Mme Gabrielle Mignot est née le 19 décembre
1914, sur la rive droite de la Vienne, 6 bd des Petits Carmes, près du Port
du Naveix à Limoges, où habitait sa grand-mère maternelle, blanchisseuse.
Par la suite, elle a toujours vécu dans le quartier du pont Saint-Étienne,
rive gauche. Au moment de sa naissance son père, Gabriel Nardot, fils
d’un sabotier, était mobilisé par la grande guerre. C’est pourquoi
d’ailleurs elle en porte le prénom. Lui-même était né dans le quartier
du Viraclaud, très pauvre à l’époque. La maison, qu’elle habite
aujourd’hui encore, fut achetée en 1906 par son grand-père paternel
décédé en 1911. Elle a en revanche connu sa grand-mère maternelle.
Surnommée Gabie, Mme Mignot garde la
mémoire de la langue d’oc qu’elle n’a jamais parlée mais qu’elle a
entendue durant une longue période de sa vie dans la bouche des Ponticauds
plus âgés. Elle a conduit toute sa carrière professionnelle à EDF, de
1933 jusqu’à 1970, comme secrétaire de direction, place de la Poste,
puis rue Jean Jaurès. Elle fait partie de ceux qui en 1975 ont créé l’Association
de Défense des Quartiers Anciens, à une époque où tous ces quartiers
étaient menacés de destruction.
Gabrielle Mignot pose quelques limites au
quartier dans lequel elle vit. Elle n’oppose pas géographiquement la
“rive droite” à la “rive gauche”. Le quartier s’étend selon elle
jusqu’à la rue Saint-Affre, rive droite, et au bas du boulevard
Saint-Maurice. Rive gauche, elle exclut l’ancien village du Puy-Lanaud
situé au-dessus du clos Sainte-Marie, alors que l’on s’éloigne un peu
de la Vienne : « Les habitants du Puy-Lanaud n’ont jamais été
ponticauds ; ils travaillaient dans la chaussure, passaient par le
Pont-Neuf et ne venaient jamais ici. Peut-être fréquentaient-ils quelques
commerces, mais ils se servaient plutôt au Pont-Neuf et surtout ils ne
menaient pas la vie des ponts ». Cette vie, nous dit-elle, « était
celles d’ouvriers qui travaillaient dans les usines à chaussures et
surtout de porcelaine. Certains d’entre eux pêchaient la nuit pour
compléter leur gain, car ils ne gagnaient pas gros, et qui souvent
faisaient comme mon grand-père : travaillant dans les fours et allant
pêcher la nuit, il attrapa une broncho-pneumonie et mourut à 40 ans, en
laissant cinq enfants ». Les habitants des quartiers du pont
Saint-Martial étaient considérés comme des étrangers par ceux du pont
Saint-Étienne : « On ne frayait pas ensemble ». Mme Mignot
dit avoir entendu le terme « l’Arabie » pour désigner le
quartier, mais ignore toutefois à quoi cela correspond, pas plus qu’elle
ne connaît la chanson du même nom.
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Le quartier n’était pas la ville, mais
n’était pas la campagne non plus : les ponticauds n’étaient ni
villauds, ni bicanards.
Une distinction s’opère entre les
habitants de la rive droite et ceux de la rive gauche : « Les
gens de la rive droite nous appelaient de ce côté-ci ‘les bourgeois’,
car il y avait des gens qui travaillaient à la mairie, à la préfecture,
des commerçants, dont l’un tenait une boutique rue Haute-Vienne, qui
vendait des produits pour les chevaux, les animaux, mon père qui avait une
usine de fabrication de formes pour chaussures (il avait appris, par les
cours du soir le modelage pour la porcelaine, et avait appliqué son savoir
faire à la chaussure)... Nous étions des bourgeois par rapport à eux, qui
ne travaillaient que dans les usines… la rive droite était plus
communiste, plus révolutionnaire, que ce côté-ci, plus proche de la
municipalité, plus socialiste. Léon Betoulle, l’ancien maire, s’était
élevé au Sablard. Il venait près des bateaux plats, tout le monde
l’appelait ‘Léon’, il était ici chez lui, alors que Louis Goujaud,
qui aurait dû être maire de Limoges, s’il n’y avait pas eu
d’entourloupette, était de l’autre côté ».
Mme Mignot a fréquenté
l’école du Pont-Neuf ; les petits ponticauds « de l’autre
côté » allaient à l’école Saint-Maurice, qui avait moins bonne
réputation que celle du Pont-Neuf : « nous pensions qu’ils
étaient moins évolués que nous » Concernant la génération de ses
grands parents, Mme Mignot nous dit que ceux de la rive gauche savaient à
peu près lire, alors que ceux de la rive droite étaient généralement
illettrés : c’était le cas de sa grand-mère blanchisseuse, née en
1857, et de ses amies. Elle se souvient encore avec le sourire de l’Hymne
à l’École laïque que l’on chantait tous les ans pour les
prix : « Honneur et gloire à l’École Laïque, où nous
avons appris à penser librement… ».
Les Ponticauds avaient mauvaise réputation.
Les Limougeauds les tenaient pour “vulgaires” voire “grossiers”.
Madame Mignot souligne qu’ils n’étaient pas pour autant des
« voyous » et que ces jugements prenaient leur source dans les
comportements et le franc-parler des habitants longtemps considérés comme
atypiques ou marginaux.
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Le dicton : « Tu ses daus
ponts ? Passa !/ De la vila ? Dins l’aiga ! »
a beaucoup contribué à la réputation du quartier, car, nous dit Mme
Mignot, les gens l’ont pris au pied de la lettre, alors qu’il n’y a
jamais, oh grand jamais, été pratiqué.
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« Les ponticauds n’étaient pas des
voyous, mais ils étaient… disons vulgaires. Ils avaient la voix haute,
les mots grossiers faciles ». Ce n’était pas du tout un quartier
marqué par la délinquance, mais « il faisait peur, parce que les
gens s’interpellaient de loin, très fort, avec de grands gestes ;
C’était une façon de parler, de se comporter… ». Mais les ponts
étaient ainsi considérés comme un mauvais quartier. Par exemple, son
grand père paternel, qui habitait rue Porte-Panet, mais était issu du
quartier misérable et mal famé du Viraclaud, fut très contrarié lorsque
son fils épousa une fille de blanchisseuse des bords de Vienne. Mme Mignot
raconte, qu’à son travail, un représentant de chez Alstom qui n’était
pas de Limoges lui avait dit qu’il visitait chacun des quartiers de la
ville lors de son temps libre, sauf un quartier qu’on lui avait vivement
déconseillé : le quartier des Ponts. N’importe qui dans Limoges
aurait dit la même chose. « Je lui ai dit : vous en avez un
échantillon devant vous : j’y suis née, j’y vis et je voudrais
bien y mourir ». Elle se souvient qu’au début de sa retraite, dans
les années 70, elle a entendu d’autres anciennes employées de l’EDF
qui disaient n’avoir jamais voulu mettre les pieds dans le quartier.
