Entretien
avec Lucien Meynieux et Jean Roche
réalisé par Jean-Pierre Cavaillé et
Baptiste Chrétien, le
17
novembre
2008 à Feytiat.
Présentations
Jean
Roche (né en 1936) – Mon père a été tué à la guerre. Ma mère était
veuve à 23 ans, on était trois au Clos Sainte-Marie, on y est arrivé en
39-40, avant que mon père soit tué…
Lucien Meynieux (né en 1929) – J’ai encore une maison au Clos
Sainte-Marie, rue Traversière, mais je n’y suis pas né… Je suis né dans
une autre maison, plus bas, au 13. J’ai pris mon terrain à Feytiat en 1968.
JR
– Je me suis marié en 1961. Quand le lotissement s’est fait, moi
c’était en 68-69 [que Jean Roche s’est installé à Feytiat, dans le même
quartier que Lucien Meynieux]. On se connaît depuis toujours… et tout ce
monde là, c’était l’école du Pont-Neuf, parce que le quartier, c’était
l’école du Pont-Neuf, la paroisse Sainte-Valérie, qui était très
importante à l’époque… c’était tout ça les ponticauds.

Le jeune marin du Clos, Lucien Meynieux
(col. L. Meynieux)
Limites
et identité du quartier
BC – La première
question que l’on pose : pour vous le quartier des Ponts, qu’est-ce que
c’est ? Il va d’où à où ?
JR – Au nord, ça se terminait en face
du Poisson Soleil, à la Grande Île, où on allait des fois jouer. Vous aviez
une première bande de ponticauds, c’était les gens du Port du Naveix, avec
l’association des Enfants de la Vienne, et nous c’était après le pont
Saint-Étienne en aval, du Pont Saint-Étienne au Pont-Neuf, c’était les
Marins du Clos, une autre association, et ça c’était le Clos Sainte-Marie.
Après, plus loin, sur l’autre rive, le pont Saint-Martial, c’était très
différent, ils n’avaient pas de lavandières, je crois… Enfin peut-être,
il y en avait sûrement, parce que les gens ne pouvaient pas laver leur linge
autrement, mais le gros des ponticauds se tenaient entre le Pont-Neuf ou éventuellement
jusqu’à la première écluse en face de chez Duboys, où il y avait Malinvaud
et tout ça, mais en gros ça partait du Pont-Neuf en remontant, pont Saint-Étienne,
et le Poisson Soleil.
BC – Mais
pour vous le Port du Naveix, c’était aussi des ponticauds ?
JR – C’était
aussi des ponticauds, mais il y avait un antagonisme.
JPC – Et l’Abbessaille,
en remontant vers la cathédrale ?
JR – Oui,
plus ou moins, mais les vrais ponticauds, ça se situait entre le Pont-Neuf…
LM – Il n’y
avait pas tellement de lavandières de ce côté…
JPC – Les
lavandières sont donc essentielles pour vous pour définir le quartier ?
JR – C’était
la plus grosse activité…
LM – Les
lavandières qui étaient de la partie droite en descendant de la Vienne, il y
avait l’usine électrique qui tournait, et qui débitait de l’eau chaude, et
alors ils avaient monté un lavoir, sous Betoulle, et elles lavaient leur linge
quand l’eau chaude sortait.
JR – C’était
carrément un lavoir.
BC –
Qu’est-ce qui fait qu’on est ponticaud ? Vous nous parlez des sociétés
nautiques…
LM – Il
fallait être né en bas pour être ponticaud…
BC – Comment
on peut définir qu’au Pont Saint-Martial, ils étaient moins ponticauds, c’était
parce qu’ils n’avaient pas de société nautique, ou est-ce qu’il y avait
moins de lavandières, ou c’est un esprit ?
JR – C’était différent parce que
vous aviez, en dessous du Pont-Neuf, vous aviez des usines… les entrepôts
existent encore, où il y a la Trocante, des choses comme ça. Il y avait le
textile, mon père avait travaillé chez Duboys qui traitait les peaux…
mais à partir de là il y avait des écluses, donc vous n’aviez pas ça.
JPC – Il y
avait une coupure.
JR – Il y
avait une coupure après le Pont-Neuf. Parce que de l’autre côté du
Pont-Neuf, vous aviez à droite la filature. D’ailleurs les bâtiments
existent encore… de l’autre côté il y avait Nadalon, vous aviez deux ou
trois…
LM – Nadalon
avait un moulin, là où il y a l’écluse, c’était pour alimenter le moulin
de Nadalon, qui fabriquait des talons en bois.
JR – A partir
de là vous aviez deux ou trois écluses, ce qui veut dire qu’il y avait de
l’industrie de chaque côté, donc vous n’aviez pas ce phénomène de
lavandières, puis il y avait cette coupure là. Alors que les Marins du Clos et
les Enfants de la Vienne se tenaient, il n’y avait que le Pont Saint-Étienne
qui séparait. Bon il y avait une petite animosité…
JPC – Et les
gens du Sablard, du Clos Jargot ?
JR – Il se
disent ponticauds… Après la rue Dumont, c’était aussi des ponticauds, mais
ils ne vivaient pas ça…
***
JR – De notre
temps, la notion de quartier, c’était quelque chose.
BC – Avec
l’accent en plus, si vous alliez en ville on vous reconnaissait comme
ponticauds. Est-ce que ça vous a nui ?
JR – Non,
c’était plutôt l’inverse. Disons qu’on avait des prérogatives plus
marquées… On les appelait les vilauds. C’était péjoratif.
BC – Mais ils
pouvaient venir se promener dans vos quartiers ?
