintenant la piscine de Beaublanc et je sais
que le père de mon beau-frère est rentré à l’entraînement, et il
trouve ce Deloutre là, et il lui dit : « écoute, je suis
bien content de te voir ». Moi qui était à côté je dis :
« comment, vous vous connaissez ? » Alors Deloutre
le regarde et lui dit « regarde là », il avait le nez de
travers, « bien sûr que je le connais, c’est lui qui m’a cassé
le nez dans les bagarres des Ponts ! »
JP
C – Les bagarres des
Ponts, elles n’étaient donc pas simplement aux Ponts ?
SE
– C’était où ils
allaient…
JP
C – Aux Ponts, ils ne se
battaient pas entre eux ? par exemple, entre Pont Saint-Martial et
Clos Sainte-Marie ?
SE
– Non, non, entre eux ils
étaient soudés.
ME
– Entre eux ? je vais
vous dire, moi qui ai connu le Pays Basque, je les comparais avec le
Pays Basque français d’Hendaye et le Pays Basque espagnol, de Irun.
Alors
on avait des entraînement, et je n’avais pas vu Delou, et je
n’avais pas vu le Dodu, alors j’ai dis « ils ne sont pas là ? »
– « Ah ne m’en parlez pas, c’est que, aux Ponts, hier au
soir, il y a eu bagarre ! » – « Ah bon, mais qui
c’est qu’il y avait ? » – « Il y avait un tel, un
tel, un tel » et un dénommé Jeammot [Claude], « ils ne sont pas
venus parce que la police a fait une descente aux Ponts », et
lorsque la police descendait, c’était le fourgon avec cinq ou six
gars, alors ils avaient arrêtés des gars parce qu’ils s’étaient
battus.
SE
– C’était des durs.
ME
– Il fallait pas les
chercher… alors, il m’explique : « Le fourgon est
descendu et ils ont arrêté un tel, un tel, un tel, et puis quand il y
a Jeammot qui est arrivé, ils l’ont arrêté. Ils étaient cinq ou
six, et c’est comme l’histoire du gars qui rentre dans un truc et
qui dit : « Il y a bagarre, un tel rentre, toi tu te mets à
la fenêtre, et tu vas les compter quand il vont sauter par la fenêtre ».
Il y en a un qui sort, et de deux, et de trois « Non arrête,
c’est moi qui passe par la fenêtre ! ». Et là ce qui c’était
passé en bas, c’est que le Jeammot ils l’ont arrêté, mais il y
avait cinq ou six flics dans le fond du fourgon, mais tant qu’il y en
a eu un, ils sont tous passés par la porte pour libérer des gars. Ce
Jeammot, il a dit « voilà ce qui s’est passé ! ».
Les flics, ils sont repartis bredouille.
Dans
les bals, les bagarres qui se passaient. Je veux parler du Tourbillon.
Il y avait des bagarres, il y avait des durs. Nénesse pourrait en
parler, il faisait partie de ces durs. C’est une légende !
S’il commence du début jusqu’à la fin… Quand on les voyait
arriver, un ton plus bas ! Quand au Tourbillon, il y avait bagarre.
Au bal ça se bagarrait pas trop, ils essayaient d’attirer les gens
dans le bar et dans le bar, ça y faisait, alors ils appelaient la
police… alors la police arrivait… On disait : « on va tâcher
que ce soit le Gros Bébé qui vienne ».
SE
– Voilà, c’est ça.
ME
– Retenez bien ce nom là,
parce que là c’est une légende. C’est quelqu’un qui faisait 120
kilos et qui faisait plus de deux mètres. Et quand il arrivait dans le
bal, c’est le premier que vous voyiez. Il fallait qu’il passe
desfois, comme ça [de biais] dans la porte. Alors quand le Gros Bébé
arrivait : « qu’est-ce qui ne va pas, qui est-ce qui
n’est pas content ? » Il pouvait prendre deux bonhommes
sous chaque bras de quatre-vingt kilos. Et tout se calmait.
**
JP
C – Par exemple, la
bagarre c’était la bagarre, il n’y avait jamais par exemple
d’armes blanches, de couteaux ?