« Aujourd’hui c’est devenu le quartier chic où l’on veut
acheter ou louer ».
Gabrielle Mignot évoque aussi quelques
personnages notoires dont elle se souvient plus précisément. Elle évoque
par exemple une étameuse, la Peillaraude de Suzanne Dumas (voir le
témoignage de celle-ci), les “blanchisseuses” : la Bélou (en
graphie occitane normalisée : Belon), la Lilie, etc. (voir infra).
Ils étaient peu nombreux. Mme Mignot
se souvient, pendant la guerre, d’une famille polonaise ; une fille
s’est mariée avec un gars du quartier, mais il sont repartis… Il n’y
a pas eu d’Italiens, ni d’Espagnols près de chez elle… Par contre il
est venu beaucoup de Portugais, beaucoup plus tard.
Des gitans campaient au-delà du port du
Naveix, vers le Palais, mais le quartier n’avait que très peu de
relations avec eux.
Pour Mme Mignot, le quartier « était
un village », caractérisé par « la solidarité » :
« tout le monde aidait tout le monde ». Lorsqu’il arrivait un
« pépin », vous alliez à côté et l’on vous aidait, et sans
aucun échange d’argent « comme tout à l’heure » ; de toute façon
personne n’avait de quoi. Par exemple son père, dans sa petite usine,
sciait le bois de chauffage des voisins le samedi et le dimanche,
gratuitement. Les gens achetaient en effet leur bois avec les bénéfices de
l’Union, mais il fallait le recouper. « Mon père aurait été
déshonoré de prendre quelque chose pour ce service ». Les gens
venaient aussi gratuitement lui chercher de la sciure, dont les
blanchisseuses se servaient pour faire chauffer leurs lessiveuses. Quand une
femme accouchait, une voisine faisait la cuisine du mari et des enfants,
l’autre lavait le linge, etc. L’échange des services était
généralisé. Mme Mignot regrette très fortement cette convivialité de
tous les instants et déplore le fait que les nouveaux habitants, pour la
plupart ne se saluent même pas. Elle évoque son vieil ami Roger, lui
disant : « Il est mort notre quartier ». Chaque maison
comptait dans leur jeunesse entre 19 et 25 personnes alors
qu’aujourd’hui il sont 2 ou 4 maximum… « Cela faisait une
ruche ».
Les seules personnes qui avaient à souffrir
d'un certain ostracisme social étaient peut-être les filles mères, dont
la condition était mal acceptée. Elle se souvient de deux cas dans le
quartier, deux ouvrières dont la vie fut particulièrement difficile.
L'une, qui habitait tout près de la Vienne, avait à charge sa mère
âgée, son père grabataire et deux enfants : elle travaillait en usine et
aidait une blanchisseuse qui en retour l'assistait, mais, précisément,
elle ne recevait le soutien que d'une seule famille.
Les personnes qui ont le plus marqué
l’histoire du quartier sont sans doute les « blanchisseuses »,
terme alors de rigueur pour désigner les lavandières. « Je n’ai
jamais entendu le terme lavandière dans mon enfance » nous dit Mme
Mignot. Elles portaient des surnoms ou diminutifs par lesquels on les
connaissait presque exclusivement, car le plus souvent on ignorait leurs
noms de famille. Il y avait la Poule, la Lilie, la Mignonne, la Pite, la
grande Jeanne, la Bélou, la grande Léonie... « Ma mère a voulu
m’empêcher d’appeler la Bélou, « Bélou », mais
« Mme Gorce », cependant la blanchisseuse refusa en
disant : « Dans le quartier je suis la Bélou pour tout le
monde ». Elles faisaient bouillir leur linge dans les buanderies (les
« conches ») qui se trouvaient dans les cours et lavaient dans
la Vienne. Elles avaient chacune son « étendard » (étendoir)
le long de la Vienne pour suspendre le linge, que l’on ne pouvait utiliser
sans demander l’autorisation. Elles se coiffaient d’une cravate ou bien
d’un vieux chapeau. Elles étaient aussi connues pour leur franc-parler.
Les blanchisseuses de la rive droite semblaient néanmoins plus retenues,
plus contenues ; par exemple, Mme Mignot nous dit qu’elle n’a
jamais entendu de grossièreté dans la bouche de sa grand-mère qui vivait
rive droite et lavait le long de l’usine électrique « pas même en
patois » ! La verdeur du langage semblait donc une spécificité
des blanchisseuses du Clos…

laveuses du Clos Sainte-Marie
coll. J.-P. Della Giacomo
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Les blanchisseuses que Mme Mignot a connues
n’étaient pas des campagnardes installées à la ville, mais toutes
étaient nées dans le quartier. Dans l’arbre généalogique de sa
famille, du côté de sa grand mère se succèdent cinq générations de
blanchisseuses, ayant toutes vécu dans le quartier des ponts (rue du Pont
Saint-Etienne, rue du Rajat, rue du Masgoulet, etc.). Ce n’est que lorsque
les blanchisseuses ont disparu que les gens de la campagne ont acheté des
maisons.
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Bien qu’illettrées les blanchisseuses
savaient très bien compter, car elles devaient compter leur linge pour
leurs clientes. Mme Mignot se souvient que, petite fille, dans sa première
année d’école, sa grand-mère lui demanda de lui apprendre à signer,
car elle recevait des mandats de sa fille installée en Tunisie et elle
avait honte de montrer à la poste qu’elle ne savait pas signer. Mais
l’enfant, par une réaction puérile, refusa de lui apprendre.