JR – Ils
pouvaient bien se promener. Je me souviens moi, avec ma mère, quand on allait
en ville, on partait du Clos Sainte-Marie, on « montait en ville ».
***
JR – Jusque
dans les années 55 la notion de vrai quartier avait perduré jusque là.
***
JPC – Et les
gens de l’U.P. [Université Populaire] vous les fréquentiez ?
JR – Il y
avait le pont Saint-Étienne qui servait de frontière symbolique… mais on se
connaissait… La maison carrée appartenait à Charles Roumagnac, le trésorier
payeur, qui était adjoint à Poher au sénat.
LM – Sa mère
était directrice de la maternelle du Pont-Neuf.
JR – Il
m’avait fait visiter le sénat. On y était allé avec des amis…
LM – Il était
socialiste.
JR – Il a été
enterré à Louyat… C’est grâce à lui que Limoges a eu le CHU.
***
BC – Et les
autres quartiers populaires qui pouvaient ressembler aux vôtres à l’époque
à Limoges ?
JR – Ah, y en
a pas. Ça, ça se passait sur le bord de la Vienne. Y a même une différence
entre les ponticauds… le Port du Naveix et le pont de la Révolution. Ça n’
a rien à voir. Le pont de la Révolution, ils étaient cernés par les usines,
puisqu’il y avait deux ou trois écluses les unes derrière les autres, de
l’autre côté il y avait les peausseries et les filatures, chez Duboys et
Nadalon. Et ça n’avait pas la même configuration que ces ponts là.
JPC – Ce qui
définit le vrai Ponticaud, c’est qu’il a quelque chose à faire avec la
rivière ?
JR – Oui, ça
c’était la Vienne…
LM – Et
l’eau montait dans les appartements ! Moi je l’ai vu monter deux fois
chez nous… à la hauteur des fenêtres.
JR –
Largement deux fois. Mais alors, les inondations au Clos Sainte-Marie, c’était
fréquent, même j’en ai vu en 59-60, deux fois la même année, une au
printemps et une à l’automne… mais ça n’avait pas le caractère
catastrophique de maintenant, parce que les gens avaient une commode, ils la
montaient… mais c’était la grosse rigolade. Il n’y avait pas de
frigidaire à monter, il y avait juste de méchants meubles. Généralement les
pompiers étaient là à demeure, alors ça buvait un coup, ça rigolait, ça
cassait la croûte, c’était folklorique aussi… Il y avait rien à protéger.
Vous aviez une commode, une cuisinière, une table… les gens n’avaient rien.
Alors que maintenant avec l’électroménager…. L’électricité à l’époque
se résumait à très peu de choses, vous aviez une lampe… c’était deux
fois rien…. Je vivais dans un taudis. On avait pas l’eau, c’était les
bornes fontaines. C’était ça pour nous, au Clos Sainte-Marie…
BC – Il y
avait des puits aussi ?
JR – Non il
n’y avait pas de puits, enfin il y en avait un chez Touze, mais quand on avait
besoin d’eau, il n’en avait pas. Il y avait des jardins, de grands jardins,
qui servaient de potager.
LM – Du
reste, j’en ai encore un de jardin, dans la petite rue, rue Traversière
BC – Vos
parents étaient installés depuis longtemps dans le quartier ?
LM – Non, ma
grand-mère venait du bas de la rue du pont Saint-Étienne, de l’autre côté,
de la première maison sur la droite. Mon grand-père venait de près de l’école
du Pont-Neuf, la rue des Carriers.
JR – C’est
tout des ponticauds les Carriers aussi. Tout tournait sur la rivière là.
L’origine des ponticauds, c’est la succession de ponts qu’il y a.
BC – Je
voulais dire, vos parents ne sont pas arrivés de la campagne, ils étaient déjà
là dans le quartier.
LM – Oui oui,
et avant, ils habitaient vers la cathédrale, la souche, avant ma grand-mère.
***
JR – La
maison où j’habitais, derrière [l’emplacement actuel de la triperie], et
quand il y avait des inondations – il n’y avait pas de triperie, c’était
des jardins – on faisait sauter les palins des jardins parce qu’on pouvait
pas passer rue Traversière, parce que l’eau arrivait jusque là et on montait
pour aller à l’école…
JPC – ça
montait haut alors ?
LM – Un mètre,
ça rentrait par nos fenêtres…
JR – On
faisait sauter les palins et on passait par derrière. Après il y a eu Morange
[le premier tripier] et ça n’a plus été possible, mais entre temps la
Vienne a été régulée. Moi je l’ai vue entièrement gelée la Vienne.
LM – Pas moi,
il y avait un mètre au milieu, mais j’ai une photo où elle est entièrement
gelée du temps de ma grand-mère.
JR – Mais en
56 ?
LM – Il y
avait un mètre au milieu.
JR – C’est
souvent qu’elle drainait des glaçons, avant qu’il y ait ces barrages qui
aient régulé tout ça…
LM – Du
reste, c’est comme ça qu’elle gelait. Au fur et à mesure que ça coulait
cette glace, elle butait dans les buses des ponts, ça la bloquait et il y en a
d’autres qui arrivaient derrière et ça faisait….
JR – Et puis
il y avait toutes les écluses après, qui bloquaient tout ça.
Quand on était gamins
on faisait des glissades sur la glace… parce qu’évidemment les eaux
coulaient dans les caniveaux, on frictionnait bien la glace avec les godasses là,
et l’on faisait des glissades longues comme jusqu’à la bagnole, là bas.
Alors, on vérifiait aussi – parce qu’on avait des galoches à l’époque,
pendant la guerre – que les types n’avaient pas des clous qui dépassaient
pour rayer la glace.