ME
– Oh non, il y avait des
histoires de filles, des histoires… il y en avait un qu’on appelait
Tarzan. Oh monsieur, même trempé il faisait quinze kilos. Il se
promenait dans le bal toujours en maillot de corps, mais il était gros
comme ça. Et c’était un gars des Ponts. Nous on rigolait. Mais il ne
fallait pas le chercher parce que il y avait toute une équipe qui était
derrière.
Les ponticauds : des gens charmants
ayant mauvaise réputation
ME
– Les ponticauds, c’est
une légende, une histoire, une grande histoire. Mais il n’y a pas que
le beau.
JP
C – Mais ce que vous
appelez le côté négatif, c’est juste ces histoire de bagarres.
ME
– Oui, et qui n’étaient
pas dangereuses, et c’était la vie. Il est certain que demi-heure après
vous les voyiez ensemble au comptoir.
JP
C – Mais il n’y a jamais
eu de pègre, de prostitution ou de choses comme ça, aux Ponts ?
ME
– Non, pas du tout, la
prostitution, c’était plutôt au Tabarin, par exemple. Les ponticauds
c’était pas du tout la pègre, ils travaillaient tous :
porcelaine, chaussure, chaussure, porcelaine. Si on quittait un travail,
on a retrouvait facilement un autre.
JP
C – Vous avez connu les
dernières blanchisseuses ?
ME
– Oui, au
Clos-Sainte-Marie, avec leur battoir, le petit tabouret, leur pierre et
le pesteu dans la Vienne… Moi j’ai commencé à descendre en 1944
et on les voyait toujours. Elles avaient leur bac, en montant les
Portes-Ferrées, il y a encore le bac, le lavoir couvert où elles
venaient, ça leur évitaient de descendre jusqu’à la Vienne.
Pour
moi les ponticauds, c’est pas des… c’est des gens charmants…
JP
C – Pourquoi alors
avaient-ils cette mauvaise réputation ?
ME
– C’est cette renommée,
la rumeur.
SE
– On n’avait rien à
leur reprocher. Uniquement, c’était des bagarreurs.
ME
– Je dis pas que parmi
eux, comme ailleurs, il n’y en avait pas un de plus récalcitrant que
d’autres, mais…
SE
– On leur reprochait
qu’il faisaient entre eux un clan.
ME
– Voilà : « tu
ses daus Ponts… » On en a fait une légende, mais cela était
vrai.
JP
C – Mais comment vous le
savez que c’était vrai ? vous ne l’avez pas vu ?
ME
– Si si, des bagarres,
qu’on se jetait à l’eau, si si. Pas du pont, mais sur le bord de la
Vienne. C’est une devise, une rumeur, mais qui est partie de là. On
les craignait.
SE
– c’est-à-dire, on
pensait qu’ils étaient hors de la ville, tout en étant en pleine
ville.
JP
C – On les identifiait à
l’accent, ils avaient un accent particulier : c’est vrai ?
ME
– Oui oui. Premièrement,
ils s’imposaient. Quand ils rentraient, ils fusillaient tout le monde.
C’est le regard qui faisait tout, ils balayaient tout. Et quand ils
avaient une proie, un biffin ou un autre, il était repéré. On faisait
venir les flics, Gros Bébé arrivait…
SE
– en dehors de ça, c’était
des gens bien, comme tout le monde.
JP
C – Mais ces bagarreurs,
c’était les jeunes ?
ME
– Oui seulement les
jeunes, à une exception près : le père de mon beau frère, qui était
père de famille.
JP
C – Entre 17 et 25 ans ?
SE
– à vingt-cinq, les gens
étaient mariés.
JP
C – Entre 15 ans et 20 ans ?
ME
– Oui c’était là,
lorsque le garçon voulait s’affirmer. Mais il ne s’affirmait pas
tout seul, il fallait qu’il soit en bande.
SE
– Ils arrivaient en bande.
On disait « ils viennent des Ponts » et déjà, ils avaient
une petite infériorité par rapport à nous.
JP
C – Mais c’était pas
une question de richesse, mais d’éducation, ou comment ?
SE
– Peut-être d’éducation,
oui.
