Shimazaki Tozon

les bords de Vienne et ses gens vus 

par un écrivain japonais (1914)

 

En 1914 un écrivain japonais de premier ordre, Shimazaki Tozon (1872-1943), que l'on considère comme l'un des représentants majeurs du courant "naturaliste" (Shizenshûgi) (1), séjourna quelques mois à Limoges. Il résidait à Paris quand la guerre éclata et, devant l'avancée des troupes allemandes, sa logeuse, Marie Simonet, lui conseilla de se réfugier à Limoges où elle avait de la famille. Il s'y rendit en compagnie d'autres pensionnaires dont son compatriote, le peintre Masamuné Tokasuburô. La petite maison où il habita existe encore, tout au bout de la rue de Babylone. Jean-Pierre Levet, enseignant à l'université de Limoges, a eu la gentillesse de nous communiquer des passages de son oeuvre (Lettres de France et  L'étranger), où l'écrivain évoque les quartiers des bords de Vienne, et surtout ses habitants. On notera en particulier sa très grande attention pour les enfants, avec lesquels ce jeune homme d'une quarantaine d'années se plaît à jouer et à bavarder. Ainsi se dit-il ému aux larmes en entendant des petites filles chanter en limousin pour le remercier du don d'un paquet de gâteau.

On trouvera une notice sur  Shimazaki et la version japonaise d'une partie des textes que nous présentons ici sur le site de l'association Renaissance du Vieux Limoges.

 

 

« Le Pont-Neuf est un grand pont en pierre qui se dresse entre mon quartier et le centre de la ville. Sous ce pont coule la Vienne... » (Les Lettres de France, 11 novembre 1914).

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« Près du Pont-Neuf, il y avait un petit café sans prétention, à l’enseigne du Comptoir.. Chaque fois que mes pas me conduisaient en cet endroit, le fils des patrons courait vers moi pour me serrer la main. Même lorsque cet enfant jouait en compagnie de petits camarades au pied des arbres, il ne manquait pas de venir à la hâte me saluer. Il s’était donc bien habitué au voyageur étranger que j’étais... » (Lettres de France, 11 novembre 1914)

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« A ces petites filles, j’ai donné un paquet de gâteaux et nous sommes devenus de si bons amis qu’elles m’ont chanté des chansons. En entendant ce chant en langue limousine qui sortait de la bouche d’innocentes fillettes, j’ai versé des larmes... » (ibidem).

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« En me rendant du chemin de Babylone à la Vienne, j’ai rencontré trois ou quatre fillettes que je connaissais. Nous étions bons amis depuis le jour où j’avais sauté à la corde avec elles. Toutes les fois qu’elles me voyaient, elles me disaient : « Monsieur le Japonais, venez donc jouer avec nous » (L’Étranger, 1914).

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« J’ai aperçu, sur le seuil d’une porte, un enfant qui tenait un morceau de pain et du fromage dans la main. Il n’y a aucune différence entre un enfant français dévorant du pain avec plaisir et un petit garçon japonais mordant avidement dans une boule de riz... » (L’Étranger)...

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« Un garçon s’est approché de moi et m’a demandé de lui parler du Japon. « Quel est le plus beau pays », m’a-t-il demandé, « la France ou le Japon ? » Sa question m’a embarrassé : « Hum... toute comparaison est impossible. Dans ton pays, on trouve du beau et du moins beau, n’est-ce pas ? Eh bien, au Japon, c’est la même chose » « De quelle couleur est la mer au Japon ? Est-elle jaune ? » « Pourquoi donc serait-elle jaune ? Elles est bleue, bien sûr, d’un bleu très clair, elle est splendide ». « Ah ? D’un bleu très clair », a-t-il répété. Il semblait rêver à cet Orient inconnu. Frappé par sa vivacité d’esprit, qui l’avait poussé à poser une question sur la couleur de la mer pour s’informer sur un pays étranger, je fixais un instant ses yeux innocents »  (L’Étranger).