JR – Cette
photo… ce sont les plus anciennes lavandières et les plus jeunes. Elle a dû
être prise par ma mère parce qu’elle apparaît tout de suite après sur
l’autre photo.
Tout le monde lavait
son linge sur le bord de la Vienne, y compris ma mère, parce que tout ce qui
est Clos Sainte-Marie, c’était quasiment des taudis. Nous, à la maison, nous
n’avions pas le confort, il y avait ces fameuses bornes fontaines, et tout le
monde allait chercher l’eau ici.
[devant la photo ils
passent en revue les lavandières professionnelles]

col. J. Roche
LM – La Bélou
[debout] était une polonaise ; une autre polonaise, voici l’épicière
Madame Mérigou [habillées de clair], la Lilie, la Tricard et la Mathilde.
JR – Elles y
sont toutes les trois et Madame Tatoueix. Cette personne là est ma mère
[ci-dessous, 2e en partant de la droite] qui a dû prendre la photo et
inversement…

col. J. Roche
L’épicerie [Mérigou]
était située ici et en face il y avait une tonnelle, qui était régulièrement
emportée par les inondations. La tonnelle, la voilà… ça c’est ma famille,
ma mère et mes sœurs. Les inondations étaient fréquentes, avant que la
Vienne soit régulée.

Col. famille Roche
JPC – Cette
jeune polonaise m’intrigue…
JR – C’était
une réfugiée.
LM – C’est
Benoît qui l’avait ramenée…
JR – La photo
a été prise dans les années 50 : j’ai marqué derrière juillet 50,
mais c’est peut-être 49.
Ce que l’on ne voit
pas ici, tout leur linge, vous aviez…
LM – … des
piquets, avec du fil de fer. C’est Betoulle, l’ancien maire, le petit Léon,
qui leur avait fait installer. Une quadruple rangée de piquets avec des fils à
linge, et attention, chacun le leur !
Elles lavaient les
tabliers des bouchers et des tripiers.
BC – Elles
arrivaient à les ravoir ?
LM – Elles
montaient les chercher et les ramenaient pliés et repassés. Elles les
remontaient avec une serpillière…
JR – C’était
porté dans le dos, noué et elles prenaient le Pont-Neuf, pour livrer leur
linge.
C’était très
strict : il y avait ce que l’on appelait les pierres, des pierres plates,
chacun la leur et il ne fallait pas s’aviser à…
LM – Il y en
avait deux. Une où elles mettaient le bachou et l’autre où elles lavaient le
linge..
JR – … en
plan incliné. En fait il y en avait deux : celle qui sert de socle, d'assise et
la pierre inclinée pour laver. Le bachou, elles ne le laissaient pas sur place… Ma mère en
avait un avec le fameux peiteu, le
battoir. Elles tordaient le linge à deux et se faisaient desfois aider par les
enfants du quartier.
LM – Et sur
le bachou, elles y mettaient de la paille…
JR – … ou
de vieux linges. Elles étaient à genoux toute la journée. Et puis, il
arrivait que les hivers, elles cassaient la glace… c’était folklorique.
LM – Et l’été,
il y avait un bateau avec deux gars de la ville, qui nettoyaient, qui creusaient,
pour évacuer devant..
JR – La
saloperie, la merde – excusez moi le terme – parce qu’il y avait pas de wc
et les seaux étaient jetés dans la…
JPC – Donc il
y avait un bateau qui nettoyait ?
LM – Oui oui
oui, c’était des employés municipaux. Il y en a un qui s’appelait Faure,
et puis l’autre Cul d’Ours on l’appelait. Et ils habitaient vers le
Poisson Soleil, ceux-là, au-dessus.
JR – C’était
folklorique…
JPC – Les
ponticauds, c’était des gens de la ville qui parlaient patois ?
LM – Patois
oui. « Tu ses daus Ponts passa, tu
ses de la vila, dins l’aiga !
»
JR – Avec un
accent particulier, un accent bien ponticaud. Moi je me suis élevé aussi en
campagne, et je parlais le patois, mais alors de la campagne et l’accent n’était
pas le même, il y avait un accent vraiment ponticaud du patois. Mon village
natal c’est Peireix.
BC – Vous
l’entendiez beaucoup parler enfant ?
JR – Ah mais,
toutes ces dames, elles ne parlaient que patois.
BC – Et les
ouvriers qui travaillaient dans la chaussure ou la porcelaine ?
JPC – [à LM]
Et vous qui êtes né en ville, vous le parlez aussi ?
LM
– Je le parlais, mais vaguement. Ma grand-mère le parlait couramment avec ses
sœurs et ses frères parce qu’ils étaient neuf dans la famille, Hoche,
Marceau, Kléber, qui étaient des oncles à moi, qui en réalité avaient
d’autres prénoms. C’était les noms des généraux. Parce que l’un
habitait où était né Jourdan, c’était Hoche, mais en réalité, il
s’appelait François. Marceau qu’on appelait, c’était un oncle à moi et
il s’appelait Jules. Et Kléber…
JPC –
Pourquoi les appelait-on comme çà ?
JR – A l’époque,
tout le monde avait des noms comme ça, des surnoms. Comme pour les lavandières.
La Bélou, je ne savais même pas son nom.
LM – Gorce,
mais son nom de jeune fille était polonais.
BC – Mais
elle parlait patois en étant polonaise ?
LM – Oui,
mais elle l’était d’origine seulement… Je sais pas comment elle avait
atterri là.
JPC – Mais à
vous, on vous l’a appris ?
LM – Tout le
monde à l’époque baragouinait le patois.
JPC – Jusque
à quand, vous diriez ?
