La
fête du Pesteu (Peiteu)
Nous
présentons ici deux textes sur la fête du Peiteu au XIXe siècle,
l’un d’époque, de Henri Ducourtieux (« L’Abessaille
et le Naveix »,
extrait de l’Almanach Limousin de 1863) et l’autre de
Jules Tintou, qui est une évocation historique, fort nostalgique (« Les
fêtes du battoir au Port du Naveix »,
Lemouzi, n° 37-38, 1928), en partie tributaire de Ducourtieux.
C’est qu’en 1928, cette fête, avec sa procession n’est plus
qu’un lointain souvenir, ne demeurant à cette époque qu’une
frairie de quartier. Il faut dire que l’interdiction des procession de
1880 lui avait porté un coup fatal. Mais déjà en 1863, depuis deux
ans, l’ostension des attributs de la profession ne se faisait plus,
comme le signale Ducourtieux. Hélas, Tintou ne donne pas ses sources.
Nous n’avons trouvé aucune iconographie de cette fête, pas plus que
de celle de Saint-Domnolet, signalée par Ducourtieux.
Il y eut des tentatives de réintroduction
de la Fête du peiteu au XXe siècle, en
particulier dans les années 1974 et 1975, en présence du groupe
folklorique de l’Eicolo dau barbichet, mais restées sans lendemain.
Nous joignons une description du programme de la fête de 1975, parue
dans Centre-Presse le 19 septembre.
Henri
Ducourtieux
L’Abessaille et le Naveix, extrait de l’Almanach
Limousin de 1863.
Les
fêtes du Naveix - Saint-Domnolet – Le Peiteu
Sans parler du Carnaval, des « quatre bonnes fêtes », etc.,
etc., Il existe dans le quartier du Naveix deux fêtes particulières,
qui se célèbrent l’une le premier dimanche de juillet,
l’autre le dernier dimanche de septembre. La première, celle de
Saint-Domnolet, est plus particulièrement la fête du corps des
Naveteaux : une procession, dans laquelle ils portent l’épée
symbolique et les restes du noble défenseur de la cité, fait le tour
de la paroisse à l’issue de la grand messe. L’autre est celle de Notre-Dame
du-Battoir, la grande frairie des buandières, lou Peiteu
! ce jour-là on mange, on danse et l’on chante dans le Naveix et l’Abbessaille
pour tous les jours où la pitance est maigre, le labeur le plus pénible,
la vie ta plus lourde à supporter.
[....]
Les buandières, nous
l’avons dit plus haut, nomment leur fête lou Peiteu (lo
Battoir). On en parle au bord de l’eau
un ou deux mois à l’avance. Dès la veille, les tambours
donnent les aubades à tous les gros bonnets du quartier, et chacun achève
rapidement les travaux de la semaine, afin d’être tout entier à la
grande solennité. Le lendemain un autel est dressé au fond de l’Abbessaille,
et une belle procession, à laquelle les buandières tiennent à honneur
d’accompagner lo bouno viergo dàu Peiteu,
fait le tour de la paroisse, au bruit des tambours et des chants d’allégresse.
A cette cérémonie figuraient
encore, il y a deux ans, tous les attributs du métier ; de jeunes
filles portaient : qui le savon, qui le battoir, qui la pierre à laver,
qui le bleu ; la Vienne elle-même y était représentée dans un baquet
rempli de son eau limpide. Cette année, pour la deuxième fois, les
attributs, qui donnaient un cachet original à cette procession, ont été
supprimés. Mais le soir il n’était pas une maison, du Naveix à l’Abbessaille,
où le Battoir ne fût convenablement fêté. Ne pas se réjouir en ce
beau jour eût été commettre un crime de lèze-peiteu !
Puisque nous en sommes à
parler des traditions qui vont s’effaçant de jour en jour, disons un
mot du roi et de la reine du Battoir.
Quelques jours avant la fête, les dignitaires de la buanderie se réunissent
en conseil privé et discutent les
candidats au titre éphémère de Majesté. Les futurs princes doivent
être nés dans le Naveix ou l’Abbessaille, n’avoir pas plus de
quatre ou cinq ans, être autant que possible beaux, bien faits, et
savoir au moins se moucher. Ces préliminaires réglés, on ouvre les
enchères.
