Fête
du pont Saint-Étienne 1909
Article
d'Alphonse Grenut, Limoges Illustré, 1er
août 1909, n° 238
Au Pont Saint-Etienne
Impressions pittoresques sur la fête du 18 juillet 1909
Dans cette journée qui dès le matin, se préparait merveilleuse le
soleil remplaçait fort à propos la pluie maussade de la veille.
Aux bords de la Vienne, une brise légère courait, se mêlant à
la fraîcheur de l’eau, sous un ciel immarcesciblement pur.
La foule des promeneurs qui suivait les rives pittoresques de notre rivière
admirait les charrettes fleuries qui répandaient dans l’atmosphère
une odeur suave de fleurs parfumées. La verdure qui ornait ces légers
véhicules offrait un aspect des plus attrayants.
Nos gracieuses Limogeoises avaient pour la circonstance quitté
la coiffure à la mode parisienne pour arborer le vieux barbichet,
vestige respectable du temps passé. Elles déambulaient sur les rives,
égrenant de gaies chansons, d’expressifs refrains populaires qui pour
la plupart allaient se perdant. A la main, les fleurs qu’elles
offraient avec une grâce exquise à la foule des promeneurs semblaient
être une partie de leur âme qu’elles épandaient.
Et tout au bas, au milieu de l’eau, l’escadre se tenait prête à
partir au premier mot d’ordre. Mais quelle escadre! Partout des
gondoles, automobiles, ballons et jusqu’à un sabot! Dès que l’«
Amiral » eut donné le signal, cette escadre d’un nouveau genre se
mit en marche. Le coup d’oeil était saisissant. C’était à qui
ferait le plus honneur au bateau qu’il montait, autant par la diversité
du pavoisement que par l’adresse du batelier.
La fête diurne fut fort réussie et la fête nocturne la surpassa
encore.
Sur la Vienne, très sombre, un point se détache de loin. A mesure
qu’on avance, ce point devient de plus en plus lumineux.
Le vieux pont moyenâgeux, qu’éclairent les clartés lunaires de l’électricité,
émerge de l’eau noire à la façon d’un féerique décor; on dirait
un pont enchanté avec ses traditionnels sorciers, revenants,
damoiseaux, etc.
Au large, l’escadre de la journée, brillamment illuminée, attend les
ordres du départ. Voici un moulin avec sa gigantesque roue, une tour
Eiffel du plus bel effet ; là-bas, une gondole vénitienne ;
plus loin, un aéroplane prêt à prendre son vol, et tous ces bâtiments
sont là immobiles. Tout à l’heure, ils défileront au son d’une
musique entraînante pour se rendre à la tribune d’honneur où les
attendent les autorités « navales ».
Spectacle inoubliable que celui de ce pont vétusté et délabré,
rajeuni pour la circonstance, aspect de cette jeunesse ardente
qu’emportait les ébats chorégraphiques, vision de ces milliers de
gens accourus de tous les points de la ville, désireux de participer à
cette fête pittoresque et étrangement suggestive.
Les « ponticauds » avaient tenu à émerveiller leurs ‘visiteurs’
; ils ont pleinement réussi. Au cours de cette fête brillante, pas un
seul incident fâcheux ne s’est produit.
Plus d’un, j’en suis sûr, s’est senti fier d’être né dans ce
vieux Limoges, dans cette
cité du battoir (do peiteu), aux bords de la Vienne paisible. Nul doute
que, l’an prochain, les « citadins » ne fassent à nouveau
et à pareille époque le pèlerinage à ces lieux enchanteurs où, sous
l’oei1 étincelant de la fée Électricité, règnent harmonieusement
la joie, les plaisirs et la solidarité.
Alphonse GRENUT

Les libellules à la fête du pont Saint-Étienne (illustration -
photographie Sauvadet - et
légende figurant dans l'article)
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