JR – Elles
les survivantes des lavandières, tant qu’elles ont vécu, ont parlé entre
elles le patois. Et je peux vous dire qu’elles avaient un langage châtié. Il
fallait pas leur monter sur les pieds. « Grand con ! », là
elles parlaient français. Nous, tout le long là, on jouait au foot, alors des
fois on les emmerdait, parce que le linge était étendu, il fallait faire gaffe
de pas envoyer la gadoue dessus, bon des fois on se faisait insulter…
JR – Tout le
monde faisait plus ou moins de sport ou de la musique. Il y avait des
associations : il fallait occuper les gamins.
LM – Moi j’étais
à la musique, aux Gueules Sèches et de l’Harmonie Municipale aussi.
JR – … qui
donnaient souvent des aubades au Clos Sainte-Marie…
JPC – Vous
aviez commencé enfant ?
LM – Enfant,
j’étais avec les bigophones, les Marins du Clos.
JR – Parce
qu’il y avait les grosse têtes, le carnaval, les défilés, les fêtes sur la
Vienne avec les bateaux… On montait aussi des plongeoirs… aux enfants de la
Vienne, ils avaient leur plongeoir et des lignes d’eau, et nous au Clos
Sainte-Marie, il y avait un plongeoir, des lignes d’eau… de la compétition.
Tout le monde savait nager de bonne heure, là… et puis vous aviez en face,
qui n’existe plus, avant le Pont-Neuf, le Club nautique : les avirons,
des yoles, des skiffs…
LM –
Maintenant ils ont été déplacés parce qu’ils garaient leurs bateaux sous
l’arche du Pont Neuf (JR – Ils avaient aussi un beau bâtiment) et comme il
a fallu libérer… ils sont montés vers la Crotte de Poule, maintenant ils
sont arrivés à la Sablière.
***

intérieur du local des Marins du
Clos (col. L. Meynieux)
JPC – (à
Lucien Meynieux) Vos activités musicales : je vois la Valse
à Bousta, que je connais, et la Bourrée
des ponticauds, 1993, que je ne connaissais pas du tout.
LM – C’est
mon copain Delassis qui l’avait fait, maintenant décédé. Il habitait rue de
la Céramique, il n’était pas des Ponts.
JPC – Vous
avez aussi une copie de la Valse à Bousta. Vous avez connu André Poutout ?
LM – On l’a
connu, on l’a connu, des Marins du Clos. Le local se situait sur le quai,
avant le café de Mérigou.
Là c’est une photo
des Enfants de la Vienne ; pour la fête, ils partaient de la Crotte de
Poule pour défiler.
Bousta, déguisé, un
jour où ils brûlaient le carnaval au plongeoir.

col. L. Meynieux
Et alors, quand il y
avait les fêtes, ils montaient des radeaux, il y avait deux radeaux de montés…
Sur les radeaux des gens venaient danser, ils faisaient du spectacle. Parce que
les gens se mettaient sur le quai et regardaient.
JR – Tout le
monde était déguisé, les bateaux étaient habillés. Je me souviens d’un au
Clos Sainte-Marie… c’était un dragon…
LM – [sur une
photo] C’est la fanfare des bigophones. Mon père
y est, je dois y être aussi. Et là [autre photo] ce sont les jeunes. C’était
des instruments en carton bouilli, bricolés… on prenait un tube de médicament
et on mettait une membrane de papier de soie, comme un papier à cigarette.


Col. L.
Meynieux
JR – Et les
concours de pêche aussi… On défilait dans les rues aussi, avec nos gaules…
à partir de la mairie.
[…] Voyez les
concours de pêche, là, on partait de la mairie en cortège et on descendait.
LM – Et une
fois arrivés en bas, on s’installait pour pêcher.

Col. L.
Meynieux
Ces associations
occupaient bien les gamins. C’est le jeudi qu’ils fonctionnaient.
JPC – Ça
veut dire que s’ils allaient dans ses associations, ils n’allaient pas
tellement à la paroisse ou ils y allaient aussi ?
JR – La
paroisse aussi, parce qu’il y avait le catéchisme…
LM – Tout le
monde n’y allait pas au catéchisme, jamais j’y suis allé moi….
JR – Il y
avait le « patro » aussi à Ste-Valérie, moi je l’ai connu, avec
Clapier.
Les paroisses avaient une grosse influence, avec des curés qui étaient des
figures de Limoges, comme Clapier à Sainte-Valérie, et puis monseigneur
Rastouil,
évêque de Limoges, qui a tenu tête un petit peu aux Allemands pendant la
guerre qui était célèbre aussi. Des fortes personnalités quoi.
JPC – Mais
parmi les ponticauds, certains boudaient l’église. Par exemple [à
l’adresse de Lucien Meynieux], vous, est-ce que vous êtes baptisés ?
LM – Oui,
mais non, non attendez ; j’ai été baptisé parce que ma femme a voulu
se marier à l’église, sinon je l’étais pas, je me suis baptisé à 21 ans !
Même encore, c’est pas parce que je suis baptisé que… vous savez le clergé…
il n’y en avait pas beaucoup de baptisés à l’époque…
LM – Le
carnaval que vous voyez actuellement n’a rien à voir avec ce qu’il était
avant.
JR – Tout le
monde faisait des chars : le Clos Sainte-Marie avait un char, les Enfants
de la Vienne avaient un char, les quartiers de Limoges aussi.
LM – Carnaval
était brûlé, au début, en bas au pont neuf. Ce n’est qu’après qu’il a
été jeté du pont.
[il montre une photo]
Voilà Poutout avec sa grosse tête en carton…

col. L.