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Madame Mignot se souvient d’un
ami d’enfance qui était monté sur un bateau à fond plat près d’une
blanchisseuse, laquelle lui avait dit : « Pita vacha, davala de
queu bateu ! »,
ce qui ne l’avait pas peu impressionné, car il n’était pas
habitué à ce langage. Entre elles, lorsqu’elles se disputaient, elle se
disaient : « Barra ta gueula ! Barra ta gueula tu
me fa…» Selon elle, les blanchisseuses n’étaient pas pour autant
grossières : « Elles n’étaient pas injurieuses, mais avaient
leur franc-parler ; elles se disputaient et traitaient de tous les
noms, mais c’était amical. Les gens qui les entendaient ne pouvaient
l’apprécier, parce qu’ils ne pouvaient prendre les choses dans le même
sens. Mais il n’aurait pas fallu que vous alliez deux minutes après en
critiquer l’une ou l’autre, sinon vous vous seriez fait sortir. Elles
avaient une mentalité tout à fait spéciale ». Elles ne parlaient
que l’occitan, mais savaient parler parfaitement le français pour traiter
avec leurs clients, qu’elles appelaient leurs « pratiques »),
car elles allaient livrer dans tous les coins de la ville. Elles disaient
par exemple : « Je vais chez mon bijoutier », etc.
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Il y a toujours eu des gens qui passaient,
l’été, des touristes qui s’arrêtaient pour voir laver les
blanchisseuses, car le spectacle de ces femmes alignées n’était pas
commun, c’était spécial et beau à voir : ils s’arrêtaient pour
les regarder et elles s’interpellaient en patois, pour dire « Veses,
ils nous regardent comme des bêtes curieuses », etc.
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Du fait de l’activité des blanchisseuses,
les bords de Vienne étaient une pente douce sableuse et herbeuse qui
descendait jusqu’à l’eau.
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Au moment des enterrements, comme les
blanchisseuses n’avaient pas de chapeaux valables, car elles travaillent
avec de vieux couvre-chefs de feutre sans forme ni couleurs, elles
empruntaient leurs chapeaux aux personnes qui en avaient, comme la mère de
Mme Mignot. On prêtait donc les chapeaux pour les enterrements.
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La Vienne gelait assez souvent. Son père lui
racontait avoir vu, au tout début du siècle, des tables installées sur la
glace de la Vienne, où l’on servait des boissons chaudes, au pont
Saint-Etienne, rive droite. Mais même lorsque la Vienne n’était gelée
qu’au tiers ou au quart de sa largeur, il fallait que les blanchisseuses
cassent la glace. Elles dessinaient un cercle Devant le « bachou »,
et brisaient la glace avec un pic et lavaient dans cet espace ainsi
dégagé. Elles venaient avec des seaux d’eau bouillantes qu’elles
installaient près du « bachou », et quand elles avaient
l’onglet, elles trempaient leurs mains dans l’eau chaude, qui se
refroidissait d’ailleurs bien vite.
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Elles faisaient bouillir leur linge dans des
« conches » (grandes lessiveuses en fonte) sur un feu de bois et
utilisaient de la soude pour laver. Mais les femmes qui n’étaient pas
blanchisseuses faisaient leur lessive et leur soupe sur des bidons remplis
de sciure bien tassée avec des bâtons que l’on retirait pour faire
cheminée, et le feu, avec la sciure, durait des heures et des heures. Les
casseroles étaient posées sur des tringles métalliques installées sur
ces bidons. Si l’on voulait un feu qui ne dure pas longtemps, on utilisait
des copeaux, sinon on prenait de la sciure fine, et même au besoin, on
mouillait la sciure, dans la cuisinière, pour que le feu dure toute une
journée par exemple, ce qui était bien pratique pour les ouvrières.
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Anecdotes : Le cerisier et le geai de la
Lilie. La Lilie était une blanchisseuse, qui habitait tout près au clos
Sainte-Marie, là où se trouve aujourd’hui un tripier. Elle dit un jour
à la Bélou « Mon cerier ò es a maternità » - « ‘quò
se ditz pas a maternità, se ditz a maturità », lui
rétorqua la Bélou - « E ! qu’es la mesma chausa ! ».
Dans le fond, conclut Mme Mignot, « c’est vrai, c’est la même
chose ».
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La Lilie avait un geai, qui était en liberté
dans le cerisier devant la maison. Comme la coutume était de
s’interpeller à distance, le geai avait appris des mots. Il criait ce
qu’il avait entendu dire bien souvent : « Lilie ! »,
laquelle sortait par la fenêtre et demandait « Qu’es
‘quò ? » et voyant le geai disait « Qu’es te
chin de mau ! ».
De même, les ouvriers qui travaillaient dans l’entreprise de Mr Nardot avaient élevé une pie qui circulait aussi librement et entrait dans la
cuisine de la maison.
Parmi les ouvriers, on distinguait ceux qui
travaillaient dans la chaussure et dans la porcelaine. Quatre usines de
porcelaine occupaient les bords de Vienne, du côté de la rive droite.
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Mme Mignot se souvient également de
tisserandes avenue du Sablard, qui travaillaient dans des entresols.
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Tout le monde travaillait, et les femmes
aussi, dans les usines de porcelaine. C’était le cas, le plus souvent,
des filles des blanchisseuses.
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Les ouvriers avaient l’habitude de se
déplacer à pied ; par exemple l’un des ouvriers du père de Mme
Mignot venait à pied depuis la cité Beaublanc qui venait d’être
construite et faisait 4 fois le trajet par jour. Les gens qui travaillaient
chez Haviland, y allaient aussi à pied. Du fait de toutes les usines en
bord de Vienne, le pont Saint-Etienne à midi était noir de monde
« à marcher sur les têtes ! ». Ceux qui venaient des
usines à chaussures, de chez Heyraud, etc. descendaient et rencontraient
les porcelainiers qui venaient du port du Naveix… Mme Mignot se souvient
qu’avant d’être à son compte, son père allait travailler à pied en
ville et sa chatte allait l’attendre au retour au bout du pont
Saint-Etienne, sur le parapet et parmi tout ce monde, qui s’arrêtait
parfois pour la caresser.
De nombreux commerces étaient installés
dans la rue Henri Dumont, qui s’appelait alors rue du Clos Sainte-Marie
(la rue prit le nom de Henri Dumont, conseiller municipal, à la mort de
celui-ci, parce qu’il habitait la rue). Boucheries, épiceries (qui
faisaient aussi parfois bistrot) – « cinq bouchers et autant
d’épiciers » nous dit Mme Mignot, « et tout le monde
travaillait »), des bistrots avaient pignon sur rue. Il y avait un
vendeur de fruits et légumes, un autre d’œufs et de lapins… La
succursale de l’Union Coopérative, au bout de la rue, travaillait
beaucoup également. Tout le monde y allait, car ils donnaient dix pour cent
de bénéfices sur l’ensemble des achats et à la fin de l’année les
gens faisaient leur provision de charbon avec leurs bénéfices ou
achetaient du linge, au très grand magasin du bas de l’avenue Émile Labussière : c’est par ce moyen que la mère de Mme Mignot fit le
trousseau de sa fille. Ils vendaient aussi un pain excellent, le meilleur
que Mme Mignot ait jamais mangé.