« A combien le titre de roi ?
demande la présidente. – A deux francs, répondent les mères des
compétiteurs. – Trois francs. –
Cinq francs. – Cinq cinquante. – Six francs. –
N’y a-t-il plus d’enchères ? – Sept francs. – Sept
francs une fois... deux fois... trois fois : adjugé. Le fils de...
sera roi du Battoir pour cette année ».
La même cérémonie a lieu
pour la reine, et le produit des adjudications va grossir le trésor de
la confrérie.
Avoir un enfant roi ou reine
est une grosse affaire, et qui doit froisser bien des amours-propres. Il
faut voir aussi avec quel soin est composée la toilette de procession
de ces potentats pour rire. On les couvre d’une tunique et d’un
manteau de velours incarnat, rehaussés d’or; à leurs sabots on
substitue des souliers de satin blanc ; sur leur tête blonde est posé
un diadème en carton recouvert de clinquant ; leur bras, habituellement
potelé, est laissé nu, c’est la vanité des mères ; leur main
droite porte, en guise de spectre, le bâton orné de la pomme de pin,
qui soutient les rideaux du lit ; un simple particulier peut se
contenter d’une montre ; mais il en faut quatre ou cinq au roi et à
la reine du Battoir, et c’est à qui des buandières se dépouillera
de la sienne pour en parer l’idole du jour.
Les tambours vont saluer les
nouveaux princes et les conduisent à la cathédrale avec les honneurs
dus à leur rang. Pendant la procession Leurs Majestés précèdent la
vierge, et daignent parfois
répondre par
un sourire
aux marques
d’admiration que provoque leur éblouissant costume. Reconduits
triomphalement après la cérémonie, c’est à qui les embrassera, les
félicitera d’avoir été sages, les pougnera de gâteaux ; les
mères sont attendries, les pères eux-mêmes ne sont pas insensibles à
tant de marques de déférence.
Il
est rare pourtant que
le roi
et la
reine, plus
habitués à la
tourte fine qu’à la pâtisserie, n’éprouvent pas la nuit quelque dérangement...
à leurs habitudes ; c’est là le revers de la médaille, le danger
des royautés trop absolues.
Ce que nous venons de dire
pour le Battoir se reproduit, à quelques variantes près, aux fêtes du
Loriot, des Petits-Ventres et de la Saint-Michel :
le roi et la reine sont des accessoires de rigueur. Le sens de ces
anciens usages s’est perdu : mais ils ont conservé un parfum de
couleur locale, un cachet de naïveté que personne ne pourra leur
contester.
Dans
le vieux Limoges
Les
fêtes du battoir au Port du Naveix
Lemouzi,
n° 37-38, 1928, p. 9-10
Il est un coin du vieux Limoges qui présente un réel intérêt,
non seulement en raison de sa situation pittoresque sur les rives de la
Vienne, mais bien aussi par les souvenirs qu’il évoque. C’est le
quartier des Naveteaux qui, jusqu’à ces dernières années, possédaient
ses moeurs et coutumes particulières, formant une véritable petite
ville dans la grande.
Le Port du Naveix va du Pont
Saint-Étienne jusqu’au lieu dit « l’Échanlette »; sur
ce parcours, la Vienne décrit une courbe gracieuse, s’étend
amoureusement, paraissant se complaire sur ses quais à fleur d’eau
avant de se glisser furtive sous les arches du vieux pont. Suivant le
fil de l’eau, le regard s’arrête sur les jardins à étages de l’Évêché,
surmontés par le clocher de la Cathédrale, qui se découpe fièrement
dans le ciel. Honoré de Balzac, dans une belle page du « Curé de
Village » a donné de ce panorama une description magistrale.
La Vienne était pour la
population de ce quartier son unique ressource; l’homme employé à)
arrêter les bois qui descendaient par flottage de la forêt de
Chateauneuf, la femme passant son existence sur les rives de la rivière,
exerçant le pénible métier de laveuse, de buandière, dit-on ici.
Oublions donc que nous sommes
à l’époque de la T.S.F., des 120 CV et du Charleston, et
reportons-nous par la pensée à un siècle en arrière.
C’est aujourd’hui jour de
fête pour les Naveteaux, gens de l’Abbessaille et du Naveix, la
grande fête des Buandières, celle de Notre-Dame du Battoir, le
« Peiteu » !!...