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« Je suis descendu sous le pont. Là, on entendait d’habitude le bruit du linge que l’on battait, mais, ce jour-là, les lavandières n’étaient pas nombreuses. Sur la rive, entre les platanes aux feuilles jaunies et l’endroit où l’on faisait sécher le linge, je contemplais les enfants du quartier qui jouaient. L’envie me prit de faire des ricochets devant un enfant. La pierre plate et bien lisse que j’avais ramassée et lancée a rebondi jusqu’au milieu de la rivière. En l’apercevant, les enfants se sont approchés de moi et m’ont demandé de leur apprendre à faire de tels ricochets. Parmi eux, certains apportaient des pierres rondes ramassées sur la rive ; d’autres essayaient de lancer des cailloux. Tout le monde s’amusait. Je me suis demandé si ce jeu qui se pratique au bord de l’eau n’était connu qu’au Japon et si ces petits Français n’y avaient jamais joué » (L’Étranger).

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« Sur la colline, j’ai dressé l’oreille et, alors, j’ai entendu le bruit sourd de la Vienne qui coulait dans la vallée » (L’Étranger).

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« Certains jours, le murmure de la Vienne parvenait jusqu’à la prairie située du côte gauche du chemin de Babylone. C’est de ce lieu-là, et plus précisément de la petite colline qui s’élève en cet endroit, qu’un jour nous avons aperçu des montagnes dans le lointain. De là, on voyait trois églises anciennes. La plus proche, à notre droite, sur l’autre rive de la Vienne, était la cathédrale Saint-Étienne ; au centre, plus loin, il y avait l’église Saint-Pierre, et, sur la gauche, l’église Saint-Michel » (L’Étranger)

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la maison où séjourna Shimazaki Tozon, rue de Babylone

« Sur la rive opposée, sur le terrain en pente, on entrevoyait des maisons rustiques alignées, ainsi que des jardins cultivés... » (L’Étranger)

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« A deux pas de notre logement, des vaches paissaient ; des fermières chaussées de sabots suivaient une charrette que tiraient des bœufs ; la rosée matinale humectait les feuilles de la vigne et des gens âgés labouraient péniblement, en pensant sans doute à leurs fils au front » (L’Etranger).

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« La Vienne avait pris son aspect automnal » (L’Étranger).

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« L’église Saint-Étienne est une immense cathédrale en pierre. La chapelle, qui se trouve au détour de la rue en pente conduisant à la cathédrale, m’a rappelé que nous étions dans un pays catholique. A côté de cette chapelle, une vieille femme ridée, le dos voûté, vendait de grands cierges. Au pied de la statue de Marie, on avait déposé des cierges et des fleurs. De façon très surprenante, il s’agissait de lotus artificiels, dont les feuilles et les pétales de couleur or et argent ont suscité en moi l’impression que j’étais dans un temple bouddhique. Sous la lueur vacillante des cierges placés sur l’autel, nous avons vu une jeune fille, vêtue d’une robe noire, qui priait, agenouillée, sur une marche en pierre. Peut-être priait-elle pour le retour de son fiancé parti pour le front » (L’Étranger).

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« Je vais dire adieu à la prairie où je me suis si souvent assis, aux toits rouges et aux immeubles serrés de l’autre rive, ainsi qu’à la tour élevée de la cathédrale Saint-Étienne, qui semble dominer la ville de Limoges dans son ensemble. Je n’aurai plus jamais le bonheur de les revoir » (Les Lettres de France).

 

 

plaque commémorative apposée sur la maison où Simazaki séjourna, rue de Babylone

(1) Deux de ses romans sont traduits en français : Hakaï (1906) : La transgression, trad. du japonais par Suzanne Rosset, Paris, You-Feng, 1999 et : Une famille ; trad. du japonais par Suzanne Rosset,  Paris, POF, 1984. On peut lire la bonne notice qui lui est consacré dans le Dictionnaire des littératures françaises et étrangères, sous la direction de Jacques Demougin, Larousse, 1985. Voir également les pages web : 

http://www.shunkin.net/Auteurs/?book=532 (sur Hakai)

http://www.meijigakuin.ac.jp/~french/professeurs/doc/kudo25.pdf. (sur le séjour à Limoges)

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