Le café de la Coop – un mélange qu’ils faisaient eux-mêmes – était
aussi très réputé. Les boulangers
étaient nombreux, surtout au Pont-Neuf, mais il y avait aussi Cantillon,
juste avant le tournant du Puy-Lanaud, et un autre au bas de la rue du pont Saint-Étienne, dans la dernière maison à gauche, qui s’appelait
Chopinaud. Chaque semaine, le mercredi ou le jeudi, il faisait cuire les
plats de pommes de terre au four, avec le rôti de porc au milieu. Les
femmes, en allant travailler dans les usines le matin, déposaient leur
plat, et quand elles sortaient à midi, elles venaient le récupérer,
recouvert d’un torchon blanc. On avait ainsi tout à portée de la main,
ce qui, nous dit Mme Mignot, manque cruellement aujourd’hui à une
personne âgée comme elle.
Rue du pont Saint-Etienne se trouvait une
épicerie sur laquelle on pouvait lire en lettres rouges : Ici l'irascible
chemineau. Le patron, un certain Flotte, originaire de Carmaux, avait
créé ce commerce après avoir été licencié des chemins de fer pour ses
activités syndicales et avait créé ce commerce.
Des marchands ambulants venaient à passer.
Madame Mignot se souvient un peu du caïfa mais davantage des peillarauds,
pour lequel on gardait les peaux de lapin, des laitières (qui portaient
aussi de la crème, des œufs et des légumes) et d’une étameuse. Une
laitière nommée Mariette passait avec son gros bidon et sa carriole à
deux roues tirée par un cheval. Les laitières, qui venaient pour la
plupart de Panazol, arrivaient tous les jours à heure fixe et on les
guettaient : elles descendaient du Sablard et elles étaient parfois
démunies en arrivant au pont Saint-Étienne. Leur lait, très crémeux,
était d’une qualité formidable. On allait le chercher avec de simples
casseroles en aluminite blanche.
Madame Mignot nous parle aussi de la pêche
de nuit, qui déclinait déjà dans son enfance, alors que du temps de son
père, les hommes qui travaillaient dans la porcelaine pêchaient la nuit.
La journée, les femmes allaient vendre le poisson en ville (goujons,
ablettes…) à des restaurants, qui le leur prenaient toujours, pour la
friture. Cela leur faisait un complément… Il arrivait qu’ils tombent
malades à cause de l’humidité, et même qu’ils meurent des suites
d’une broncho-pneumonie, comme le grand-père de Mme Mignot,
malgré les précautions qu’ils prenaient : en particulier, ils
s’attachaient un mouchoir blanc autour du cou, comme on peut d’ailleurs
le voir sur certaines cartes postales. Les gardes-pêche les surveillaient,
mais ils leur échappaient en traversant la rivière en quelques coups de conte (les longues perches utilisées sur les bateaux plats).
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La pêche au goujon se pratiquait à l’aide
d’un bonnet tricoté, de mailles fines, plombé, de la grandeur d’une
table que l’on tenait au bout avec une ficelle. On le laissait tomber au
fond de l’eau. Avec une pique au bout d’un long manche, les pêcheurs
grattaient les pierres très fortement, et les goujons qui fuyaient de sous
les pierres, venaient se prendre dans le filet.
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Dans la « battue », une douzaine
de bateaux plats formaient un cercle, ils tenaient chacun leur épervier et,
au signal, le jetaient tous en même temps. Ainsi tout le poisson, qui se
trouvait dans le cercle, était pris.
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Le coulage des bateaux
Quand on annonçait une crûe – on
utilisait des piquets pour évaluer sa vitesse et son importance – les
pêcheurs coulaient les bateaux plats, en les maintenant attachés, pour
qu’ils restent au fond de l’eau et ne se fassent pas emporter. Si la crue devait être trop forte, ils les sortaient carrément sur la route.
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Le Ramassage du sable
On ramassait le sable avec des bateaux plats
et on l’apportait au port du Naveix où les entrepreneurs de bâtiments
venaient le chercher. Les bateaux étaient remplis à raz bord, et ils
dépassaient à peine de quelques centimètres le niveau de l’eau.
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Traversée de la Vienne
Le dimanche il y avait un service de
traversée de la Vienne entre Vitra – où se trouve aujourd’hui la
Guinguette – et le Poisson Soleil. Mme Mignot fait d’ailleurs remarquer
qu’il n’existe aujourd’hui aucune possibilité de traverser la Vienne
à cet endroit et elle n’a pas manqué de faire part à la municipalité
de sa suggestion de création d’une passerelle pour piétons.
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Baignade
Les gens de la ville qui voulaient apprendre
à nager allaient au Poisson Soleil, il y avait des bateaux qui traversaient
entre la Crotte de Poule et le Poisson Soleil.
Les enfants apprenaient à nager dès
qu’ils étaient tout-petits, garçons et filles, habillés. Même les
blanchisseuses se baignaient, mais avec leurs jupons.
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Anecdote de l’omelette à la Crotte de Poule
Le père de Mme Mignot lui a raconté que,
dans cette auberge, se trouvait, sur une table, un grand panier plein d’œufs.
Certains clients commandait des omelettes de six œufs par exemple. Pendant
que la patronne vaquait à son service, les clients prenaient eux-mêmes
huit ou dix, voire même douze œufs, alors qu’ils n’en avaient
commandé que six et ils prenaient une fourchette pour battre les œufs, ce
que la propriétaire appréciait beaucoup : ils lui disaient en
patois : « sieis uòus ben batuts ne’n valen dotze » !