Meynieux
JR – C’est
chez Dussagne, voilà le garage Citroën, boulevard de Fleurus. C’était les
grosses têtes spécifiques ponticauds, Marins du Clos, ça. On est dans les années
cinquante.
JPC – Et la
fanfare des Gueules Sèches ?
JR – C’était
pas ponticaud.
JPC – Mais il
y avait des ponticauds qui y jouaient ?
JR – Ah oui,
Lucien en faisait partie.
JPC – Vous en
avez fait une série de fanfares vous ?
LM – Ben non,
les bigophones, mais je compte pas les bigophones : c’est surtout
l’Harmonie et les Gueules Sèches. A l’Harmonie, je fais toujours partie des
anciens, parce qu’on se réunit, tous les deux mois.
JPC – Et vous
jouez à cette occasion ?
LM – Non,
non, on boit l’apéritif et on va au Carnot manger.
***
BC – Les
loisirs le soir après le travail, ou l’école, vous alliez vous promener en
ville ?
JR – Cinéma,
l’Union…
BC – Vous
alliez rue du Clocher ?
JR – C’était
le samedi seulement la rue du Clocher…
faire la Cloche…
LM – Moi,
j’avais deux répétitions, à l’Harmonie et aux Gueules Sèches et je
faisais les bals le samedi et le dimanche.
JR – Et puis
on était pris dans les associations aussi. Moi je faisais du foot… Mais là
c’était presque tout basé sur la natation, et le water-polo, chez
Malinvaud… Poutout, il en avait fait du water-polo, entre les piles du
Pont-Neuf…
JPC – De la
gymnastique aussi ?
JR – C’était
surtout les patros, il y avait la Martiale,
pour la gym, le CSP
issus d’un patro. Les Jeunesses Coopératives aussi…
BC – Vous
montiez à Saint-Lazare, pour la frairie des cornards ?
JR – Oui,
c’était l’une des premières frairies. On y allait danser. La première,
c’était Saint-Maurice-les-Brousses [LM – Mais on n’y allait pas], après
c’était les Cornards. Les Cornards, c’était folklorique aussi. C’était
un quartier intéressant aussi. Les Cornards, il n’en reste plus beaucoup, non
plus, à part l’ancien marchand de vin, Cornioux.
BC –
Est-ce que vous alliez au Poisson Soleil ou à la Crotte de Poule ?
LM – On y
allait, parce qu’ils faisaient la friture, et moi, comme j’étais ravageur,
quand on avait du poisson… (JR – Tout le monde braconnait, là) on allait le
vendre au Poisson Soleil… Il y avait des tonnelles au Poisson Soleil, ils
faisaient la friture et puis ceux qui voulaient manger du poisson, mangeaient du
poisson…
BC –
Vous étiez ravageur ?
LM – J’ai
encore mes filets dans mon grenier.
JR – Et les
gens pêchaient à l’épervier, avec le bateau à fond plat…
BC –
Vous pêchiez de nuit ?
LM – On pêchait
de nuit, je vais vous dire quand : quand il faisait orage, le quinze août,
alors on faisait une « battue » ça s’appelait… six ou sept
bateaux, on montait comme ça, on arrondissait… Il y en a un qui criait
« go » et puis tout le monde lançait son filet, parce qu’ils
rapprochaient le poisson au milieu…
BC –
On devait en attraper, là…
JR – Oh pas
tellement, mais certains pêcheurs étaient malins… Le père Lebeau, qui pêchait
à la mouche, la mouche de chiottes qu’on l’appelait, puisqu’il y avait
des toilettes dans les jardins… ils étaient marioles, les pêcheurs de
mouches.
LM – Mais Lebeau, il en avait toujours dans sa poche des poissons. Il pêchait à la volée,
on appelait ça, sans bouchon [JR – Il fouettait, là]. A la mouche ou à la
boube de mai [JR – C’est comme une mouche mais très allongée, c’est un
éphémère] : les boubes de mai, on les récupérait
dans les fissures des piquets à linge, on les mettait dans un tube, et l’on pêchait
avec ça…
JR – On
attrapait les ablettes avec ça, en fouettant…
BC –
Quand vous alliez pêcher à l’épervier, c’était interdit…
JR – Bien sûr,
mais c’était toléré… on faisait courir les gardes-pêche.
LM – ça été
interdit un moment parce que les deux ponts avaient été fermés… pendant la
guerre. On passait sur le Pont-Neuf, mais pas sur le pont Saint-Étienne…
Jamais on a eu droit aux gardes-pêche, mais s’il y avait eu un garde-pêche
qui venait, on savait qu’il pouvait pas traverser le pont et on les feintait
par là… mais jamais ce n’est arrivé, ça…. Mais il y avait des gardes-pêche.
BC – Et avec
la police ?
JR – Ah non,
ça n’allait pas jusque là… disons que les gardes-pêche, c’était bon
enfant, là aussi. On était plus malins qu’eux, alors…
LM – Je me
rappelle moi une fois, le Pont-Neuf était fermé bien sûr et il y avait un
banc de poissons entre le pont Saint-Étienne et le pont Neuf [JR – Des
poissons blancs] sur une longueur assez longue : y en a un qui avait lancé
une grenade pour les tuer et on avait été les ramasser après.
BC – C’est
pas très sportif comme pêche ! C’était pendant la guerre ?
JR – A une période,
ils se rassemblaient au milieu du courant, et ils étaient là, ils bougeaient
pas, mais ils y étaient sur trois ou quatre rangs, mais sur cent mètres de
long… mais alors là vous pouviez toujours balancer, ils mordaient pas… c’était
une période, avant ou après la fraie je ne sais pas.