Sur les bords de la Vienne, le
bruit cadencé des battoirs s’est tu. Les bateaux ont été amarrés,
car les hommes, les « aigouliers » veulent eux aussi prendre
part à la liesse générale. Peu importe si demain la pitance sera plus
maigre, la vie plus lourde à supporter, il faut fêter dignement la
« bouno vierjo do Peiteu »,
patronne des blanchisseuses.
Depuis plusieurs mois il n’était
bruit que de cela dans tout le quartier et les langues allaient leur
train au bord de l’eau, les nouvelles circulant rapidement en rangs
serrés des laveuses, passant d’une rive à l’autre. Les disputes
devenaient même quelquefois particulièrement vives, le titre de Reine
du Battoir étant envié par nombre de candidates.
Hier, les dignitaires de la
Buanderie se sont réunis en Conseil privé, car
la lourde tâche de procéder à la nomination de Sa Majesté leur Incombe.
Choix difficile entre tous, les jolies filles ne manquant pas dans
le Naveix et toutes ayant des prétentions au trône. Des conditions
sont cependant requises pour avoir le droit de poser sa candidature : être
nées dans le Naveix ou l’Abbessaille et exercer l’emploi de
blanchisseuse. Le Conseil ne
transigera pas sur ces points, quelles que
soient les influences qui pourraient
s’exercer.
Après
maintes délibérations, la reine du Peiteu est enfin nommée et, le matin de la fête, se voit attribuer les insignes de sa dignité.
Précédés de tambours, les
membres de la Confrérie des Naveteaux viennent saluer Sa Majesté la reine qui, entourée de sa Cour, formée
par des enfants du quartier revêtus pour la circonstance des plus
beaux atours, va donner le signal du départ de la procession qui va faire le tour de la paroisse.
Le
cortège s’ébranle au milieu des chants, des cris d’allégresse, couverts
par des roulements de tambours. Le corps des laveuses est au
grand complet, toutes ont à cœur d’accompagner Notre Dame du
Battoir.
Une
originalité de ce cortège est que les attributs du métier y sont représentés.
Voici le savon, la pierre à laver, le bleu et enfin le battoir, portés chacun par une jeune fille. Mais que signifie ce baquet empli d’eau
que portent allègrement deux femmes vigoureuses ? Par une pensée
pieuse, la Vienne, dont vit toute cette population laborieuse et économe,
a été associée à la fête, et est ici représentée par un peu de
son eau limpide qui sera bénie à l’instant.
Le
cortège fait une pause au coin de la rue du Naveix pour rendre hommage
à Notre-Dame du Port. La Vierge est au fond d’une niche de pierre
fort ancienne, de style ogival et surmontée dune croix. (Depuis quelque
temps cette croix gît à terre, brisée de toute évidence par une main
malveillante. Il importe » que les vestiges, déjà trop rares, de
notre histoire locale soient préservés de toute atteinte. N. -D. du
Port doit être restaurée. Nous voulons espérer que le nécessaire
sera fait pour rendre sa physionomie particulière à ce coin du vieux
Limoges). Les dévotions faites à la gardienne du vieux Port, celle qui
a pour mission de le protéger des inondations, la procession reprend sa
marche pour s’arrêter à nouveau devant la patronne des
blanchisseuses, Notre-Dame du Battoir, au coin de la rue des Échelles.
La messe est dite au fond de l’Abbessaille, où un autel est dressé.
Les chants et les danses vont continuer toute la journée. Des échos
joyeux retentiront la nuit jusqu’à une heure avancée du matin. Dans
la plus humble maison de bois le battoir est fêté comme il convient.
Les vieux chantent les ballades d’autrefois qui sont transmises aux
jeunes générations.
La
tradition de la fête des blanchisseuses n’est pas encore définitivement
perdue, et le « peiteu » a lieu chaque année un dimanche de
septembre. Mais cette fête a perdu son caractère propre qui en faisait
son originalité pour n’être plus qu’une banale « frairie »
de quartier, dont le nom seul rappelle le souvenir des fêtes du passé.