Les appartements étaient de deux pièces et
les enfants dormaient donc partie dans la cuisine, partie dans la chambre
des parents. Mme Mignot se souvient qu’à l’école du Pont-neuf, où il
y avait huit classes de trente et un élèves chacune, deux seulement
avaient une salle à manger, dont tout le monde parlait. Les parents de
l’une d’entre elles avaient fait construire une maison rue de Fontbonne
sous la loi Loucheur, qui prévoyait une cuisine, une salle à manger et en
général deux chambres. Le père d’une autre élève était directeur des
Salaisons Limousines, route de Toulouse. Ils avaient même, paraît-il, un
salon. La première fois que Mme Mignot entra dans un salon, c’était
celui de la directrice de l’école du Pont-neuf, lorsqu’elle avait douze
ans, et elle en fut extrêmement impressionnée. Elle-même, alors que son
père avait pourtant une petite entreprise, vivait dans un appartement de
deux pièces et elle couchait dans la cuisine.
L’école du Pont-neuf était fréquentée
par des enfants des ponts mais aussi de la campagne proche de Limoges.
Certains venaient à l’école de loin : Mme Mignot avait des
camarades qui venaient du Mas Gauthier, et dont la mère était
laitière : en venant livrer le lait, elle les déposait à l’école.
Une autre était de Laugerie, près de Feytiat et elle laissait aussi ses
enfants au Pont-Neuf… Venait également tout Saint-Lazare, qui était
déjà assez peuplé. Il y avait aussi l' école religieuse,
Sainte-Valérie, mais où n’allaient que des gens d’Eugène Varlin et du
Puy-Lanaud. Selon Mme Mignot, l’école du Pont-Neuf obtenait
d’excellents résultats au certificat d’études (28 reçus sur 30
environs), ce qui n’était certainement pas le cas, précise-t-elle, à
Sainte-Valérie. Les gens du Pont-Neuf faisaient des gorges chaudes de ces
différences de niveaux.
Le soir, les femmes – blanchisseuses et
ouvrières – descendaient
pour manger et faisaient un cercle en bas de la rue avec leur bol de soupe
dans le creux de leur main et leurs chaises ; aucune automobile ne
passant dans la rue. Le repas était très animé, on blaguait, riait,
chantait et l’on s’interpellait en patois d’un cercle à l’autre,
car il y en avait tout le long de la rue. Elles se racontaient des histoires
vécues, survenues par exemple dans la journée en allant livrer le linge,
mais non des contes ou des légendes. Il n’y avait pas de caste de
blanchisseuses, mais toute la population se mêlait pour toutes les
activités.
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Le mari de la Bélou travaillait comme simple
ouvrier dans la chaussure, elle l’appelait « Mon costaud ». Il
allait travailler avec un veston en alpaga et un très beau chapeau noir
bordé, des pantalons à rayures : « Il est élégant mon
costaud… » La Bélou, ne l’était certes pas autant… Il faut
préciser qu’à cette époque les peintres en porcelaine allaient
travailler en chapeau melon, avec le nœud-papillon.
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Pour nous aider à nous représenter ce
qu’était la serviabilité dans le quartier, Mme Mignot prend deux
exemples : la Bélou venait tous les jours à 7h du matin chez Mme
Mignot, avec sa serviette nid d’abeilles sur ses épaules, pour se faire
coiffer par sa mère ; elle lui refaisait le chignon, de manière à
être présentable pour ses livraisons de linge. La Lili venait aussi tous
les jours s’asseoir pour lire le journal, à heure fixe (à 2 heures),
pendant une demi-heure… car elle n’achetait pas le journal (cela
représentait une somme). Elle savait donc lire, comme toutes les
blanchisseuses de la rive gauche à cette époque (nous sommes donc dans les
années 20), à quelques exception près.
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Les blanchisseuses sont toutes mortes chez
elles, car les voisins les prenaient en charge et les soignaient. Il n’y
avait pas de Sécurité Sociale, mais seulement une « Aide
Sociale ». Le médecin venait et marquait sa visite sur un carnet et
cela allait à un Service Social qui faisait souvent des difficultés pour
rembourser. C’était la même chose pour la pharmacie. La mère de Mme
Mignot a soigné jusqu’à sa mort une personne seule, qui s’appelait Mme
Dauvergne. Cette dame, qui habitait une seule pièce, ne se soignait que par
les plantes, qu’elle allait cueillir, chaque année, au-dessus de Soudanas.
Mais parvenue à un âge avancé, elle contracta une grave maladie ; sa
fille, qui habitait au port du Naveix ne pouvait lui administrer les soins
parce qu’elle travaillait dans une usine de porcelaine, et ce fut donc
cette voisine qui s’en occupa. « Tout le monde était là pour
tout ».
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Mme Mignot se souvient d’une dame âgée,
qu’on appelait la mère Ziya, la mère d’un journaliste du Populaire
du centre à l’époque. Lui, habitait une maison au bout du pont Saint-Étienne, la deuxième sur le quai, au-dessus du café Lajoie, avec
deux balcons en ferronnerie, de sorte qu’on la « prenait pour
bourgeoise » : elle a été détruite avec les autres. Elle,
vivait au deuxième étage et avait du mal à marcher. Elle se mettait à la
fenêtre et arrêtait dans la rue un ou l’autre des enfants du quartier
pour qu’il lui fasse « les commissions » dont elle avait
besoin. Elle lui lançait les sous par la fenêtre dans un journal et
l’envoyait par exemple acheter ses légumes pour la soupe chez la
Bergère : Mme Bergère, qui vendait des fruits et des légumes rue
Henri Dumont dans une pièce qui lui servait de cuisine. Elle remettait la
monnaie dans le papier journal, et l’enfant allait ramener ses légumes et
sa monnaie à la mère Ziya. « Jamais elle ne donnait un sou sur sa
monnaie, mais nous le trouvions tout à fait naturel : nous n’y
aurions même pas pensé ».
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Beaucoup d’ouvriers, surtout ceux qui
travaillaient aux fours de porcelaine, buvaient après le travail entre
amis, un peu plus que de raison, ce qui n’était parfois pas sans de
malheureuses incidences sur la vie économique des ménages.
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Les têtes de chevreaux
On avait l’habitude avant guerre – une
habitude que Mme Mignot a conservée jusqu’au malheureux épisode de la
« vache folle » – de manger des têtes de chevreaux, à la
saison. Or les têtes de chevreaux sont très difficiles et très longues à
nettoyer. Il fallait commander ces têtes chez les sœurs Trapolou, deux
bouchères du Pont-Neuf, au moins deux semaines à l’avance car tout le
quartier en voulait et il n’y en avait pas pour tout le monde. Comme les
gens ne savaient pas les nettoyer, c’était la
Bélou, une blanchisseuse, qui le faisait. On posait alors les têtes
de chevreaux au bord de l’eau, sur le petit mur qui existe encore, devant
lequel il y avait la fontaine en fonte du quartier, car il n’y avait pas
encore l’adduction d’eau dans les maisons. Toutes les têtes étaient
alignées sur le mur et la Bélou venait les nettoyer avec ses petits
couteaux à la fontaine. Elle accomplissait le travail avec une habileté et
à une vitesse surprenantes et les restituait à leurs propriétaires.