BC – Des
ablettes et puis des gardèches ?
JR – Non les
gardèches… par contre à l’époque on pêchait les loches, ça existait
encore avant qu’elle soit polluée [la Vienne], avec un mouchoir, ou alors une
boite de conserve… Les goujons, il y en avait aussi en pagaille, qu’on
mangeait au Poisson Soleil, parce qu’ils faisaient la friture au Poisson
Soleil.
LM – Moi
j’ai pêché les écrevisses avec une fourchette au bout d’un bâton. Oui,
parce qu’il y avait une baisse d’eau dans les ruisseaux et elles étaient
descendues dans la Vienne.
JR – Vous
aviez tous ces poissons qui, après… puisque toutes ces usines déversaient…
après ça a pollué tellement que les ablettes ont disparu, les goujons ont
disparu…
BC –
Vous pêchiez aussi dans les ruisseaux ?
LM – Les écrevisses,
mais il y en avait pas tellement…
JR – Les
truites remontaient. Les grosses truites par contre remontaient frayer dans la
Valoine qui passe à Feytiat et les pêcheurs connaissaient.
… je parlais des
loches, qui étaient des petits poissons de fond, à travers les cailloux, que
l’on pêchait aussi à la fourchette, tu te rappelles ?
LM – moi je
les pêchais avec… avec des mailles, comment ça s’appelle ?
JR –
L’araignée ?
LM – Non
l’araignée, tu la mettais droite et c’était les goujons qui allaient
dedans.
C’était un grand filet avec des fils pour la tenir droite et des plombs pour
la faire tenir en bas et on la mettait l’été à côté des limons. Il
faisait environ dix mètres. On mettait ça sur un truc en bois, avec une fente
au milieu, et il y avait un poids, alors on laissait couler le bateau, qui le
traînait et puis après, il y avait un morceau de ficelle avec un bouchon, pour
quand on allait le remonter après, on commençait par la fin pour la
remonter…
BC – Pour pêcher
à l’épervier, vous montiez sur la lève du bateau. Il devait y avoir des
chutes, non ?
LM – Non,
parce qu’ils mettaient un pied pour se retenir, quand on freinait, parce
qu’on était derrière avec le conte pour pousser le bateau et au moment
qu’on arrivait, il mettait son pied pour freiner pendant que nous on freinait
derrière.
BC –
Votre épervier, c’était un filet libre, ou parfois est-ce que vous
l’accrochiez à un long bâton, à un mat ?
LM – Non,
non, l’épervier, il faut le lancer.
JR – L’épervier,
c’est un cercle, vous le voyez sur les reportages avec les africains, je ne
sais pas de quel pays. Il faut de la dextérité pour faire ça
BC – J’ai
connu des gens qui pêchent dans le Taurion en Creuse avec une autre technique.
C’était un filet carré au bout d’un grand bâton. Et ils allaient chercher
au fond, quand il y avait peu de profondeur.
JR – C’était
l’inverse, c’est comme un parapluie, le filet était rond et en descendant,
il piégeait les poissons.
BC – Il y
avait des poches et des plombs, et le poisson se prenait dans les poches.
JPC – Une
partie de ce poisson, vous le vendiez ?
LM – Moi ça
m’est arrivé d’en vendre au Bar Central.
JR – De toute
façon, le Poisson Soleil ne se fournissait que par les pêcheurs…
LM – Ils
avaient d’ailleurs un bâtiment, avec une source qui servait de vivier.
JPC – Mais
vous parliez d’un autre type de filet…
LM – Oui,
c’était une nasse pour les loches.
***
JR – Il y
avait les bateaux plats, typiquement ponticauds, avec un vivier au cul, pour
mettre le poisson, qui fait partie intégrante du bateau, comme un caisson, avec
des trous, sur lequel le pêcheur pouvait s’asseoir et un plus grand que
l’on appelait la batelle, avec deux lèves. Mais il n’y avait pas beaucoup,
une ou deux. L’hiver, ils prenaient l’eau et ils étaient sur le fond, après
ils les sortaient et ils refaisaient les joints quand ça desséchait avec du
goudron, mais bien souvent avec les inondations on les retrouvait aux écluses
les bateaux.

col. L.
Meynieux
JPC – Vous
avez alors connu Mme
Lafarge ?
LM – Même Soleil, on l’appelait
Soleil, qui tenait le Poisson Soleil, mais en réalité il travaillait chez
Lavauzelle avec mon père et mon grand-père. Et Jeammot, de la Crotte de Poule
travaillait lui aussi, je me rappelle plus où… c’était sa femme qui tenait
le café.
BC – La
Crotte de Poule comme le Poisson Soleil, c’était des patronnes, mais les
patrons travaillaient ailleurs.
….
BC – On a
interrogé un autre restaurateur, mais de Condat, chez qui les ponticauds
allaient beaucoup apparemment, André Ducher [voir
l'entretien qu'il nous a donné].
LM – C’est
un copain à moi !
JR – Le roi
de l’accordéon !
LM – Je
faisais les bals avec lui ! Il a un restaurant, sur la gauche, en
montant…
JR – Au Pré-Saint-Yrieix…
Son père était forgeron et son fils André aussi et il y avait une salle de
bal…
LM – Je crois
que j’ai joué, chez lui…
JR –
J’ai fait des chantiers avec lui. A l’époque, on lui faisait tremper les
burins, tremper les pioches, parce que ça ne marchait pas comme maintenant, on
faisait les tranchées à la main.
Il était sur la route
où les pêcheurs allaient soit à Solignac, soit sur la Briance.