Jules
Tintou
LA
FÊTE PONTICAUDE DU "PEITEU"
...ou
la renaissance d’une des traditions
parmi les
plus pittoresques de Limoges
Centre-Presse
le 19
septembre 1975
Limoges, — L’an dernier dans la douce somnolence d’une matinée d’automne, l’Eicolo dau Barbichet,
précédée de ses ménétriers,
rappelait au souvenir de tous
les Limougeauds l’une des
pages parmi les plus pittoresques
du passé historique de la cité
et des quartiers des bords de
la Vienne : Notre-Dame du
Battoir, plus familièrement
dite la Bonne
Vierge du « Peiteu », bienveillante
patronne des laveuses de l’Abbessaille et
du Clos
Sainte-Marie.
En renouvelant cet hommage, l’Eicolo dau Barbichet, doyen des groupes folkloriques limousins,
s’inspirait une fois de plus de
la tradition pour
montrer la diversité et la
richesse d’un patrimoine
populaire trop
souvent méconnu.
LA
« BONNE
DAME DU
PEITEU »
Si
le quartier de la Boucherie avait
sa madone des Petits Ventres,
le quartier de la Cité et plus particulièrement de l’Abbessaille avait sa Bonne Dame du
Peiteu. C’est celle-ci que fes laveuses du quartier avaient reconnue
comme leur protectrice. Elles
lui avaient donné le vocable
familier et symbolique de leur laborieuse activité :
le «
peiteu», lourd
et solide
battoir sans lequel
il ne pouvait y avoir de bonne
lessive.
Au siècle dernier, le « Peiteu » désignait
communément pour toute
la ville, la fête des buandières, célébrée le dernier dimanche de septembre.
Avec le temps, les rives de la Vienne ont perdu leur bruissante parure de laveuse qui, les
genoux calés dans le « cachou
», les manches retroussées
et la langue alerte, exerçaient
leur dur métier avec la complicité
de l’eau vive de la rivière,
A la démolition du quartier de l’Abbessaille, la « Bouno Vierjo dau
Peiteu » dut quitter la façade
de la maison située rue du
Pont Saint-Etienne où elle était abritée pour aller se réfugier,
en 1899, dans la niche vitrée
où on peut encore la voir sur
une terrasse de la rue du Rajat.
Recluse dans son humble abri, la madone du « Peiteu » n’a jamais été oubliée par les habitants du quartier et à l’heure où
une ville reprend les usages qu’elle avait imaginés pour célébrer dans l’allégresse, les solennités rompant le cours ordinaire
du temps, il n’est pas possible
d’oublier la fête ponticaude du
« Peiteu ».
Ce
rappel de Notre-Dame du Battoir sera
aussi un hommage à tous les
habitants de l’Abbessaille
et de la Cité dont on connaît
le fier attachement à leur
quartier.
DANS
LA NUIT DU
26 SEPTEMBRE
Le vendredi 26 septembre, vers
20 h. 45, l’Eicolo dau Barbichet déroulera
son cortège à la lueur des
flambeaux depuis le Clos Sainte- Marie, précédé par deux
« ponticauds » tenant leur « conte » enrubanné aux couleurs rouge et bleu du quartier. Viendront
ensuite les ménétriers, sonneurs de
vielle et de chabrette, jouant
une marche solennelle pour
conduire le petit roi et la petite reine du « Peiteu
» comme c’était l’usage autrefois.
Les jeunes filles en barbichet tenant le battoir enrubanné
et fleuri escorteront le groupe
royal.
Après avoir franchi le pont Saint-Etienne, le cortège ira par la rue du Rajat jusqu’à la niche abritant
la madone pour lui chanter
un couplet d’hommage en
langue limousine et entonner l’ironique
chanson écrite sur les «
laveiris », par Jean Rebier,
Le cortège montera ensuite jusqu’au chevet de la cathédrale pour redescendre par la rue
Porte-Panet et la rue du Pont
Saint-Etienne jusqu’à la première
maison à pans de bois restaurée et
saluer fa doyenne du quartier. TOUS LES LIMOUSINS INVITES
Les Limougeauds voudront prendre part à cette solennité pittoresque organisée en accord avec Renaissance du Vieux
Limoges, l’Association des propriétaires de l’Abbessaille et de la
Basse-Cité et le Syndicat d’initiative.
Dans ce quartier discret mais dont la gentillesse est proverbiale, tous les Limousins seront les
bienvenus pour s’associer à
cette
manifestation du renouveau
de l’Abbessaille placée sous
le double symbole du travail
et de l’allégresse : le battoir et le barbichet.
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