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Anecdote de l’âne Gamin
Le père de Mme Mignot avait un âne qui
s’appelait Gamin : « il ne lui manquait que la parole ».
A l’heure où les ouvriers de son père cassaient la croûte, il venait
dans la cour et mangeait ce qu’ils lui donnaient : un morceau de
saucisson, de jambon, des rillettes, des pommes... Un jour, dans les années
1924-26 environs, ils se sont mis en tête de faire défiler Gamin un
dimanche matin dans la rue du Clocher, promenade de toute la ville (on
appelait cela : « faire la rue du Clocher », tout le monde
y allait, les ponticauds comme les autres). Ils avaient collectionné des
roses dont ils avaient fait un collier pour Gamin, et en avaient décoré
son dos et l’ont conduit par le mors dans la rue. Des photographes
ambulants, comme il y en avait à l’époque, ont fait son portrait, mais
la presse locale était présente elle aussi, de sorte qu’on put le voir
dans les journaux le lendemain. Les ouvriers avaient commandé au pâtissier
de la rue du Clocher tous les restes de gâteau de la veille : et le
pâtissier a servi sur un plateau tous ces gâteaux à Gamin. Le père de
Mme Mignot était enchanté de cette affaire et sa femme par contre,
soucieuse du qu’en dira-t-on, fort en colère.
**
A la question concernant l’existence de
pratiques de « sorts » parmi les blanchisseuses, Mme Mignot
répond en niant fermement leur existence. Elle évoque seulement, au port
du Naveix la présence d’une rebouteuse, qui n’était d’ailleurs pas
blanchisseuse.
« C’était un village, mais très
actif ». « Les gens ont toujours ici cherché à s’instruire,
même ceux qui n’avaient pas beaucoup été à l’école ». Mme
Mignot évoque l’Université Populaire du pont Saint-Etienne, où elle se
rendit fréquemment avec son père lorsqu’elle était enfant : il y
venait des professeurs, des médecins, des avocats etc. « Les gens du
quartier, presque illettrés s’y intéressaient et se rendaient à
ces conférences ». La salle et la terrasse étaient toujours combles
et l’UP possédait une bibliothèque.
Le quartier était le lieu de « fêtes
splendides ». Des chars, à la confection desquels toute la population
collaborait, défilaient en bateau sur la Vienne. Son père lui a raconté
avoir participé à la fabrication d’un grand cygne porté par des bateaux
à fond plat, illuminé par des falots. Les associations locales comme les
actifs Marins du Clos ou encore les plus anciens Enfants de la Vienne organisaient de grandes fêtes sur l’eau.
Suivant Mme Mignot les Marins du Clos,
fondés par le « grand Poutout » (André Poutout) dit Bousta, étaient plus
actifs que les Enfants de la Vienne.
Habillés en marins, ils mettaient une vie extraordinaire dans le quartier.
Le siège de l’association se trouvait au n° 15 du clos Sainte-Marie. Ils
avaient une fanfare de mirlitons, des chansons… l’une d’entre elles
disait : « C’est nous qui sommes les plus beaux, Marins du
clos, de nous les hommes sont jaloux, mais on s’en fout ».
Ils disposaient d’un local et de bateaux plats. Pour les fêtes, ils
décoraient et illuminaient les bateaux. De grandes régates se déroulaient
sur la Vienne, organisées par le Club Malinvaud, du nom de l’aviateur
Malinvaud,
le Club nautique sur la rive droite (à ne pas confondre avec l’Aviron
Limousin, qui se trouvait sur la rive gauche près du Pont-Neuf, le Club
Malinvaud était plus « huppé »). Il s’agissait de
courses de kayaks, d'avirons (à 4 et à 8) etc., qui ont
duré jusque vers les années 50 (« guère au-delà de la mort de la
dernière blanchisseuse »). De nombreuses sociétés des villes du
midi s’engageaient (jusqu’à 7 sociétés).
**
Des concours de pêche
« faramineux » se déroulaient également, « sur les deux
rives à touche-touche ».
**
Elle se souvient du spectacle où un homme du
quartier, Baptiste Vergne, se jetait du haut du pont Saint-Etienne dans la
Vienne, les mains liées et enfermé dans un sac.
Mme Mignot a bien connu Max Dif, le prestidigitateur, qui raconte ce
spectacle dans son livre autobiographique ;
il habitait tout près et allait à l’école avec elle : un petit
garçon effacé qu’elle n’aurait « jamais imaginé capable de
faire ce qu’il a fait ».
**
Pour Carnaval, les gens se déguisaient,
même les vieux ! C’était le festin dans toutes les maisons, avec de
très grandes tablées. Le défilé partait du Pont-Neuf et y revenait et
tout le monde, les jeunes et les vieux suivaient la cavalcade. Chaque
société faisait son char (les Enfants de la Vienne, les Marins
du clos… etc.).

Un carnaval plus ancien que ceux
que
Mme Mignot a connus : pont neuf 1909
Cette carte postale est illustrée d'un
quatrain de Pière
Do Faure ( Pierre Charbonnier) dont le sens n'est pas très clair:
Ta choba de fa lou fodar./ Un vai te neja, carnovar !/ Hurou
couqui que tout abounde/ A ta mor mascara, è
mounde
(graphie normalisée)
T'as chabat de far lo fadard,/Un vai te nejar, Carnavar !/Urós
coquin que tots abonden/tot abonde,/ A ta mòrt mascarat(s), e monde.
(essai de traduction) Tu as
fini de faire l'idiot,/ On va te noyer, Carnaval !/Heureux filou car tous
viennent/à ta mort déguisés, et du monde.
**
Noël était une grande fête de
famille, même si l’on n’allait pas à la messe de minuit ; les
parents de Mme Mignot réunissait 25 personnes à table. Pour le nouvel an,
Gabrielle Mignot raconte qu’un cortège familial se constituait qui
faisait la tournée à pied, petits et grands, pour souhaiter la bonne
années aux oncles, grand-oncles, tantes et grand-tantes, tout autour de
Limoges : Casseaux, boulevard Saint-Maurice, route d’Aixe… puis
tout le monde se dispersait. Les cadeaux étaient rares pour les enfants.