***
BC –
Parmi les personnalités du quartier, qui est-ce qui vous viendrait à
l’esprit ?
JR – Poutout…
Mérigou, Dédé Mérigou. Ça c’était folklore, c’était les durs des
durs… Il fallait parler avec lui jusqu’à midi, après il y avait des
difficultés… Il travaillait chez Heyraud… C’était le meilleur client du
bistrot-épicerie…
LM – Il
servait au bar.
JR – Il
trinquait avec tout le monde. Et tous les anciens, c’était des piliers de
bar…
JPC – Mais
c’était une caractéristique du quartier ?
JR – C’était
une époque où il y avait des bistrots partout. C’était pas des alcools
durs… c’était le vin rouge, plus ou moins bon…
LM – C’était
des chopines.
JR – Ils
donnaient des fillettes on appelait, ou des demis. Puis les gens cassaient la
croûte à l’époque. Moi, je vois, j’étais dans le bâtiment et à neuf
heures, c’était le grand classique, le casse-croûte. Bon, mais les gens se
retrouvaient là aussi dans les bistrots. C’était l’âme des quartiers les
bistrots, et il y en avait partout.
BC – Les gens
s’invitaient peu chez eux…
JR – La
plupart des maisons, c’était des taudis ; où j’habitais, je pouvais
pas recevoir. On avait deux pièces, on était quatre là-dedans, pas d’eau…
on allait chercher l’eau à la borne fontaine là. Alors l’hiver, c’était
gelé ça.
BC – Comment
on faisait ?
LM – Avec des
journaux…
JR – On les
protégeait, mais des fois ça ne suffisait pas.
Et on avait notre
supermarché déjà à l’époque, à l’Union. Mais on allait souvent se dépanner
chez la Renée, madame Mérigou. Sinon, on avait les carnets avec les timbres de
l’Union. Bon moi, j’y ai eu droit parce que ma mère était veuve de guerre,
ces petits timbres la mairie en distribuait aux gens nécessiteux.
LM – Ils
livraient même le charbon, l’Union.
JR – Tout le
monde tournait au charbon, à l’époque.
LM – C’était
des chevaux, qui livraient ça.
***
JR – Nous
habitions tous dans des deux-pièces. Aujourd’hui on appellerait ça des
taudis. Le Clos Sainte-Marie est resté en l’état. A part une maison qu’ils
ont tombée, chez Picard. Là si tu touches une maison, tout s’ébouille…
C’était tout du torchis, c’était la structure en bois qui tenait la
maison. Je l’ai vu en travaillant rue André Dumont… Là tu passais d’un
grenier à l’autre, mais si jamais tu voulais toucher à quelque chose, même
si cette maison t’avais appartenue, si tu veux l’ébouiller, ça marche pas,
parce que si tu l’ébouilles, les autres aussi.
BC – La
politique, dans le quartier, ça se passait comment ?
JR – Déjà
le maire de Limoges de l’époque, le petit Léon là, y était toujours fourré.
LM – Ah ben, il était
d’en bas, Betoulle, et il descendait se promener, moi je me rappelle, parce
que j’ai travaillé à la ville et il avait une Ford à cette époque là,
comme voiture, et après quand Guingouin est venu, il avait acheté une
traction, quand il a été maire de Limoges, la Quinze et quand Betoulle est
revenu, y avait les deux voitures, la Ford et la Quinze.
BC – Il a dû
y avoir des accrochages entre les partisans de Betoulle et ceux de Guingouin,
non ?
JR – et LM
– Non.
BC – S’il
était soutenu par les ponticauds au début, après la guerre…
JR – Mais il
faisait partie du crû, lui. Il était né dans le Puy Lanaud là, dans le
Sablard. Le petit Léon.
BC – Les
ponticauds l’aimaient bien.
JR – Je vais
te dire, dans le secteur avec toutes les usines, il y avait beaucoup de
communistes…
BC – Entre
socialistes et communistes, vous l’avez observé qu’il y avait beaucoup de
frictions ?
JR – Ah non,
non non, pas du tout. Comme il y avait beaucoup d’usines, beaucoup de gens qui
travaillaient en usine, généralement ils étaient syndiqués [LM – La
CGT a été créée à Limoges, en 95]. Enfin, il n’y jamais eu de frictions
particulières. De toute façon, c’était la gauche, pas telle qu’on la conçoit
maintenant, surtout pas d’ailleurs…
Ce qui a longtemps
fonctionné, c’est le corporatisme, avec les usines de porcelaine…
JPC – Et la résistance
dans les Ponts ?
JR – Il y a
eu des résistants. Toujours pareil, les résistants étaient plutôt
discrets… moi j’étais gamin…
LM – Il
s’agissait pas de claironner… il y avait la gestapo !
JR – Quand on
passait les ponts, il y avait ces petites guitounes là, au pont Saint-Étienne,
des trucs en béton là, et au pont Neuf c’était pareil.
LM – Et il était
fermé, y avait que le pont Neuf, y avait les GMR
et ils avaient monté des trucs en quinconces et puis il n’y avait pas les
voitures qu’il y a maintenant.
JR – Beaucoup
de voitures étaient hippomobiles. Les personnes qui amenaient du lait, des légumes….
BC –
Vous vous souvenez de quels marchands ambulants, qui passaient dans le
quartier ?
JR – Il y
avait les laitières déjà, avec un cheval.
BC – Elles
venaient d’où ?
JR – De
Panazol ou Feytiat même. Il y avait ma tante qui faisait le marché… Les
Clavaud, qui venaient de Soudanas. Ils avaient déjà à l’époque un grand
cheptel de laitières et fournissaient tout le secteur.