JP
C – On dit qu’ils
parlaient plus fort, plus haut que les autres ?
SE
– Oui, je crois que
c’est ça. Ils avaient un vocabulaire…
ME
– ils avaient un
vocabulaire qui vous sciait un petit peu…
JP
C – Mais qu’est-ce
qu’il avait ce vocabulaire ?
ME
– « Tu es un conard,
tu es… » De suite dès que les choses n’allaient pas :
« Tu sors dehors, et on te fait ta fête », de suite,
« On sort dehors, on va s’expliquer… »
SE
– ça détonnait, on était
tellement poli à notre époque… Moi j’avais ma copine qui s’est
mariée avec un ponticaud : Oh là là ! Il a eu une belle
situation, tout, mais sur le moment ça refroidissait.
C’est
ce rassemblement… des jeunes, qui se montaient la tête dans les
choses vulgaires, que nous on n’avait pas.
ME
– C’est-à-dire que
quand ils venaient, ils étaient supérieurs à ceux de la ville.
JP
C – Alors que la ville les
considérait comme des inférieurs
SE
– Voilà…
Rencontres sportives et célébrités
JP
C – Vous devez avoir des
souvenirs, un peu, d’avant guerre ?
ME
– Oui des souvenirs, avec
des gens connus, par exemple Jean Lefebvre, l’acteur.
SE
– Quand il conduisait les
tramways.
ME
– Jean Lefebvre à l’époque
où nous étions jeunes. Nous étions aussi une équipe, avec ceux de
Beaublanc…
SE
– C’était des équipes,
mais gentilles.
ME
– Oui, une camaraderie…
**
Qui
sait qui n’a pas fait les couillons à cette époque là… avec Jean
Lefebvre qui conduisait les trams et que j’ai bien connu… Il faisait
la ligne de Beaublanc. Il y avait les trams de Limoges, et desfois il
conduisait, ou desfois, il faisait le contrôleur. Alors quand il
conduisait, il klaxonnait toujours et il allait à une vitesse,
terrible. Quand on entendait n’importe quel tram qui arrivait, on
disait : « Voilà le dingue qui arrive ». Alors,
desfois il y avait une remorque, desfois, il y en avait deux, et quand
il faisait le contrôleur, s’il était dans la première remorque pour
faire payer les gens, il fallait qu’il aille après dans la deuxième.
Nous, quand on était dans la deuxième et qu’on voyait qu’il avait
fait payé dans le premier, on descendait et on rentrait dans la première.
On faisait comme les autres, parce que c’était pas cher, mais on
n’avait pas de sous. Quand il nous voyait, il criait : « bande
de salops ! » Je l’ai revu, il nous connaissait.
SE
– Je donnerais tout pour
revenir à cette époque et revivre ça.
ME
– Dans notre misère, je
donnerais tout.
**
ME
– Les relations qu’on se
faisait à l’époque, on se les faisait toutes par les clubs sportifs,
les Enfants de la Vienne, etc. sinon je n’aurais jamais rencontré les
gens que j’ai rencontré : Jean Lefebvre, Mario David, Jean
Borini, Lino Ventura que j’ai côtoyé pendant longtemps.
JP
C – Pourquoi, parce
qu’entre le monde du sport et celui de la variété, il y avait un
lien ?
ME
– Non, mais quand on était
à un certain niveau, au niveau deux de l’UST, section lutte, j’ai
eu la chance, en tant que militaire, d’avoir été sélectionné –
nous étions quatre limousins – au championnat de France de lutte qui
se sont déroulés à la citadelle de Fort Carré à Antibes en 1949.