Fille unique, Mme Mignot avait le privilège de petits cadeaux :
« des pantoufles, trois mouchoirs…, des crayons de couleurs… des
choses utiles ».
**
Les fêtes religieuses
« C’était, nous dit Mme Mignot,
zéro dans le quartier », même pas pour Pâques ; tout ce
qu’il y avait dans le quartier, ajoute-t-elle « était
anti-religieux à cent pour cent dans mon enfance » (voir Religion).
**
Bals
Mme Mignot, dans sa jeunesse, allait danser
aux bals de société (notamment celui des Marins du clos, qui avaient lieu
une fois par an ; le bal des instituteurs, qui se déroulait dans les
grands hôtels, en robe longue : il fallait être accompagnée par une
personne adulte), mais certaines de ses copines allaient au bal le dimanche.
Elle nous dit que les jeunes filles le plus souvent n’allaient pas dans
« les petits bals » : c’était les hommes qui s’y
rendaient, au Cheval Blanc par exemple, route de Nexon, où il y avait des
bagarres, « entre les gars d’ici et les gars du pont Saint-Martial ».
**
sorties
Tous les vendredi soir la famille Mignot se
rendait au cinéma (Ciné Union ou Tivoli) ou bien au théâtre, où on la
prenait, lorsque les pièces n’étaient pas compromettantes pour la
moralité des jeunes filles. Elle se souvient y avoir vu des pièces de
Courteline et de Feydeau, des revues comme Ces dames aux chapeaux verts.
L’un des habitants du quartier, pour obtenir des billets de théâtre,
faisaient la queue dès le matin et en achetaient pour tous ceux qui en
voulaient. Les places étaient très peu chères, de sorte que les
blanchisseuses étaient des habituées du théâtre, et on les entendaient
reprendre les pièces à leur travail.
L’engagement politique tenait une place
prépondérante dans la vie des ponticauds. La rive droite, selon Mme Mignot,
était sans doute plus communiste et plus engagée que la rive gauche.
Francis Juchereau, qui assiste à l’entretien, nous rappelle que dès
février 1848 que les habitants du quartier, principalement les aigolhiers
(flotteurs de bois : voir notre page sur les naveteaux)
du port du Naveix, sont entrés en politique, en allant prêter main-forte
aux ouvriers de la ville.
En relation avec cet engagement, la
population était très largement anti-cléricale. Il existait bien
l’école Sainte-Valérie, un peu plus haut, ou le grand séminaire, mais
les Ponticauds n’entretenaient que peu de rapports avec ces institutions.
La plupart des enfants, comme c’est le cas de Mme Mignot elle-même,
n’étaient pas baptisés, donc il n’y avait pas de communions, ou très
peu (7 filles de sa classe sur 31 ont fait leur communion), et encore il
s’agissait des enfants venues des limites de la ville, de Saint-Lazare, du
Mas-Gauthier etc. : « les petites de la campagne »). Les
blanchisseuses par exemple n’allaient pas à l’église, ou sinon pour des
enterrements, alors que les hommes, eux, restaient dehors et allaient au
bistrot. De toute façon « tous les enterrements du quartier étaient
civils » (toutes les blanchisseuses avaient des funérailles civiles),
ce qui a beaucoup changé aujourd’hui. A ce propos, Mme Mignot nous
dit : « Je ne retrouve plus rien de mon enfance, et cela me
manque beaucoup ».
**
Du côté de la rive droite, pourtant plus
communiste, l’anti-cléricalisme, selon Mme Mignot, était moins fort.
**
Mme Mignot nous raconte que son père avait
reçu une éducation très religieuse, et qu’il avait été
personnellement dégoûté par certaines pratiques des gens d’Eglise,
après la mort prématurée de sa mère, et avait conçu un grand
dégoût du clergé. Il avait accepté de se marier à l’église, mais en
disant à son père que c’était la dernière fois qu’il lui obéissait
sur ce point et qu’il ne baptiserait pas ses propres enfants. Aussi
laissa-t-il des instructions à ce sujet avant de partir au front en 14
alors que son enfant était à naître.
**
Il
n’y avait cependant pas de parodies des cantiques, ni aucune moquerie vis
à vis des chrétiens, qui, affirme-t-elle, étaient parfaitement
respectés.
**
Mme Mignot nous dit enfin que l’univers
dans laquelle elle vit dans son enfance est privé de toute forme de
croyances populaires, de légendes, etc.
2.9 – Occitan
« Je suis désespérée de ne pas
parler le limousin : je le comprends ; je sais le lire mais je ne
sais pas le parler, parce que mon père a interdit à ma grand-mère de me
le parler en disant que ça me porterait tort pour apprendre le
français ». Quand à l’âge adulte elle dut apprendre l’anglais,
son père reconnut qu’il avait eu tort, car lui, qui parlait patois,
parlait aussi très bien le français. « J’ai toujours regretté de
ne pas le parler ». Mais elle nous dit aussi : « J’étais
entourée par le patois et comprenais tout, même les choses qu’il ne
fallait pas que je comprenne… ». Son père ne parlait pas le patois
à la maison, mais il le parlait avec sa propre mère blanchisseuse, qui le
parlait beaucoup et exclusivement avec sa sœur…. Mme Mignot avait
l’habitude de lire les articles en patois de Panazô [André Dexet] et
elle aime lire tout ce qu’elle trouve en limousin. Mais elle ne peut tenir
une conversation suivie, il lui manque des mots.
Mme Mignot se souvient d’avoir entendu
parler la langue jusqu’à l’après-guerre, jusque dans les années
cinquante, lorsque les dernières blanchisseuses ont disparu (l’une
d’elles exerçait encore dans l’après guerre : Mme Tricard, dite
La Poule). Avant guerre, il lui est arrivé une fois de recevoir à l’EDF
un homme de la campagne qui demandait à s’exprimer en patois, parce
qu’il ne connaissait pas bien le français. Elle comprit parfaitement ce
qu’il voulait, mais alla chercher un collègue pour lui répondre, car
elle n’était pas capable de lui répondre de façon satisfaisante.
Les ouvriers parlaient également, quand ils
pêchaient, mais aussi sur leurs lieux de travail, de même qu’on
entendait parler limousin dans les commerces.