LM – Clavaud,
c’était le père Dominici, avec ses grandes moustaches, je le revois encore,
quand il venait vendre son lait.
BC – Landouge ?
JR – Non,
Landouge livrait l’ouest de Limoges.
BC – Les
ramasseurs de peaux, les chiffonniers ?
LM – Ils
criaient quand ils passaient.
JR – [Il
imite l’appel] « peaux de lapins, peaux… ». Et leur voix portait
hé !
LM –
Lorsqu’on tuait un lapin, on y mettait un bâton, à l’intérieur, pour
tendre la peau.
JR – Et on les portait à la peausserie,
même chez Duboys en bas probablement, puisqu’il y avait des tanneries à
l’époque et des chapeliers ; tout le monde portait des chapeaux.
JR – Et où
j’habitais, y avait aussi une triperie, mais c’est venu après, là où
habitait la Lili, la lavandière. Elle y est encore d’ailleurs, mais ça a
changé souvent de propriétaire, en montant sur la gauche la rue Traversière.
Ils cuisaient et vendaient aux halles.
BC – Il y
avait d’autres commerces ? Porcelaine déclassée… vous en avez connu
qui venaient vendre ?
LM – Oui avec un âne,
elle venait du Masgoulet.
JR – Il y
avait aussi les éboueurs, qui ne ramassaient que la cendre et les choses comme
ça. J’ai connu, moi, en face, où il y a les grands arbres, entre le pont
Saint-Étienne et le Pont-Neuf, ils vidaient les cendres là, carrément sur la
pente. Au printemps, avec mes sœurs, on allait ramasser des violettes et on
faisait des petits bouquets qu’on vendait aussi. Il y avait des violettes dans
la cendre. Le plastic n’existait pas. C’est vers les années soixante que le
plastic a commencé de fleurir…
LM – Les
ponticauds s’enterrait à Louyat aussi. Mais attention : dans le vieux
cimetière.
JR – C’était
folklorique aussi les enterrements, avec les chevaux, les catafalques tout
habillés de noir. Sur les façades, des grands draps… et on montait
jusqu’en haut à pied.
LM – Du
reste, c’est pour l’enterrement de ma grand-mère, en 55, ç’a été la
fin de monter à pied. Après ç’a été les voitures électriques.
JR – Mais mêmes
les voitures électriques allaient à allure d’homme.
JPC
– Il fallait alors une heure, une heure et demi pour monter là haut ?
JR – Ah oui,
ça n’allait pas vite. Tu partais déjà du lieu du décès – mettons le
Clos Sainte-Marie – t’allais à Sainte-Valérie, et direction Louyat.
LM – Je pense
que la grosse pierre sur le pont Saint-Étienne, qui était à droite et qui est
à gauche maintenant servait à déposer les cercueils.
C’était les
menuisiers qui faisaient les cercueils, avant que la ville ait son dépôt.
JR – beaucoup
de gens prenaient le tramway départemental pour aller pêcher, qui montait à
Feytiat, ou ailleurs… à Aixe-sur-Vienne, beaucoup de pêcheurs allaient au
Pont de la Gabie sur la Vienne.
LM – Et il y
avait la gare départementale en montant sur Landouge.
JPC – Donc
les ponticauds sortaient de leur quartier le dimanche pour…
JR – C’était
pas des sauvages quand même ! Mais ils étaient bien entre eux. La façon
de vivre des ponticauds n’avait rien à voir avec ceux qu’on appelait les
vilauds, nous. Tu te rappelles, on les appelait les vilauds. Quand vous
passiez le pont Neuf, que vous montiez, vous étiez un vilaud.
JPC
– En quoi c’était tellement différent ?
JR – Déjà
la mentalité n’était pas la même, parce que c’était le vrai
quartier qui, à la limite, aurait même pu vivre en autarcie. Et que ce soit de
ce côté ou de l’autre côté, au Port du Naveix, c’était la même
chose… c’était de vrais quartiers
et même entre gamins ça chauffait parfois quand on dépassait les… les
lance-pierres fonctionnaient aussi.
LM – Chez Nadalon, il y avait un moulin, qui tournait par le goulet
avec l’écluse, qui lui fournissait l’électricité.
La Bourrée des ponticauds, paroles et musique de Marcel Delassis.
Copyrignt 1993 by L.E.P.M.I. France, Paris. Service de distribution :
Limoges-édition, 37220 Feytiat. Au-dessus
de la partition, il est écrit : « En toute amitié à mes
anciens musiciens : Marcel Bournazeaud, Guy Charoucaud, Albert Chaceix,
René Léonard et Lucien Meynieux ». Pour le texte voir la page où
nous reproduisons la partition.
L’abbé Benoît Clapier, de Solignac, nommé curé de Sainte-Valérie en
1923.
Louis Paul Rastouil, évêque de Limoges entre 1938 et 1966.
La promenade rituelle de la rue du Clocher
Club de gymnastique de la paroisse du Sacré-Cœur, qui fut aussi un club de
basket.
Centre Saint-Pierre (de la paroisse de Saint-Pierre). Des éléments
d’histoire sur ces deux clubs dans Pascal Plas, « Le basket et les
patronages à Limoges », in F. Archambault, L. Artiaga, J.-Y. Frey, L’aventure des grands hommes. Études sur l’histoire du Basket Ball,
Limoges, PULIM, 2003, p. 111-128.
L'araignée est un filet plat, composé
d'une seule nappe. Le poisson pénètre dans les mailles du filet et se
trouve retenu par les ouïes.
Groupe Mobile de Réserve. Police de Vichy pendant l’occupation.
Jean Roche nous précise que les éboueurs aussi possédaient des voitures
électriques.