Des noms : Maurice Réjas, le dénommé Ribardière qui faisait du
culturisme à Limoges. Milou Bazac et moi-même. Et c’est par ce biais
là que cela nous a permis de rencontrer… Nous nous sommes tous
retrouvés là-bas à Antibes. Réjas a fait deuxième au championnat de
France, Ribardière, dans sa catégorie, premier ou deuxième et je suis
tombé en demi-finale avec un dénommé Milou Bazac, qui était en
principe en catégorie plume et moi en catégorie supérieure, poids
coque, et à ce moment là il avait pris du poids et est tombé sur moi,
et j’avais la réputation à Limoges d’être une teigne et qu’en
combat, ils avaient peu de chance de gagner. Moi j’étais à Limoges
et lui était en Allemagne. Tous les jours il me racontait :
« Peut-être je vais tomber sur toi… parce que mon commandant
m’a dit que si je faisais un bon combat il me donnait huit jours de
permission à Limoges… ». Et effectivement, en demi-finale, je
tombe sur lui et je lui ai dit : « Écoute Milou, nous allons
être sans doute sur le tapis et nous allons faire une bonne exhibition
et au bout de deux minutes, tu me plantes en beauté ».
D’accord, mais quand je suis entré sur le tapis, qu’il m’a pris
le poignet, j’ai cru qu’il allait me faire sortir la moelle des os,
tellement qu’il serrait qu’il avait peur et effectivement, au bout
de deux minutes, il m’a tombé, proprement, et lui a eu le podium, il
m’a dit merci, et nous sommes rentrés à Limoges. Et m’a mère
m’a dit quand je suis rentré à Limoges : « Je sais que tu
as été battu », parce que Georges Briquet avait annoncé à la
radio que le limousin Maurice Eymard avait été battu aux championnats
de France militaire. Mais pour le faire venir avec nous, j’ai dit
« Milou, tu auras tes huit jours de vacances, tu resteras avec
nous ». Et ce sont des gens que je n’ai pas revu.
A Beaublanc
SE
– Moi j’habitais à
Beaublanc. On y habitait avec mes parents à la déclaration de la
guerre, voyez. J’avais six ou sept ans, jusqu’à ce que je me
marrie. C’était des maisons à quatre en haut et quatre en bas :
nous on était trois, en face ils étaient dix, les autres étaient sept
et cinq, rien qu’au premier et au rez-de-chaussée, il y en avait
autant. Ça faisait cinquante gamins dans une maison ! C’était
une entente merveilleuse. On avait tous notre bout de jardin mais
jamais, malgré qu’on ait crevé de faim pendant la guerre, on serait
pas allé chez le voisin prendre une pomme ou une cerise. L’été le
soir, on était là jusqu’à minuit, on parlait, je ne sais pas ce que
l’on faisait d’ailleurs… J’y suis passé l’autre jour, ils ont
refait de beaux logements. Mais j’en ai eu du chagrin, de penser… on
faisait le feu de Saint-Jean au milieu de la rue, tous les jeunes
faisaient sauter les vieilles personnes.
ME
– Au petit pré, c’était
où l’on faisait des combats desfois…
SE
– Le petit pré, c’est
quand vous êtes en face du stade, le dernier petit parking. C’était
là où les petits cirques venaient. Et tous les gens s’asseyaient sur
les murs. C’était merveilleux… je garde un souvenir de ma jeunesse,
vous pouvez pas savoir…
Le « patois »
JP
C – Vous parlez le patois ?
ME
– Je le parle couramment.
SE
– Mes parents le
parlaient, moi non. Mon père était de la campagne, ma mère de la
ville.
ME
– les miens étaient de la
campagne. Je suis né à Ladignac-le-Long. J’ai neuf sœurs et nous
sommes deux garçons. Je suis arrivé à Limoges, enfin à Couzeix en 1937 environ. Et puis au Pont de l’Aurence.
JP
C – Et avec les gars des
Ponts par exemple, vous parliez français ou patois.
ME
– quand j’en trouvais un
qui aimait parler en patois, je le reprenais en patois. Quand
j’arrivais chez mon père, je parlais patois, parce que je sais que ça
lui faisait plaisir. Mais je le parle couramment, c’est le patois de
la Dordogne.
SE
– Moi, je ne le
comprends même pas.
JP
C – En ville, même après
guerre, vous avez eu l’occasion de parler le patois ?
ME
– Même encore, nous
allons faire notre marché place Marceau le samedi. J’ai un paysan ;
si je peux en lancer une, ça va. Dès qu’on parle patois, voyez, on
voit la personne qui change… et je regrette que je ne trouve pas de
gens… parce que je ne parlerai que patois.