Tous le monde était bilingue, et personne
n’apprenait le français à l’école : même la mère de Mme Mignot,
née en 1883, fille de blanchisseuse, connaissait le français avant
d’arriver à l’école Saint-Maurice, et nous dit-elle, « Je n’ai
jamais entendu un enfant parler patois à l’école du Pont-Neuf ».
L’accent des ponts n’était pas
l’accent limousin, il était bien distinct, « il n’avait rien à
voir avec l’accent de la ville ni avec l’accent de Panazol, ni même
avec celui de Puy-Lanaud… Cet accent n’existe plus. Les jeunes n’ont
plus d’accent ; si les blanchisseuses entendaient le petit voisin,
elles lui diraient : - Dis donc petit, tu as avalé la fumée du
train de Paris ? »
Un second entretien a eu lieu un mois après, le 6 juin 2005, qui nous a
permis de compléter le premier.
Extrait de l’acte de mariage de ses parents : « Gabriel
Nardot, formier, âgé de 22 ans, né le 25.04.1880 à Limoges y
demeurant avec son père rue Porte-Panet n° 12, fils majeur et
légitime, mineur quant au mariage, de Bernard Nardot, sabotier, lequel
présent a donné son consentement à ce mariage, et de feu Marie
Marchadier décédée à Limoges le 24.11.1897. Le contractant a
justifié de sa libération du service militaire actif et : Marguerite
Rougerie, mouleuse en porcelaine, âgée de 19 ans, née le
03.04.1883 à Limoges, y demeurant avec sa mère b.d des Petits Carmes
n° 6, fille mineure et légitime de feu Léonard Rougerie décédé à
Limoges le 17.07.1898 et de Marie Pailler, blanchisseuse, laquelle a
donné son consentement à ce mariage. Ont été présents : Michel
Nardot, sabotier, âgé de 61 ans, demeurant à Limoges route de Corgnac,
oncle paternel du marié ;/ Pierre Marchadier, sabotier, âgé de
35 ans demeurant à Limoges chemin du Canadier, oncle maternel du
marié ;/ Léonard Pailler, maçon, 49 ans, demeurant à Limoges
av. du Sablard n° 46 oncle maternel de la mariée ;/ François
Broussaud, calibreur, 36 ans demeurant à Limoges av. Garibaldi 77 non
parent, ni allié des contractants. » Les extraits d’état civil
font apparaître que sa mère Marguerite Rougerie, était la fille de Léonard
Rougerie, porcelainier, né le 06.03.1857 rue du Pont Saint
Etienne, n° 6 et décédé le 187.07.1898, 5 rue du Rajat. Il avait
épousé le 05.02.1883 Marie Pailler, blanchisseuse, née le
24.01.1858. L’acte de mariage indique que les comparants et les
témoins (François Betoule, enfourneur, 36 ans, demeurant à Limoges
faubourg
des Casseaux n° 18 ; Léonard Rougerie, journalier, 29 ans, demeurant à Limoges rue du
Pont Saint-Étienne, n° 10 ; Léonard
Pailler, maçon, 29 ans, demeurant à Limoges même rue n° 2 ;
Pierre Pinchaud, enfourneur, 27 ans, demeurant avenue du Sablard n° 8)
déclarent « ne savoir signer ». Léonard Rougerie, qui
décède 5 rue du Rajat le 17.07 1898, était le fils de Pierre
Rougerie, né le 07.02.1828, corroyeur, demeurant au Puy Lanaud et
de Claudine Parnet, née le 2506.1827 demeurant rue du Masgoulet.
Lors de leurs mariage, le 13.11.1852, le couple légitime 2 enfants nés
antérieurement. Au XVIIIe siècle, les Rougerie vivent à Panazol.
Marie Pailler (la grand mère blanchisseuse de Garielle Mignot), était
fille d’une blanchisseuse, Madeleine Rosier, née à Limoges
le 24.04 1829 et d’un journalier, Antoine Pailler, né le
03.031826 et demeurant rue de l’Abbessaille, lequel
Antoine Pailler était fils de Joseph Pailler, dit
« Firejoux », né à Limoges le 13 prairial de l’an 8
(23.05.1800) et de Valérie Lafarge, domiciliée au moment de leur
mariage (14.10.1831) rue du Pont Saint-Étienne. Joseph Pailler était le
fils de Martial Pailler, déclaré comme « blanchisseur »,
né le 18.01.1765 à Limoges et décédé à son domicile rue du Naveix
le 08.08.1819. Ces éléments de généalogie montrent l’ancrage de
certaines familles ouvrières dans les quartiers des ponts ou leurs
environs sur plus de deux siècles. Nous remercions vivement Mme Mignot
de nous avoir permis de consulter ces archives familiales.
Gloire à l’Ecole, Hymne, paroles de Jean Bynat, musique de
Francis Popy. La partition se trouve, entre autres dans : Les
Ponticauds : ce fut leur histoire, [avec
des contrib. de Jean-Baptiste Couturaud, Paulette Morel-Terrien et
Raymond Dardillac] ; préf. de Georges Chatain Editeur
: [Association Les Amis de Lucienne Lasserre] - [Limoges], 1991, p.
35-36.
Note à l’attention des étrangers au parler limougeaud :
« tout à l’heure » a souvent le sens de
« aujourd’hui », « en ce moment », ou même de
« maintenant ».
« Petite vache, descend de ce bateau ! »
Littéralement : « C’est toi, chien de
malheur ! »
Mme Mignot nous a montré que la voiture à chevaux prise en photo sur
l’actuelle place de Compostelle telle qu’on la voit sur une carte
postale (celle-là même dont nous avons fait le bandeau du site, voir
également la rubrique » Images ») montre en fait la
livraison du pain. Détaillant l’image et mobilisant ses souvenirs,
elle nous explique, qu’il y avait une épicerie buvette à
l’emplacement de l’actuel restaurant Le Ponticaud, à côté duquel
il y avait un coiffeur qui faisait également des articles de pêche,
une grande mercerie en face, etc.
« Six œufs bien battus en valent douze ».
Fernand Malinvaud, célèbre pilote de voltige limougeaud et héros de
la Résistance.
On trouve la représentation d’une variante de ce fameux saut sur le
site des Enfants de la Vienne. On y voit le plongeur sauter du pont dans un sac enflammé.
Max
Dif, La baguette magique
"Comment on devient sorcier", Limoges, Lucien Souny, 1988.
Ce fut d’abord ( ?) un film
d’André Berthomieu, sorti en 1929.